Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon

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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon

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elle est toujours aise que la reine sa belle-fille se divertisse. Elle lui donna même occasion de me venir parler auprès d'une fenêtre; mais je m'en retirai bientôt. Elle me demanda si je n'avois point reçu de vos lettres.

      Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent à Madrid; en voilà deux en six semaines, qui étoient plus jeunes que moi15. J'aimerois autant que la mort en eût pris de quelqu'autre état. On me dit qu'on ne peut résister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je songe à mesdames de Schornberg et de la Fayette, qui cherchent et qui trouvent des airs tempérés dans leurs maisons de la ville, et dans celles qu'elles choisissent à la campagne. Elles sont toujours malades, sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me porte bien, sans faire aucun remède et sans les croire nécessaires. Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon régime de chocolat, auquel seul je crois devoir ma santé. Je n'en use pas comme une folle et sans précaution. Mon tempérament ne paroît nullement se pouvoir accommoder de cette nourriture. Elle est pourtant admirable et délicieuse. J'en ai fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que, si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre méthodiquement, et vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la santé. Voilà bien parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque mon seul plaisir que d'en prendre.

      La connétable Colonne, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête le jour qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.

      J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de madame de Sévigné. Je ne saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai fait lire à la reine l'endroit où madame de Sévigné parle d'elle et de ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire quelques tours de chambre, et à huit heures et demie tous les soirs, à la conduire dans son lit. Elle m'a ordonné de vous faire à toutes deux bien des amitiés. Elle étoit hier belle comme un ange, accablée, sans se plaindre, d'une parure d'émeraudes et de diamans sur la tête, c'est-à-dire, mille poinçons; de furieux pendans d'oreilles; et devant elle et autour d'elle en écharpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez que les émeraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet; Détrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on puisse voir; sa gorge blanche et très-belle. Elle étoit un peu plus parée qu'à l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donné audience le matin au connétable Colonne, et qu'en le voyant et l'entendant parler, elle avoit été bien persuadée de la folie de sa femme. Il est fait à peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par l'air dont il laissoit vivre sa femme à Rome. La reine me demanda fort des nouvelles de madame de Grignan16, et si elle ne reviendroit point cet hiver à Paris.

      Si trois semaines après que vous aurez reçu cette lettre, vous envoyez un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des Petits-Pères, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne sont pas arrivés d'Espagne. Ces pères ont pour vous une petite boîte où il y a le plus petit présent du monde. Faites pourtant cas des tasses de boucaro. J'ai, en vérité, quelque sorte de honte, non du petit présent, mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas à quelqu'un qui est à Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les journées sont remplies d'occupations agréables ou soi-disantes.

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      LETTRE X

Madrid, 21 mars 1680.

      Je veux vous parler d'une promenade où je fus hier, qui est la plus ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait déjà beaucoup ici. C'est dans cette rivière si vantée du Mançanarès: au pied de la lettre, la poussière commence à y être si grande, qu'elle incommode déjà beaucoup. Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-là, mais pas assez pour qu'on en puisse arroser des sables menus, qui s'élèvent sous les pieds des chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vérité assez extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivière, parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait bâtir sur ce Mançanarès. Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et l'on ne peut s'empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivière. Je pensois que je pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voilà bien davantage.

      Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent ce jour-là chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et après-dîner, M. de Villars et moi nous les menâmes dans mon carrosse hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir à la reine qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne lui dire point adieu. Dès les sept heures, elle les demanda; elles n'y étoient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vînt dire de l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en vérité, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front, renoués en grosses boucles; des rubans couleur de rose à sa cornette et dessus sa tête, point barbouillée de rouge, comme il faut qu'elle le soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre à la françoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se considéra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la remit. Il paroissoit à ses yeux qu'elle avoit bien pleuré. Comme elle commençoit à me parler, le roi entra; et c'est ici une loi établie, que, quand sa majesté entre dans la chambre de la reine, toutes les dames qui s'y trouvent, en sortent aussitôt, si ce n'est la camarera mayor et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on demandoit des cartes, et je conjecturai par là que la reine s'alloit fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et où l'on peut perdre une pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si elle étoit ravie de cette occupation. Il lui est resté deux des femmes qu'elle a amenées, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une Provençale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir diminuer le nombre des François; car il ne peut celer qu'il hait au dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille nommée Martin, jolie, belle et sage. On ne les a pas chassées; mais on leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger d'en sortir. Joignez à cela les marques que le roi leur donnoit de son aversion.

      M. de Villars me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on appelle en France fille d'honneur. Elle en a dix. L'on en prend tous les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc d'Albe. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de pierreries. Celle-ci servant la collation à la reine, comme les autres, reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au côté avec un gros nœud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien tué un homme: il étoit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien poli et bien monté. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de le remarquer; peut-être ne fis-je pas ma cour à la fille, qui ne portoit pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prétendre pas quelque louange.

      Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les cloîtres du palais. Je la vis par une petite fenêtre devant laquelle elle passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande robe de cérémonie, des manches pendantes, une longue queue portée par la camarera

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<p>15</p>

Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.

<p>16</p>

Fille de madame de Sévigné.