Mensonges. Paul Bourget
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Colette parlait, jouant Cœlia. Lorenzo se lamentait. Le roué se moquait. Béatrice rêvait… Ce petit monde venu du pays de Benedict et de Perdican, de la Rosalinde d'As you like it et du Fortunio du Chandelier, allait et venait dans un rayon de poésie, caressant et atténué comme un rayon de lune. Des voix s'élevaient par instants du groupe des femmes, qui jetaient un: « Charmant!.. » ou un: « Exquis!.. » et René se souvenait des nuits de travail, une trentaine, consacrées à prendre et à reprendre tel ou tel de ces morceaux, cette élégie par exemple, écrite par Lorenzo sur un billet, – billet qu'à un moment Cœlia montrait à Béatrice. Comme la voix de Colette se faisait tendre et moqueuse pour réciter ces vers:
Si les roses pouvaient nous rendre le baiser
Que notre bouche vient sur leur bouche poser;
Si les lilas pouvaient, et les grands lis, comprendre
La tristesse dont nous remplit leur parfum tendre;
Si l'immobile ciel et la mouvante mer
Pouvaient sentir combien leur charme nous est cher;
Si tout ce que l'on aime, en cette vie étrange,
Pouvait donner une âme à notre âme en échange!..
Mais le ciel, mais la mer, mais les frêles lilas,
Mais les roses, et toi, chère, vous n'aimez pas…
Et l'hallucination rétrospective redoublait encore, rappelant à René sa chambre paisible, et comme il ressentait une joie intime à se lever chaque matin, pour reprendre la besogne interrompue. Sur le conseil de Claude, et poussé d'ailleurs par l'enfantine imitation des procédés des grands hommes, – trait risible et délicieux des vraies jeunesses littéraires, – il avait adopté la méthode pratiquée autrefois par Balzac. Couché avant huit heures du soir, il se levait avant quatre heures du matin. Il allumait lui-même son feu et sa lampe, préparés de la veille par les soins de sa sœur, qui avait aussi tout disposé pour qu'il se fît du café sans presque se déranger, à l'aide d'une machine à esprit-de-vin. Le feu crépitait, la lampe grésillait, l'arome de la liqueur inspiratrice emplissait la chambre close. Il regardait pieusement une photographie de Rosalie et il commençait de travailler. Petit à petit le bruit de Paris grandissait, l'éveil de la vie se faisait comme perceptible. Il posait sa plume pour contempler quelques-unes des eaux-fortes qui tapissaient les murs ou pour feuilleter un livre. Vers six heures, Émilie entrait. À travers les soucis de son ménage, cette sœur fidèle trouvait le loisir de recopier jour par jour les vers que son frère avait composés. Pour rien au monde elle n'aurait souffert qu'un manuscrit de René passât entre les mains des protes et des correcteurs. Pauvre Émilie! Qu'elle eût été heureuse d'entendre les applaudissements couvrir la voix de Colette, et que le plaisir de René eût été entier si la sensation du changement d'âme qui s'était accompli en lui à l'endroit de Rosalie ne fût venu l'attrister vaguement, même à cette minute où la pièce finissait dans un enthousiasme de tout le salon!
– « Vous avez un succès fou, » dit la comtesse au jeune homme, « Toutes ces petites vont se disputer à qui vous aura chez elle. » – Et comme pour appuyer ce qui n'aurait pu être que la flatterie d'une gracieuse maîtresse de maison, le jeune homme put entendre, durant le tumulte dont s'accompagna la fin de la pièce, toutes sortes de phrases passer à travers le brouhaha des robes, le bruit des chaises poussées, des saluts échangés: « C'est l'auteur… – Qui?.. – Ce jeune homme… – Si jeune!.. – Est-ce que vous le connaissez?.. – Il est bien joli garçon… – Pourquoi porte-t-il les cheveux si longs?.. – Moi, j'aime ces têtes d'artistes… – On peut avoir du talent et se coiffer comme tout le monde… – Mais sa comédie est ravissante… – Ravissante… – Ravissante… – Savez-vous qui l'a présenté à la comtesse?.. – Mais c'est Claude Larcher… – Pauvre Larcher! Regardez comme il tourne autour de Colette… – Salvaney et lui vont se bûcher un de ces jours… – Tant mieux, ça leur rafraîchira le sang… – Est-ce que vous restez pour souper?.. » C'étaient là vingt propos, parmi cent autres, que René distinguait, avec cette finesse d'ouïe propre aux auteurs, et tandis qu'il s'inclinait, le rouge au front, sous les coups de massue des compliments d'une femme qui venait de l'enlever presque de force à madame Komof. C'était une personne longue et sèche d'environ cinquante ans, veuve d'un M. de Sermoises, lequel était devenu depuis sa mort « mon pauvre Sermoises, » après avoir été, de son vivant, la fable des clubs à cause de la conduite de sa compagne. Cette dernière avait passé, en vieillissant, de la galanterie à la littérature, mais à une littérature bien pensante, et teintée de dévotion. Elle avait su vaguement par la comtesse que l'auteur du Sigisbée était le neveu d'un prêtre, et d'ailleurs, le caractère romanesque, comme répandu sur la petite comédie, lui permettait de croire que le jeune écrivain n'aurait jamais rien de commun avec la littérature actuelle, dont elle maudissait vertueusement les tendances, et elle disait à René, avec la solennité de précieuse doctrinaire qu'elle apportait à l'énoncé de ses idées, – un juge rendant son arrêt n'a pas plus de morgue implacable:
– « Ah! Monsieur! quelle poésie! quelle grâce divine! C'est du Watteau à la plume. Et quel sentiment!.. Cette pièce datera, Monsieur, oui, elle datera. Vous nous vengez, nous autres femmes, de ces prétendus analystes qui semblent écrire leurs livres avec un scalpel, sur une table de mauvais lieu… »
– « Madame… » balbutiait le jeune homme, assassiné par cette étonnante phraséologie.
– « Je vous verrai chez moi, n'est-ce pas, » continua-t-elle, « je reçois les mercredis de cinq à sept. J'ose croire que vous préférerez la société de mon salon à celle de cette excellente comtesse, qui est une étrangère, vous savez. J'ai quelques-uns de ces messieurs de l'Institut qui me font le grand honneur de me consulter sur leurs travaux. J'ai moi-même écrit quelques poésies. Oh! sans prétention, quelques vers à la mémoire de ce pauvre M. de Sermoises… une plaquette, que j'ai intitulée simplement: Lis de la tombe. Vous me direz votre avis, mais en toute franchise… Madame Hurault, monsieur Vincy, » continua-t-elle en présentant l'écrivain à une femme de quarante ans, élégante encore de tournure et de physionomie; « exquis, n'est-il pas vrai? Un Watteau à la plume. »
– « Vous devez beaucoup aimer Alfred de Musset, Monsieur, » dit la nouvelle venue. Elle était la femme d'un homme du monde, auteur, sous le pseudonyme de Florac, de quelques pièces, tombées à plat, malgré la prodigieuse intrigue de madame Hurault, laquelle n'avait pas, depuis seize ans, donné un dîner auquel n'assistât quelque critique ou un personnage lié avec quelque critique, un directeur de théâtre ou quelque parent de directeur.
– « Qui ne l'aime à mon âge? » répondit le jeune homme.
– « Je me le disais en écoutant vos jolis vers, » reprit madame Hurault, « cela me faisait l'effet d'une musique déjà entendue. » Puis, son épigramme une fois lancée, elle se souvint que dans beaucoup de jeunes poètes dort un feuilletoniste futur, et elle corrigea la phrase où venait d'éclater sa cruelle envie de femme de confrère par une invitation: – « J'espère vous voir chez moi, Monsieur; mon mari, qui