Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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style="font-size:15px;">      Telle fut la première entrevue entre Benjamin Constant et Thibaudeau, qu'on regardait avec raison comme l'un des membres les plus influents des Conseils. M. de Talleyrand fut instruit de ce résultat, et voulut alors faire par lui-même. Il dit à Benjamin Constant de donner à dîner à Thibaudeau, à Jean Debry27 et à Riouffe. Thibaudeau, espérant toujours ramener le Directoire à de meilleurs sentiments, accepta, et détermina ses collègues à suivre son exemple. Jean Debry, surtout, ne voulait pas aller chez Benjamin Constant.

      – Pourquoi se mêle-t-il de nos affaires? disait Jean Debry; je ne l'aime pas. Quant à Talleyrand!.. celui-là!..

      Et il faisait des signes qui donnaient la traduction de ce qu'il ne disait pas.

      Le dîner eut lieu. Le soir, M. de Talleyrand vint comme pour faire une visite; la finesse de son jugement l'avait averti que probablement ses chargés d'affaires ne s'acquittaient pas bien de leur mission.

      – Puisque vous acceptez aussi souvent chez mes amis, dit M. de Talleyrand à Thibaudeau, vous ne pouvez me refuser moi-même pour un jour de cette semaine.

      Thibaudeau accepta d'autant plus volontiers, que ce jour-là l'affaire avait été plutôt éloignée qu'attaquée. M. de Talleyrand voulut avoir l'honneur de la capitulation de la place, après avoir fait battre en brèche par les autres.

      Le dîner eut lieu le 28 thermidor. On voit que les événemens marchaient vite, et que le coup d'État devenait urgent.

      Les convives étaient peu nombreux, et cette fois madame de Staël n'y était pas; il y avait Jean Debry, Riouffe, Poulain-Grandpré et Thibaudeau. M. de Talleyrand alla d'abord au but; il a toujours une de ces franchises attrapantes qui sont bien subtiles: il ne dissimula aucunement à Thibaudeau l'importance qu'il attachait à la réunion de son parti et de lui au Directoire, et finit sa très-courte allocution par la demande formelle de cette réunion.

THIBAUDEAU

      Mais je ne suis pas seul.

M. DE TALLEYRAND

      Vous êtes fort important, et chacun le sait. Demandez au député Poulain-Grandpré ce qu'il en pense.

POULAIN-GRANDPRÉ

      Vraiment, je le crois bien! (Tirant un grand papier de sa poche). Voici la liste, jour par jour, des discussions importantes dans lesquelles le citoyen Thibaudeau a parlé28… Sur douze, il a entraîné la majorité onze fois.

      M. de Talleyrand sourit; il croyait être sûr que la flatterie avait été à son but. Le fait est qu'elle était adroite.

BENJAMIN CONSTANT

      Vous avez entendu madame de Staël l'autre jour, mon cher député; eh bien! elle est parfaitement instruite, et la majorité royaliste est telle qu'elle nous l'a dit.

THIBAUDEAU

      Oui, je sais que la conspiration royaliste n'est que trop flagrante!.. Je ne le sais que trop, vous dis-je!

M. DE TALLEYRAND

      Eh bien! lorsque vous pouvez arrêter le mal, vous vous y refusez!.. Étrange aveuglement!..

THIBAUDEAU

      Écoutez, nous sommes d'accord sur plusieurs points, mais il en est sur lesquels nous ne nous entendons plus.

RIOUFFE

      L'intégralité de la constitution conservée; hors de là, point de salut pour la République.

M. DE TALLEYRAND

      Qui parle de la violer?

JEAN DEBRY

      Tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons, prend une voix pour nous le dire… Mon collègue a exprimé ma pensée, et je répète après lui: Intégralité de la constitution.

M. DE TALLEYRAND

      Je m'y engage au nom du Directoire; lui-même ne veut que la constitution. Nous sommes donc d'accord.

THIBAUDEAU

      Je ne le crois pas, car il nous faut une garantie pour l'avenir; et qui nous la donnera?

BENJAMIN CONSTANT

      Le Gouvernement a fait de grandes fautes, on ne le peut nier; mais les récriminations aigrissent au lieu de fermer la blessure. Laissons donc tout le passé et même l'avenir, pour ne nous occuper que du présent…

JEAN DEBRY, souriant

      Le présent et l'avenir se tiennent de trop près pour les séparer.

M. DE TALLEYRAND

      Tout ira bien, si Thibaudeau ne veut pas faire le rapport sur le dernier message29 du Directoire, à moins que ce ne soit pour passer à l'ordre du jour… Voilà tout ce qu'on lui demande.

THIBAUDEAU

      Je ne le puis pas. Ce serait nous faire à nous-mêmes une blessure mortelle.

BENJAMIN CONSTANT

      En quoi et comment?

THIBAUDEAU

      Parce qu'en passant à l'ordre du jour, ce serait reconnaître à l'armée un pouvoir qu'elle n'a pas; ce serait introduire la tyrannie militaire, et nous ne la voulons pas.

POULAIN-GRANDPRÉ

      Mais pourtant je ne vois rien…

THIBAUDEAU, avec dignité

      Plus un mot, je vous prie, sur ce sujet… Le Corps-Législatif s'avilirait à jamais en passant à l'ordre du jour.

      M. de Talleyrand se leva alors avec une sorte d'impatience… Il venait de voir qu'il n'y avait rien à faire avec des hommes qui exigeaient une pensée formulée clairement: aussi cette conférence ne produisit-elle aucun résultat, non plus que les deux précédentes. Il était évident que M. de Talleyrand et son conseil avaient une arrière-pensée qu'ils n'osaient pas dire.

      Quelques jours après, Augereau fut nommé commandant de la 17e division30 militaire: c'était une déclaration de guerre, et ce qui se passa immédiatement le prouva plus que tout. Dix-sept pièces de canon arrivèrent à Paris du parc d'artillerie de Meudon; la garnison fut augmentée. Les Conseils alarmés envoyèrent chez le ministre de la Guerre Schérer; les envoyés y trouvèrent Augereau, qui, avec la même impudence que lorsqu'il trahit plus tard l'homme qu'il avait juré de servir, dit qu'il répondait des Conseils sur sa tête.

      Ceux qui se rappellent cette époque ne peuvent lui trouver de point de comparaison avec rien dans l'histoire. Il y a une confusion de toutes choses qui fait frémir et reculer devant cet abîme où tout ce qui avait encore quelque renom et quelque peu d'honneur allait s'engloutir…

      C'est au milieu de cette tourmente qu'on atteignit le 16 fructidor. M. de Talleyrand était non-seulement le guide du Directoire alors, mais il était, parmi les ministres, le seul bien capable de remuer ce grand colosse de l'État dans des circonstances aussi critiques. Schérer, qui était ministre de la Guerre et brave homme, quoi qu'on en ait dit, invita Thibaudeau à dîner avec plusieurs généraux, comme on l'a vu plus haut; Schérer était son ami. Thibaudeau lui dit:

      – Tentez un dernier effort; les constitutionnels sont au Directoire; s'il le veut, un mot de certitude, et tout est dit.

      Schérer demanda sa voiture, et fut au Petit-Luxembourg… Thibaudeau attendit sa réponse au ministère même… Il revint bientôt… Il n'y avait plus d'espoir… La République allait subir son dernier supplice.

      Le lendemain, on fit courir une liste de soixante-quinze députés qu'on disait arrêtés… C'était faux. Mais quelle

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<p>27</p>

Jean Debry, dont il est souvent question dans cet article, est un homme dont le Directoire savait apprécier les talents, et qu'il voulait rattacher à lui. Député de l'Aisne à l'Assemblée Législative, il eut une carrière parlementaire très-importante; ce fut lui qui fit déchoir Louis XVIII de son droit à la régence, et qui fit prononcer l'accusation contre les princes émigrés. En général, il était fort exagéré et fort peu tolérant, mais d'un républicanisme dont nous n'avons aucune idée aujourd'hui: ainsi ce fut lui qui fit décréter que toujours on jouerait la Marseillaise à la garde montante. Il était très-exalté, mais vrai, et cette certitude donnait une grande autorité au député qui siégeait souvent entre deux faux frères; il était admirable pour le général Bonaparte, qu'il vénérait. Je crois bien que M. de Talleyrand ne l'aimait guère, Jean Debry.

Nommé ministre de la République au congrès de Rastadt, il partit avec Bonnier et Robertjeot. Arrivé à Rastadt, il fit tout ce qu'il put pour maintenir la dignité de la République; et, pour se livrer plus tranquillement aux fonctions nouvelles qu'il avait adoptées, il envoya sa démission de député au Conseil. C'était un républicain trop zélé, peut-être: voilà son seul défaut. On sait quel fut le sort des plénipotentiaires de Rastadt… il y a un voile sur cette sanglante catastrophe, que la main du temps soulèvera peut-être, mais qui ne l'est aujourd'hui qu'à demi. Assassinés tous trois par les hussards Szeklers chargés de les escorter, Jean Debry fut le seul qui échappa. C'était la nuit; il essaya de fuir, couvert de blessures, transi de froid, troublé par la crainte de voir revenir ses meurtriers; le malheureux se traîna de buisson en buisson jusqu'à une maison hospitalière où il fut reçu. Sa convalescence fut longue; le jour où il rentra dans l'Assemblée, l'émotion fut au comble… Il avait encore le bras en écharpe, il était pâle; et puis, en revoyant ses collègues, ils lui rappelaient les deux victimes qui étaient tombées avec lui, mais pour ne pas se relever… Il prononça un discours à la suite duquel il fut couvert d'applaudissements… sa dernière phrase fut oratoire, elle enleva les acclamations.

– Vengeance contre l'Autriche! s'écria-t-il avec cette puissance d'émotion qu'il avait au dernier degré… On lui répondit par un autre cri formé par cinq cents voix!..

Les fauteuils des deux autres plénipotentiaires ne furent jamais occupés; on jeta sur eux un crêpe noir, au travers duquel on voyait leurs noms entourés d'une couronne civique… Et lorsque dans quelque cérémonie on procédait à l'appel nominal, le député le plus voisin du fauteuil répondait: «Mort assassiné au congrès de Rastadt.»

<p>28</p>

Cette liste était depuis le 1er prairial, c'est-à-dire deux mois et demi.

<p>29</p>

Message qui faisait part de toutes les adresses des différents corps d'armée au Directoire.

<p>30</p>

La division militaire de Paris était la 17e à cette époque.