Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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la société intime de Barras, se préparait en effet au départ, ce qui augmentait l'inquiétude des Parisiens.

      Maintenant deux mots sur l'état des affaires, à ce moment si singulièrement entouré d'événements incohérents.

      Le Directoire, composé de cinq directeurs, avait dans son sein une scission; trois membres contre deux: Barthélemy et Carnot étaient pour les Conseils représentatifs, Barras, Rewbell et Laréveillère pour eux-mêmes.

      Dans les Conseils, il y avait un nombreux parti royaliste, un parti purement républicain, et un autre républicain aussi, mais seulement constitutionnel: c'était le plus nombreux.

      Tous ces partis étaient en présence, et le moment où la lutte devait s'engager était également redouté: on se rappelait le 10 août, le 2 septembre, le 1er prairial, le 13 vendémiaire, et ces souvenirs-là n'étaient pas faits pour rassurer.

      Voilà l'état des choses que M. de Talleyrand était appelé à diriger. Il s'en tira comme un homme de caractère ferme et entreprenant l'aurait fait. C'était pourtant une bizarre combinaison que celle de tous ces partis se combattant les uns les autres, avec des armes qui n'étaient pas faites pour eux. Le parti républicain était contraint de désavouer ses propres principes, parce qu'on les tournait contre lui. Les royalistes, voulant abattre le Directoire par tous les moyens possibles, demandaient la liberté de la presse pour l'attaquer dans des journaux, la liberté de tirer le canon pour le pointer sur le Luxembourg. C'était une situation bizarre, comme on le voit, que celle de la France dans un tel moment. Cela prouve, au reste, qu'on ne peut bien juger un parti sur ses vraies opinions que lorsqu'il31 est le plus fort et libre de les professer.

      Le 17 au matin, Boissy-d'Anglas reçut une lettre de madame de Staël, qui lui disait d'avoir confiance dans la personne qui lui remettrait ce billet, qu'elle le priait, au reste, de brûler… Boissy-d'Anglas fit entrer le messager; c'était un homme s'exprimant fort bien, qui lui dit, après avoir regardé si personne ne l'écoutait, que madame de Staël quittait Paris, parce qu'il y aurait du mouvement d'ici à vingt-quatre heures; qu'il prît donc garde à lui, et que surtout elle le priait en grâce de brûler les lettres qu'il avait d'elle.

      Or, savez-vous ce que c'était que ces lettres? Des lettres relatives au retour de M. de Talleyrand en France et à sa nomination au ministère… Ces lettres, dans lesquelles madame de Staël s'épanchait beaucoup, pouvaient la perdre si le Directoire s'était emparé des papiers de Boissy-d'Anglas; elle y parlait du Directoire d'une manière que sûrement il n'aurait pardonnée ni en masse ni personnellement: tout cela relativement à la nomination de Talleyrand, qu'elle leur donnait comme une bonne à des enfants au maillot… Et ce n'eût été que peu de chose encore si elle ne les avait traités que d'incapables. Quant à madame de Staël, elle avait quitté sa maison. Pourquoi? Je l'ignore, car enfin c'était elle, ou son parti, du moins, qui ordonnait le pas de charge.

      Pichegru était alors président du Conseil des Cinq-Cents. Cet homme, dont le nom a fatigué la France et l'Europe, est peut-être une des plus grandes nullités qu'il y ait eu dans notre Révolution.

      Son caractère n'eut jamais rien de complétement honorable; officier d'artillerie, et au service, au moment de la Révolution, au lieu d'émigrer, si ses opinions n'étaient pas d'accord avec l'ordre des choses, il demeura en France. Robespierre, à qui il était suspect, lut aux Jacobins des lettres interceptées qui le compromettaient. Il était alors à l'armée; il écrivit après la bataille d'Haguenau, au club des Jacobins, que désormais il prendrait pour cri de ralliement: Vive la République! vive la Montagne!– Enfin il en fit tant que Collot d'Herbois fit son éloge à ces mêmes Jacobins! En effet, il y avait de quoi le louer!.. car un jour il écrivit à la Convention, étant alors commandant en chef de l'armée du Nord, qu'il venait de détruire un corps d'émigrés, qu'il l'avait exterminé… «Soixante-neuf hommes ont échappé à notre canon, ajoutait-il; mais ils ont été faits prisonniers, et ils vont périr tous du dernier supplice32

      Ce qui fut fait.

      Plus tard, après la conquête de la Hollande, il vint à Paris. Il y avait à cette époque des troubles assez sérieux; au 1er prairial, il fut nommé commandant-général de Paris pendant sa mise en état de siége, car il ne faut pas croire que nous ayons commencé en 1832; et les républicains, qui criaient si haut alors, auraient dû savoir que la République de 1795 en faisait tout autant: le pouvoir qui se défend quand on l'attaque est le même partout et en tout temps33.

      Quoi qu'il en soit, Pichegru se conduisit comme un digne mandataire de la Convention, qui n'était pas autant mère du peuple qu'on le croit; il marcha contre la section de la Cité et celle des Quinze-Vingts; partout il dissipa des rassemblements de femmes, et s'acquitta enfin à merveille de son rôle de commandant. Il écrivit à la Convention que ses ordres étaient exécutés. La Convention lui fit des compliments, et le résultat de tout cela fut qu'il demanda à retourner à l'armée, ce qui lui fut accordé. Mais cet homme ne pouvait pas vivre un mois sans être accusé; il vint des adresses à la Convention contre lui; Moreau, qui plus tard devait conspirer avec Pichegru, et qui travaillait peut-être déjà à la besogne de 1814, le justifia devant la Convention. Cependant les comités conservèrent des doutes, et on l'envoya en Suède comme ambassadeur. Nommé ensuite député de l'Aube au Conseil des Cinq-Cents, il revint en France et siégea dans l'assemblée. Lorsque son nom fut appelé, il fut applaudi assez vivement; bientôt après il fut élu président, et c'est ainsi que le trouva le 18 fructidor.

      Si Pichegru eût été, non pas un homme de génie, mais un homme supérieur à Augereau, qui était bien certainement le plus nul qu'on pût rencontrer, le Directoire était perdu au 18 fructidor. Mais il se borna à faire d'avance un beau plan pour rétablir la garde nationale… la chose était stupide. Avant que le projet fût adopté, que la loi eût passé, que tout fût en ordre, il aurait eu le temps d'aller et de revenir de Sinnamary à Paris. Il n'eut enfin aucune prévoyance dans cette circonstance majeure qui devait influer sur la destinée à venir de la France.

      À propos de cette garde nationale, j'ai déjà dit ce que Bernadotte écrivait à Bonaparte le 15 fructidor:

      «Malgré les tentatives de Pichegru et compagnie, la garde nationale ne s'organise pas… Je vous envoie un précis de la vie de Pichegru.»

      On voit que déjà à cette époque Pichegru était noté par les républicains.

      Le 17, à la réunion des députés pour la séance des commissions des inspecteurs, ils étaient nombreux; l'agitation était extrême. On redoutait TOUT, sans aller au devant de rien. J'avais dîné dans le Marais, rue des Trois-Pavillons, chez madame de Saint-Mesmes, une de nos amies; le soir, lorsqu'on vint me chercher, quoique cette partie de Paris que j'avais besoin de traverser pour revenir chez ma mère, rue Sainte-Croix, ne fût le théâtre d'aucun trouble, cependant on voyait qu'il se préparait une scène tragique et sérieuse. On parlait de canons amenés du parc d'artillerie de Meudon, et chacun, se rappelant la canonnade du 13 vendémiaire, tremblait pour soi et les siens… La nuit fut terrible; le silence de mort qui régna dans la ville était peut-être encore plus effrayant que le bruit de la fusillade, car on savait qu'un grand acte d'iniquité s'accomplissait dans l'ombre… Et comment se jouait ce drame important dans lequel la nation avait le premier rôle? De toutes les scènes de la Révolution, le 18 fructidor est peut-être celle qui m'a le plus vivement impressionnée.

      L'agitation était à son comble, comme je l'ai dit. M. de Talleyrand, qui conduisait toute cette grande affaire, riait pendant ce même temps de ce qui se passait, car il en était informé heure par heure, et plusieurs fois il fit parvenir de faux avis aux députés pour les effrayer davantage… ils ne l'étaient que trop!.. On vint dire dans le Conseil des

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<p>31</p>

Une autre circonstance assez bizarre prouve l'esprit de vertige qui jamais ne quitte les partis politiques!.. Croirait-on que deux jours avant le 18 fructidor, ils avaient tellement les yeux fascinés dans le parti de Clichy, qu'ils parlaient d'organiser une police? Un nommé Dossonville, homme du métier et employé par Rovère, leur avait présenté un plan. La dépense devait s'élever à 50,000 fr., et comme ils ne voulaient pas demander cette somme aux Conseils, ils s'arrangèrent pour l'avoir par quart et par cotisation. C'était à faire pitié!

<p>32</p>

Voir le Moniteur; à cette époque, il était vrai.

<p>33</p>

C'est, au reste, un fait digne de remarque, que la profonde ignorance de la génération actuelle de l'histoire véritable de la Révolution; il y a même un côté ridicule à cette ignorance. C'est pourtant comme étude qu'il faudrait connaître cette époque.