La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac
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– Et cela?.. dit-elle à sa mère en tendant la lettre.
– Cela! s'écria la duchesse en riant, c'est le papier du Jockey-club, tout le monde écrit sur du papier à couronne, bientôt nos épiciers seront titrés…
La prudente mère lança dans le feu le papier malencontreux. Quand Calyste et Dommanget arrivèrent, la duchesse, qui venait de donner des instructions aux gens, en fut avertie; elle laissa Sabine aux soins de madame de Portenduère, et arrêta dans le salon l'accoucheur et Calyste.
– Il s'agit de la vie de Sabine, monsieur, dit-elle à Calyste, vous l'avez trahie pour madame de Rochefide…
Calyste rougit comme une jeune fille encore honnête prise en faute.
– Et, dit la duchesse en continuant, comme vous ne savez pas tromper, vous avez fait tant de gaucheries que Sabine a tout deviné; mais j'ai tout réparé. Vous ne voulez pas la mort de ma fille, n'est-ce pas?.. Tout ceci, monsieur Dommanget, vous met sur la voie de la vraie maladie et de sa cause… Quant à vous, Calyste, une vieille femme comme moi conçoit votre erreur, mais sans la pardonner. De tels pardons s'achètent par toute une vie de bonheur. Si vous voulez que je vous estime, sauvez d'abord ma fille; puis oubliez madame de Rochefide, elle n'est bonne à avoir qu'une fois!.. sachez mentir, ayez le courage du criminel et son impudence. J'ai bien menti, moi, qui serai forcée de faire de rudes pénitences pour ce péché mortel!..
Et elle le mit au fait des mensonges qu'elle venait d'inventer. L'habile accoucheur, assis au chevet de la malade, étudiait déjà dans les symptômes les moyens de parer au mal. Pendant qu'il ordonnait des mesures dont le succès dépendait de la plus grande rapidité dans l'exécution, Calyste, assis au pied du lit, tint ses yeux sur Sabine en essayant de donner une vive expression de tendresse à son regard.
– C'est donc le jeu qui vous a cerné les yeux comme ça?.. dit-elle d'une voix faible.
Cette phrase fit frémir le médecin, la mère et la vicomtesse, qui s'entre-regardèrent à la dérobée. Calyste devint rouge comme une cerise.
– Voilà ce que c'est que de nourrir, dit spirituellement et brutalement Dommanget. Les maris s'ennuient d'être séparés de leurs femmes, ils vont au club, et ils jouent… Mais ne regrettez pas les trente mille francs que monsieur le baron a perdus cette nuit-ci.
– Trente mille francs!.. s'écria niaisement Ursule.
– Oui, je le sais, répliqua Dommanget. On m'a dit ce matin chez la jeune duchesse Berthe de Maufrigneuse que c'est monsieur de Trailles qui vous les a gagnés, dit-il, à Calyste. Comment pouvez-vous jouer avec un pareil homme? Franchement, monsieur le baron, je conçois votre honte.
En voyant sa belle-mère, une pieuse duchesse, la jeune vicomtesse, une femme heureuse, et un vieil accoucheur, un égoïste, mentant comme des marchands de curiosités, le bon et noble Calyste comprit la grandeur du péril, et il lui coûta deux grosses larmes qui trompèrent Sabine.
– Monsieur, dit-elle en se dressant sur son séant et regardant Dommanget avec colère, monsieur du Guénic peut perdre trente, cinquante, cent mille francs, s'il lui plaît, sans que personne ait à le trouver mauvais et à lui donner des leçons. Il vaut mieux que monsieur de Trailles lui ait gagné de l'argent que nous, nous en ayons gagné à monsieur de Trailles.
Calyste se leva, prit sa femme par le cou, la baisa sur les deux joues, et lui dit à l'oreille: Sabine, tu es un ange!..
Deux jours après on regarda la jeune femme comme sauvée. Le lendemain Calyste était chez madame de Rochefide, et s'y faisait un mérite de son infamie.
– Béatrix, lui disait-il, vous me devez le bonheur. Je vous ai livré ma pauvre femme, elle a tout découvert. Ce fatal papier sur lequel vous m'avez fait écrire, et qui portait votre nom et votre couronne que je n'avais pas vus!.. Je ne voyais que vous!.. Le chiffre heureusement, votre B. était effacé par hasard. Mais le parfum que vous avez laissé sur moi, mais les mensonges dans lesquels je me suis entortillé comme un sot, ont trahi mon bonheur. Sabine a failli mourir, le lait est monté à la tête, elle a un érésipèle, peut-être en portera-t-elle les marques pendant toute sa vie…
En écoutant cette tirade, Béatrix eut une figure plein Nord à faire prendre la Seine si elle l'avait regardée.
– Eh bien, tant mieux, répondit-elle, ça vous la blanchira peut-être.
Et Béatrix, devenue sèche comme ses os, inégale comme son teint, aigre comme sa voix, continua sur ce ton par une kyrielle d'épigrammes atroces. Il n'y a pas de plus grande maladresse pour un mari que de parler de sa femme, quand elle est vertueuse, à sa maîtresse, si ce n'est de parler de sa maîtresse, quand elle est belle, à sa femme. Mais Calyste n'avait pas encore reçu cette espèce d'éducation parisienne qu'il faut nommer la politesse des passions. Il ne savait ni mentir à sa femme ni dire à sa maîtresse la vérité, deux apprentissages à faire pour pouvoir conduire les femmes. Aussi fut-il obligé d'employer toute la puissance de la passion pour obtenir de Béatrix un pardon sollicité pendant deux heures, refusé par un ange courroucé qui levait les yeux au plafond pour ne pas voir le coupable, et qui débitait les raisons particulières aux marquises d'une voix parsemée de petites larmes très-ressemblantes, furtivement essuyées avec la dentelle du mouchoir.
– Me parler de votre femme presque le lendemain de ma faute!.. Pourquoi ne me dites-vous pas qu'elle est une perle de vertu! Je le sais, elle vous trouve beau par admiration! en voilà de la dépravation! Moi, j'aime votre âme! car, sachez-le bien, mon cher, vous êtes affreux, comparé à certains pâtres de la Campagne de Rome! etc.
Cette phraséologie peut surprendre, mais elle constituait un système profondément médité par Béatrix. A sa troisième incarnation, car à chaque passion on devient tout autre, une femme s'avance d'autant dans la rouerie, seul mot qui rende bien l'effet de l'expérience que donnent de telles aventures. Or, la marquise de Rochefide s'était jugée à son miroir. Les femmes d'esprit ne s'abusent jamais sur elles-mêmes; elles comptent leurs rides, elles assistent à la naissance de la patte d'oie, elles voient poindre leurs grains de millet, elles se savent par cœur, et le disent même trop par la grandeur de leurs efforts à se conserver. Aussi, pour lutter avec une splendide jeune femme, pour remporter sur elle six triomphes par semaine, Béatrix avait-elle demandé ses avantages à la science des courtisanes. Sans s'avouer la noirceur de ce plan, entraînée à l'emploi de ces moyens par une passion turque pour le beau Calyste, elle s'était promis de lui faire croire qu'il était disgracieux, laid, mal fait, et de se conduire comme si elle le haïssait.
Nul système n'est plus fécond avec les hommes d'une nature conquérante. Pour eux, trouver ce savant dédain à vaincre, n'est-ce pas le triomphe du premier jour recommencé tous les lendemains? C'est mieux, c'est la flatterie cachée sous la livrée de la haine, et lui devant la grâce, la vérité dont sont revêtues toutes les métamorphoses par les sublimes poëtes inconnus qui les ont inventées. Un homme ne se dit-il pas alors: – Je suis irrésistible! Ou – J'aime bien, car je dompte sa répugnance.
Si vous niez ce principe deviné par les coquettes et les courtisanes de toutes les zones sociales, nions les pourchasseurs de science, les chercheurs de secrets, repoussés pendant des années dans leur duel avec les causes secrètes.
Béatrix avait doublé l'emploi du mépris comme piston moral, de la comparaison perpétuelle d'un chez soi poétique, confortable, opposé par elle à l'hôtel du