Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile. Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

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Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile - Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

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Etalon, vigoureux, découplé, l'œil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les nazeaux, bondissant de desirs et d'impatience, ou fendant l'air, qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon Danseur.

      Et quand je crayonne un art, c'est parmi les plus grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles, tous les efforts du génie… mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville… ou plutôt, Monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberois dans le défaut reproché trop justement à nos François, de toujours faire de petites Chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites.

      Je suis, avec le plus profond respect,

      MONSIEUR,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,L'AUTEUR.

      PERSONNAGES

(Les habits des Acteurs doivent être dans l'ancien costume Espagnol.)

      LE COMTE ALMAVIVA, Grand d'Espagne, Amant inconnu de Rosine, paroît au premier Acte en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun, ou cape espagnole; chapeau noir rabattu avec un ruban de couleur au tour de la forme. Au 2e Acte: habit uniforme de cavalier avec des moustaches et des bottines. Au 3e habillé en Bachelier; cheveux ronds; grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'Abbé. Au 4e Acte, il est vêtu superbement à l'Espagnol avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé.

      BARTHOLO, Médecin, Tuteur de Rosine: habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate.

      ROSINE, jeune personne d'extraction noble, et Pupille de Bartholo; habillée à l'Espagnole.

      FIGARO20, Barbier de Séville: en habit de Majo21 Espagnol. La tête couverte d'une rescille, ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur, autour de la forme; un fichu de soie, attaché fort lâche à son cou; gilet et haut de chausse de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie; les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris.

      DON BAZILE22, Organiste, Maître à chanter de Rosine; chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes.

      LA JEUNESSE, vieux Domestique de Bartholo.

      L'ÉVEILLÉ, autre Valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par derriere.

      UN NOTAIRE.

      UN ALCADE, Homme de Justice, avec une longue baguette blanche à la main.

      PLUSIEURS ALGOUAZILS et VALETS avec des flambeaux.

      La Scène est à Séville23, dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier Acte, et le reste de la Pièce, dans la Maison du Docteur Bartholo.

      On trouve chez le même Libraire la Musique du Barbier de Séville gravée in-fol. Prix 3 liv. 12 s.24

      ACTE PREMIER

Le Théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grilléesSCENE PREMIERELE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant

      Le jour est moins avancé que je ne croyois. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop-tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un Espagnol du tems d'Isabelle25. – Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. – Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? – Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même; et si je pouvois m'assurer, sous ce déguisement… Au diable l'importun.

SCENE IIFIGARO, LE COMTE, caché

      FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement26, un papier et un crayon à la main.

      Bannissons le chagrin,

      Il nous consume:

      Sans le feu du bon vin,

      Qui nous rallume,

      Réduit à languir,

      L'homme, sans plaisir,

      Vivroit comme un sot,

      Et mourroit bientôt.

      Jusques-là27, ceci ne va pas mal, ein, ein.

      Et mourroit bientôt.

      Le vin et la paresse

      Se disputent mon cœur…

      Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y regnent paisiblement ensemble…

Se partagent … mon cœur

      Dit-on se partagent?.. Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'Opéras Comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.

(Il chante.)

      Le vin et la paresse

      Se partagent mon cœur.

      Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant28, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée.

      (Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)

      Se partage mon cœur.

      Si l'une a ma tendresse…

      L'autre fait mon bonheur.

      Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça… Il me faut une opposition, une antithèse:

      Si l'une … est ma maîtresse,

      L'autre…

      Eh, parbleu, j'y suis!..

L'autre est mon serviteur

      Fort bien, Figaro!.. (Il écrit en chantant.)

      Le vin et la paresse

      Se partagent mon cœur;

      Si l'une est ma maîtresse,

      L'autre est mon serviteur.

      L'autre est mon serviteur.

      L'autre est mon serviteur.

      Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens29

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<p>20</p>

L'un des manuscrits du Théâtre-Français orthographie Figaro, tout le long de la pièce, Figuaro.

<p>21</p>

Ce qu'on nomme chez nous un «beau»; mais un «beau» vulgaire, une sorte de coq de village ou d'artisan endimanché.

<p>22</p>

Dans le manuscrit de la Comédie-Française Basile est qualifié «organiste et musicien italien».

<p>23</p>

Capitale de l'Andalousie, dit le manuscrit.

<p>24</p>

Cette petite partition est de nos jours difficile à trouver. La Bibliothèque du Conservatoire de musique en possède un exemplaire, en assez mauvais état, et que nous avons eu sous les yeux. C'est une partition grand in-4º arrangée pour orchestre avec l'indication des jeux de scène, des paroles et des voix. On lit sur la première page cette note manuscrite: On croit que cette musique est de Beaumarchais, et au verso, de la même main: Cette musique est de M. de Beaumarchais. La musique du Barbier n'accompagnant pas, comme dans les Deux Amis, la pièce imprimée, et n'offrant d'ailleurs, à cause de sa médiocrité, aucun véritable intérêt, nous avons jugé inutile de la reproduire.

<p>25</p>

Variante 1.

<p>26</p>

Variante 2.

<p>27</p>

Variante 3.

<p>28</p>

Variante 4.

<p>29</p>

Variante 5.