L'éclaireur. Aimard Gustave

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L'éclaireur - Aimard Gustave

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devenir désormais, seule dans ce couvent, livrée sans défense à la haine de cette furie pour laquelle il n'existe au monde rien de sacré; vous ne tarderez pas à reprendre la place de celle que nous allons délivrer, ne vaut-il pas mieux la suivre?

      – Hélas, pauvre Laura! murmura-t-elle sourdement.

      – Vous qui avez tant fait pour elle jusqu'à présent, l'abandonnerez-vous à ce moment suprême, ou plus que jamais votre aide et votre appui lui deviendront nécessaires; n'êtes-vous pas sa sœur de lait, son amie la plus chère! Qui vous arrête? Orpheline depuis votre plus tendre enfance, sur Laura se concentrent toutes vos affection; répondez-moi, Doña Luisa, je vous en conjure.

      La jeune fille fit un geste d'étonnement, presque d'effroi.

      – Vous me connaissez! fit-elle.

      – Ne vous ai-je pas dit que je savais tout; allons, mon enfant, si ce n'est pour vous que ce soit pour elle, accompagnez-la, ne me contraignez pas à vous laisser ici aux mains d'ennemis terribles qui vous infligeront d'affreuses tortures.

      – Vous le voulez, balbutia-t-elle tristement.

      – C'est elle qui vous en prie par ma bouche.

      – Eh bien, soit, le sacrifice sera complet; je vous suivrai, bien que j'ignore si en agissant ainsi je fais bien ou mal; mais malgré que je ne vous connaisse pas, qu'un masque me dérobe vos traits, j'ai foi en vos paroles; il me semble que vous avez un noble cœur, Dieu veuille que je ne commette pas une erreur.

      – C'est ce Dieu de bonté et de miséricorde qui vous inspire cette résolution, pauvre enfant.

      Doña Luisa laissa tomber sa tête sur sa poitrine, en poussant un soupir qui ressemblait à un sanglot.

      Ils continuèrent à marcher auprès l'un de l'autre sans échanger un seul mot.

      La troupe était sortie des cloîtres et parcourait en ce moment des bâtiments démeublés et qui depuis longues années semblaient ne pas avoir été habités.

      – Ou nous conduisez-vous donc, Niña? demanda don Toribio; je croyais que dans ce couvent les caveaux étaient, comme dans les autres, creusés sous le sol de l'église.

      La jeune fille sourit tristement.

      – Aussi n'est-ce pas aux caveaux que je vous conduis, répondit-elle d'une voix tremblante.

      – Ou donc alors?

      – Aux in-pace!

      – Oh! murmura-t-il.

      – Le cercueil qui devant tous a été ce matin descendu dans les caveaux, continua doña Luisa, contenait en effet le corps de cette pauvre Laura, il était impossible de faire autrement à cause de la coutume qui exige que les morts soient ensevelis dans leurs habits et à visage découvert; mais aussitôt que la foule se fut écoulée, que les portes de l'église se furent refermées sur l'assistance, la supérieure ordonna de relever la pierre des caveaux qui n'étaient pas encore assujettie, elle fit remonter et transporter le corps dans l'in-pace le plus profond du couvent. Mais nous voici arrivés, dit-elle en s'arrêtant et en désignant une large pierre posée à plat sur le sol de la salle dans laquelle ils se trouvaient.

      Cette scène avait quelque chose de lugubre et de saisissant; dans cette salle nue, ces hommes masqués groupés autour de cette jeune fille vêtue de blanc, éclairés seulement par les reflets sanglants des torches qu'ils agitaient, ressemblaient à s'y méprendre à ces mystérieux francs juges qui aux anciens jours s'assemblaient dans les ruines pour juger les rois et les empereurs.

      – Soulevez cette pierre, dit don Toribio d'une voix creuse.

      Après quelques efforts la pierre fut enlevée ouvrant un gouffre sombre d'où s'exhala une bouffée d'air chaud et fétide. Don Toribio prit une torche et se pencha sur l'ouverture.

      – Mais, fit-il au bout d'un instant, ce caveau est désert.

      – Oui, répondit simplement doña Luisa, celle que vous cherchez est plus bas.

      – Comment plus bas! s'écria-t-il avec un mouvement d'effroi dont il ne fut pas le maître.

      – Ce caveau n'est pas assez profond, un hasard peut le faire découvrir, les cris peuvent s'entendre au dehors; il y a deux autres caveaux comme celui-ci superposés l'un sur l'autre. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, l'abbesse a résolu de faire disparaître une religieuse et de la retrancher a jamais du nombre des vivants, cette religieuse est descendue dans le dernier, celui qu'on nomme l'Enfer! Là tout bruit meurt, tout sanglot reste sans écho, toute plainte est vaine. Oh! L'inquisition faisait bien les chose, allez! Et puis il y a si peu de temps qu'elle ne règne plus au Mexique, que dans les couvents on en a conservé quelque chose: cherchez plus bas, caballero, cherchez plus bas!

      Don Toribio, à ces paroles, sentit une sueur froide perler à la racine de ses cheveux; il se croyait en proie à un cauchemar horrible. Faisant un effort suprême pour dompter l'émotion qui l'accablait, il descendit dans le caveau au moyen d'une échelle mobile appuyée contre une des parois; plusieurs de ses compagnons le suivirent.

      Après quelques recherches ils découvrirent une pierre semblable à la première. Don Toribio plongea la torche dans le gouffre.

      – Vide! s'écria-t-il avec horreur.

      – Plus bas, vous dis-je! Cherchez plus bas, répéta d'une voix sombre doña Luisa, demeurée sur le bord du caveau supérieur.

      – Que leur avait donc fait cette adorable créature pour la martyriser ainsi? s'écria don Toribio au comble de la douleur.

      – L'avarice et la haine sont deux terribles conseillères, répondit la jeune fille; mais hâtez-vous, hâtez-vous; chaque minute qui s'écoule est un siècle pour celle qui attend.

      Don Toribio, en proie à une rage indicible, se mit en devoir de découvrir le dernier caveau. Après quelques instants, ses recherches furent couronnées de succès.

      A peine la pierre fut-elle soulevée, que, sans tenir compte de l'air méphitique qui s'élança de l'ouverture et faillit éteindre sa torche, il se pencha en avant.

      – Je la vois! Je la vois! s'écria-t-il avec un cri ressemblant plutôt à un rugissement qu'à la voix humaine.

      Et sans attendre davantage, sans même calculer la hauteur, il se précipita dans le caveau.

      Quelques minutes plus tard, il remontait dans la salle, portant dans ses bras le corps inanimé de doña Laura.

      – En retraite, mes amis! En retraite! s'écria-t-il en s'adressant à ses compagnons; ne demeurons pas une seconde de plus dans ce repaire de bêtes fauves à face humaine.

      Sur un signe de lui, doña Luisa fut enlevée dans les bras d'un vigoureux lepero, et tous s'éloignèrent en courant dans la direction des cloîtres. Bientôt ils atteignirent la cellule de la supérieure.

      En les apercevant, l'abbesse fit un effort violent pour briser ses liens, et se tordit impuissante, comme une vipère, en lançant à ces hommes qui avaient déjoué ses hideux projets, des regards chargés de haine et de rage.

      – Misérable! s'écria don Toribio, en passant près d'elle, et en la repoussant dédaigneusement du pied, soyez maudite, votre châtiment commence,

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