Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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une immense… Tant mieux, continua-t-il comme se parlant à lui-même, il y aura plus de mérite…

MADAME DE LOSTANGES, lui prenant la main

      Imprudent!..

M. DE RASTIGNAC relevant la tête, et comme sortant d'une rêverie

      Pardon!.. pardon!..

MADAME DE LOSTANGES

      Eh bien! que devint ce dîner. J'attends toujours, moi.

M. DE RASTIGNAC

      Ce dîner ne dura que comme tous les dîners du monde; mais après, lorsque nous fûmes dans la galerie, M. de Talleyrand nous fit voir une pièce curieuse venant à la suite de tout ce que ces messieurs nous avaient dit: c'était un dessin renfermé dans une lettre écrite par Alexandre Berthier, et adressée à lui, M. de Talleyrand. J'en ai pris une copie informe, mais assez visible pourtant pour me guider et me faire faire une curieuse chose; car je suis Français avant tout, dit le bon jeune homme, et tout Français doit être ému en voyant cette vignette…

LE MARQUIS D'HAUTEFORT

      Te voilà bien, toi! toujours le même! romanesque!.. et ridiculement infatué d'une gravure à présent.

M. DE RASTIGNAC

      Eh! si je vous disais que M. de Talleyrand était lui-même si touché en montrant cette vignette, que ses yeux étaient humides de larmes… Il ne parlait pas, mais il pleurait, je le répète.

M. D'HAUTEFORT, riant aux éclats

      M. de Talleyrand ému!.. Ah çà! tu es beaucoup plus fou que je ne le croyais, mon pauvre Hippolyte. M. de Talleyrand pleurant d'attendrissement sur les victoires des Français!.. Je croirais plutôt que c'est de colère… Enfin… voyons!.. as-tu là ce beau dessin?

M. DE RASTIGNAC

      Sans doute, le voici, ou plutôt il me le faut refaire: c'est un croquis pris à la hâte.

      Il se mit devant la table ronde sur laquelle il y avait toujours des crayons, et bientôt il eut fait son dessin: c'était une très-grande vignette. À droite était un obélisque, sur lequel étaient inscrites TRENTE-NEUF affaires ou batailles victorieuses pour nous, et qui ont eu lieu dans l'espace d'une année. Au pied de cet obélisque était écrit: Constitution de l'an III; et au bas: Aux mânes des braves morts pour la patrie! À côté, un génie avait un pied posé sur la ville de Vienne; il tenait des tablettes sur lesquelles il inscrivait les préliminaires de la paix. À gauche, on voyait une belle femme coiffée du bonnet phrygien, une main posée sur un faisceau, dans l'autre tenant une pique sur laquelle était un bonnet de la liberté; derrière elle un vieillard à moitié couché, appuyé sur une urne, représentait l'Italie et le Piémont; au milieu et au-dessus, la Renommée, avec une trompette dans une main, et dans l'autre un médaillon sur lequel était écrit: «Armée d'Italie… Bonaparte, général en chef…» La femme et le génie (l'Italie et la France) avaient surtout une expression ravissante d'intérêt en regardant le médaillon et le nom de Bonaparte. Il y avait de l'espérance!.. Le plan figurait une carte géographique, où l'on voyait Rome, Venise, Gênes, Milan, Turin, Vienne, Mantoue…

MADAME DE LOSTANGES

      Hippolyte a raison, cette gravure est belle. S'il n'y avait que des choses pareilles dans toutes leurs sottes gravures révolutionnaires, il y aurait moyen de les voir; mais autrement!.. comment les regarder seulement?..

      M. de Rastignac avait raison; M. de Talleyrand réunissait chez lui une foule de personnages très-différents de couleurs et d'opinions; mais l'armée était TOUT en France, comme toujours, au reste. Jamais les armées différentes, aussi, n'avaient eu à leur tête des hommes tels que ceux qui étaient les chefs de soldats dont la ferveur avait quelque chose de témérairement brave, qui faisait frémir l'ennemi au nom de l'armée française.

      À l'armée de Sambre-et-Meuse (à cette même époque où nous sommes maintenant, en l'an V19), il y avait Jourdan, Kléber, Championnet, Hoche, Marceau, Lefebvre, Ney, Grenier, Bernadotte.

      À l'armée du Rhin: Moreau, Desaix, Beaupuis, Sainte-Suzanne, Lecourbe, Saint-Cyr.

      À l'armée d'Italie: Bonaparte, Augereau, Masséna, Lannes, Laharpe, Murat, et tant d'autres distingués par leurs noms comme par leur bravoure personnelle avant et depuis ce moment.

      Quant à Bonaparte, ce n'était pas un esprit comme celui de M. de Talleyrand qui pouvait le méconnaître un moment; au ton de ses lettres seulement, on avait la hauteur de cet homme; on voyait que sa supériorité était sentie par lui… Il n'aimait pas le verbiage; ses idées étaient concises, claires et positives…; il écrivait un jour au Directoire en date de Vérone (15 prairial an IV):

      «J'arrive dans cette ville, citoyens directeurs, pour en repartir demain; elle est grande et belle: j'y laisse une bonne garnison pour être maître des trois ponts qui sont sur l'Adige…

      «Je viens de voir l'amphithéâtre: ce reste du peuple romain est digne de lui… Je n'ai pu m'empêcher de me trouver humilié de la mesquinerie de notre Champ-de-Mars; ici, cent mille spectateurs sont assis et entendraient facilement l'orateur qui leur parlerait.»

      Il y a dans ce laconisme toute une nature différente de la nature vulgaire.

      M. de Talleyrand, homme du monde, d'esprit et de talent, savait bien jusqu'à quel point il devait compter sur les hommes qui l'entouraient… – Le voile était tombé, si jamais il l'avait eu sur les yeux! Et maintenant il marchait à la lueur d'un jour orageux qui devait l'effrayer…

      Le cercle constitutionnel de Paris avait produit d'autres sociétés populaires, qui n'étaient pas des clubs révolutionnaires; on y professait le plus entier dévouement au Directoire. Il y avait dans la société-mère des hommes fort adroits et même habiles, qui ne voulaient que du pouvoir et de l'argent: le pouvoir pour eux n'était même pas un but, c'était un moyen. Il y avait à leur tête deux ou trois hommes influents par une même façon de voir et de penser. Parmi eux, le plus influent était M. de Talleyrand; madame de Staël, qui était la principale cause de sa rentrée en France, avait de fréquentes relations avec lui, comme je l'ai déjà dit, et à mesure que les événements devenaient plus importants et plus intenses, ces mêmes relations devenaient plus intimes entre madame de Staël, M. de Talleyrand et Benjamin Constant… Celui-ci était l'orateur du cercle constitutionnel; M. de Talleyrand était l'âme des conseils directoriaux. Madame de Staël lui dit un jour: – Voici le moment de vous mettre au ministère; vous êtes habile, vous faites de ce Barras et des autres tout ce que vous voulez; nous serions bien empêchés alors si, à nous trois, nous n'arrivions pas à un ministère. Celui qui vous va le mieux est celui des Affaires étrangères. La République peut avoir grand crédit et faire peur quand elle parle au nom du sabre, mais je crois que les cabinets étrangers aiment mieux avoir à conférer avec un homme bien né et d'esprit qu'avec un sot ou un pédant.

      Ce fut alors que le parti constitutionnel ayant demandé et obtenu le départ de quelques ministres, le ministère des Relations extérieures fut vacant, et M. de Talleyrand l'obtint. Sa nomination fut arrêtée dans un dîner chez Barras, non pas à Paris ni à Grosbois, mais à Surênes, dans une sorte de petite maison que le directeur avait dans ce village, où depuis on a couronné des rosières. Ce n'est, certes, pas en mémoire de la nomination de l'évêque d'Autun au ministère… Barras ne repoussait personne; il accueillait le parti constitutionnel pur; mais, était-il parti, Barras s'en moquait, et s'en moquait surtout dans ses orgies. Il est pénible d'avoir à le dire; mais, dans le moment que je décris, l'influence de madame de Staël, pour faire nommer M. de Talleyrand, a peut-être été funeste à beaucoup de gens… Madame de Staël est une femme trop supérieure pour être intrigante; ce mot serait une injure qu'elle est loin de mériter. Mais je dois dire en même temps que son attachement pour M. de Talleyrand, et peut-être aussi le faible de la célébrité, qui voulait qu'elle

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<p>19</p>

Les ennemis (an V) n'avaient à opposer que le prince Charles et Wurmser, vieillard honorable, ainsi que Beaulieu. Voici une lettre de Beaulieu, écrite à cette époque à Vienne, et qui fut interceptée par nous:

«Je vous avais demandé un général, et vous m'envoyez Argenteau. Je sais qu'il est grand seigneur, et qu'indépendamment des arrêts que je lui ai donnés, on va le faire feld-maréchal de l'empire. Je vous préviens que je n'ai plus que vingt mille hommes, et que les Français en ont soixante mille; que je fuirai demain, après-demain, tous les jours, s'ils me poursuivent. Mon âge me donne le droit de tout dire; en un mot, dépêchez-vous de faire la paix à quelque condition que ce soit.

On voit que l'Autriche devait être plus qu'inquiète. Ce fut alors que, lorsqu'on proposa la paix, on accepta à Leoben, et plus tard à Campo-Formio.