Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon
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Le prince de Ligne mourut, il y a trois jours; il étoit assez vieux; sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux théatin, nommé le P. Vintimille, fut chassé; il étoit intrigant, à ce qu'on dit, des amis de feu don Juan, et ennemi déclaré de la reine mère; il eût fort souhaité d'être confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit pas fait des scrupules de rien; il est ami de la connétable Colonne que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je les commencerai bientôt, et la verrai des premières. Elle ne sort point de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise de los Balbasès, sa belle-sœur; mais cela ne sera pas.
Le duc d'Ossone continue de ne pas aller à la cour.
Il y a très-souvent, ce qu'on appelle des cérémonies de chapelle, dans l'église qui touche la maison où leurs majestés sont à présent; on voit la reine à travers les barreaux d'une tribune; elle est très-magnifiquement parée, aussi bien que toutes les dames: ce lieu d'oraison n'est pas moins chéri d'elles. La fête de Noël est solemnisée dans le palais par des parures extraordinaires, et la comédie sur les quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame, qu'il n'y a lieu au monde où je voulusse être qu'en Espagne, tant que M. de Villars y sera, cela s'entend; voilà la pure vérité.
LETTRE VI
Je vous rendis compte par ma dernière lettre des visites que j'avais reçues; je n'entrerai point dans le détail de celles que je rends. J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que par tu et toi; c'est une marque d'amitié. Nous commençons à nous tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est plus grosse. Dès le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine allèrent au Pardo, jolie maison à deux lieues d'ici; elle eut le plaisir de monter un peu à cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son mari. Son entrée se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des magnificences extraordinaires. Leurs majestés quitteront le Retiro, et iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort doré et très-bien meublé; nous l'allâmes voir l'autre jour. Quand elle y sera, et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanité m'aiment assez, croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un peu contribuer à leur faire faire leur cour; mais, ma chère madame, entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je voudrois me mettre entièrement hors de portée d'aucun soupçon. Je vous prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu où vous êtes, si l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien qu'on ne prendra pas la peine de songer à ce que je fais ou ne fais pas, à moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de milieu entre voir la reine très-souvent, ou ne la voir que très-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons qui ne seront guère vraisemblables, puisque le roi, la reine mère, et la camarera mayor font paroître qu'ils sont très-aises que je sois souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice d'Allemagne étoit tous les jours avec la reine mère, ne parlant ensemble qu'allemand. Vous voyez donc que, du côté de cette cour, tout veut que je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France l'approuve, rien ne me peut empêcher de retirer mes troupes, et de laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie encore une fois de tâcher de savoir ce que vous pourrez là-dessus. Cette jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manière d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie où est la reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.
Le lendemain de l'entrée, il y aura une fête le soir, que l'on nomme mascarade, où tous les grands de la cour courent deux à deux dans une lice avec un flambeau à la main. Le roi court avec son grand écuyer. Ce sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau à dépeindre qu'à voir. Un autre jour, ce sera juego de cagnas; je ne sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande fête, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-là, je crois que ce sera une très-belle chose. Des Grands, des fils de Grands tauricideront. La magnificence du train et des livrées sera, à ce qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai peut-être quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur mon balcon. Hélas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, même quand la fête seroit ennuyeuse.
Je ne me suis point encore habillée à l'espagnole, quoique j'aie fait faire deux habits. La reine mère aime tout-à-fait l'habit à la françoise, et toutes les dames aussi; c'est-à-dire, les manteaux principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.
Il fait aussi froid ici qu'à Paris; j'espère qu'il n'y fera pas plus chaud.
Le marquis de Flamarens est à Madrid avec l'habit espagnol et la honille.
14
Apparitions.