Mensonges. Paul Bourget

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Mensonges - Paul Bourget

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style="font-size:15px;">      – « Que vous avez été bon pour moi!.. Oui, » insista-t-il en voyant un étonnement dans les yeux de Claude, « si vous n'aviez pas été aussi indulgent à mes premiers essais, je ne vous aurais point porté le Sigisbée; si vous ne l'aviez pas présenté à Mlle Rigaud, il dormirait à cette heure-ci dans l'armoire aux manuscrits de quelque théâtre. Si vous n'aviez pas parlé de moi à la comtesse Komof, on ne jouerait pas ma pièce chez elle et je n'irais pas dans cette soirée… Je suis heureux, très heureux!.. Ah! mon ami, vous me trouverez nigaud comme un collégien… si vous saviez comme j'ai rêvé, dans ma jeunesse, de ce monde où vous me conduisez maintenant, où la toilette seule des femmes est une poésie, où les choses font un cadre exquis à la joie et à la douleur!.. »

      – « Si ces femmes avaient seulement une âme de la même étoffe que leur robe!.. » interrompit Claude en ricanant…« Mais je vous admire, » continua-t-il; « est-ce que vous croyez par hasard que vous allez être du monde parce que vous serez reçu chez Mme Komof, une étrangère dont l'hôtel est un passage, ou chez une des cinq ou six curieuses que vous rencontrerez là, et qui vous diront qu'elles sont à la maison tous les jours avant le dîner? Vous irez dans le monde, mon cher, vous irez beaucoup, si ce sport vous amuse; vous n'en serez jamais, non plus que moi, non plus qu'aucun artiste, eût-il du génie, parce que vous n'y êtes pas né, tout simplement, et que votre famille n'en est pas. On vous recevra, on vous fera fête. Mais essayez donc de vous y marier, et vous verrez… Et c'est la grâce que je vous souhaite… Ces femmes que vous rêvez si délicates, si fines, si aristocratiques, bon Dieu! si vous les connaissiez! Des vanités habillées par Worth ou Laferrière… Mais il n'y en a pas dix qui soient capables d'une émotion vraie. Les plus honnêtes sont celles qui prennent un amant parce qu'elles y trouvent du plaisir. Si vous les disséquiez, vous trouveriez à la place du cœur la note de la couturière, une demi-douzaine de préjugés qui leur tiennent lieu de principes, la rage d'éclipser celle-ci ou celle-là… Sommes-nous assez bêtes tout de même d'être ici, dans cette voiture, deux hommes à peu près intelligents, qui avons du travail chez nous, et vous avec un frémissement dans le cœur, à l'idée d'aller vous mêler à de grandes dames ou soi-disant telles, et moi!.. »

      – « Que vous a fait Colette aujourd'hui? » interrogea doucement René, que l'âpreté de la parole de son ami avait froissé comme il arrivait souvent; mais comment lui en aurait-il voulu de cette sorte d'hostilité contre ses illusions que Claude lui montrait ainsi? Presque toujours ces furieuses déclamations avaient pour cause, il le savait, une coquetterie de cette actrice dont le malheureux était follement épris, et qui se jouait de lui, tout en l'aimant elle-même, à sa manière. C'était une de ces passions à base de haine et de sensualité, qui dépravent le cœur en le torturant, et transforment celui qui les éprouve en une bête féroce. Un des traits particuliers à ces sortes d'amours, c'est qu'ils procèdent par crises aiguës et violentes, comme les images physiques dont ils se repaissent. Claude venait sans doute de voir tout d'un coup, dans un éclair, la physionomie de sa maîtresse, et une rage soudaine contre elle avait succédé en lui à la bonne humeur de sa visite chez les Fresneau, – rage qu'il aurait satisfaite en ce moment par n'importe quelle outrance de paradoxe. Il se rua aussitôt sur le chemin que son ami venait de lui indiquer, et, lui serrant le bras de toute sa force:

      – « Ce qu'elle m'a fait?.. » dit-il en riant d'un rire de malade. « Voulez-vous apprécier cet analyste aigu du cœur de la femme, ce psychologue subtil, comme on m'appelle dans les articles, ce Jobard de la grande espèce, comme je m'appelle moi-même? Hélas! Mon intelligence ne m'a jamais servi qu'à éclairer mes bêtises!.. Vous ai-je raconté, » ajouta-t-il d'une voix plus basse, « que j'ai la honte d'être jaloux de Salvaney?.. Mais vous ne connaissez pas Salvaney, un élégant de la nouvelle école qui s'amuse, son carnet de chèques à la main, – à cinq louis près, et commun!.. Avec un nez comme un cornet, un front dénudé, de gros yeux à fleur de tête, le teint d'un bouvier!.. Mais voilà: il est anglomane, anglomane à faire paraître Français le prince de Galles… Il a passé l'année dernière trois mois à Florence, et je l'ai entendu lui-même se vanter de n'avoir pas mis, durant ces trois mois, une chemise qui n'eût été blanchie à Londres. Je vous prie de croire que dans ce monde qui vous fascine tant, un trait pareil fait plus d'honneur à un homme que d'avoir écrit le Nabab ou l'Assommoir, ces deux chefs-d'œuvres… Hé bien! ce personnage plaît à Colette. Il est dans sa loge autant que moi. Il la regarde avec ses yeux de buveur de wisky. C'est lui qui a inventé d'aller, après l'Opéra, en compagnie, boire de cet ignoble alcool dans un bar infect de la rue Lafayette; je vous y mènerai, vous jugerez le pèlerin… Et Colette s'y laisse conduire, et Colette va en coupé avec lui… – Ah çà! me dit-elle, vous n'allez pas en être jaloux, de celui-là? D'abord il sent le gin… – Elles vous disent cela, ces femelles, elles vous salissent jusque dans sa vie physique celui avec qui elles ont couché hier… Bref, ce matin, j'étais chez elle. Que voulez-vous? Je savais tout cela et je n'y croyais pas. Un Salvaney! Si vous le voyiez, vous comprendriez que ce n'est, en effet, pas croyable, et elle, vous la connaissez, avec ses beaux yeux tendres, sa beauté si fine, sa bouche à la Botticelli… Ah! quelle pitié!.. Oui, j'étais chez elle… On apporte une lettre. Le domestique, un nouveau venu et très mal stylé, dit stupidement: – C'est de M. Salvaney, on attend la réponse… – Elle venait de me jurer, entre deux baisers, qu'il ne s'était rien passé entre eux, rien, pas même une ombre d'ombre de cour. Elle tenait la lettre à la main. Je me dis, oui, j'eus la niaiserie de me dire: Elle va me tendre la lettre et j'y trouverai la preuve écrite qu'elle ne m'a pas menti, une preuve certaine, puisque Salvaney ne pouvait pas savoir que je verrais cette lettre. Elle tenait la lettre et elle me regardait. – C'est bien, fit-elle, je vais répondre. Vous permettez? ajouta-t-elle, et elle passa dans l'autre chambre… avec sa lettre! Vous croyez sans doute que j'ai pris mon chapeau et ma canne, et que je suis parti pour ne plus revenir, en me disant: Voilà une grande coquine!.. Je suis resté, mon cher ami; elle est revenue, elle a sonné, rendu la réponse au domestique, puis elle s'est avancée vers moi: Vous êtes fâché? m'a-t-elle dit. – Un silence. – Vous avez eu envie de lire cette lettre? – Un silence encore. – Non, continua-t-elle en fronçant ses jolis sourcils, vous ne la lirez pas, je l'ai brûlée. Elle ne contenait rien que la demande d'un échantillon d'étoffe pour un déguisement de bal, mais je veux que vous me croyiez sur parole… – Et ce fut dit, ce fut joué!.. Elle n'a jamais eu plus de talent. Ce que je lui ai répondu, ne me le demandez pas. Je l'ai traitée comme la dernière des dernières. Tout ce que j'ai dans le cœur pour elle de rancunes, de dégoûts et de mépris, je le lui ai craché à la figure, et puis, comme elle pleurait, je l'ai prise dans mes bras et je l'ai possédée, là, sur le canapé de ce fumoir où elle venait de me mentir ainsi et moi de l'insulter comme une fille… Suis-je assez bas?.. »

      – « Mais vos soupçons étaient-ils justes? » demanda René.

      – « S'ils étaient justes!.. » répondit Claude, avec cet accent de cruel triomphe que prennent les jaloux, lorsque leur affreuse frénésie de tout savoir les a conduits à reconnaître le bien fondé de leurs pires hypothèses. « Savez-vous ce que le billet de Salvaney demandait? Un rendez-vous… Et celui de Colette? Il fixait le rendez-vous… Je le sais, je l'ai fait suivre, oui, j'ai commis cette vilenie. Au sortir de la répétition, elle est allée chez lui, et elle y était encore à huit heures. »

      – « Et vous ne rompez pas avec elle? » dit Vincy.

      – « C'est fait, » répliqua Claude, « et pour toujours, je vous en donne ma parole. Seulement, je veux lui dire ce que je pense d'elle, une dernière fois. Ah! la gueuse! mais vous verrez comment je la traiterai ce soir… »

      La lamentation de Claude trahissait une telle souffrance que l'allégresse de René en fut du coup toute diminuée… Le sentiment de pitié pour cet homme auquel il était profondément attaché, par ce lien de la reconnaissance si doux à un jeune cœur, se mélangeait à l'impression de dégoût que lui causait la honteuse duplicité de Colette. À ce moment, un obscur remords lui vint aussi, à se rappeler par contraste, le visage pur et

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