La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac

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depuis François Ier qui jugea nécessaire d'anoblir le valet de chambre de Louis XI, et nous sommes comtes depuis Catherine de Médicis.

      – Je recevrai, je patronerai votre femme, dit solennellement la duchesse, et les miens ne lui tourneront pas le dos, je vous en donne ma parole.

      – Ah! madame la duchesse, s'écrie Maxime visiblement ému, si monsieur le duc daigne aussi me traiter avec quelque bonté, je vous promets, moi, de faire réussir votre plan sans qu'il vous en coûte grand'chose. Mais, reprit-il après une pause, il faut prendre sur vous d'obéir à mes instructions… Voici la dernière intrigue de ma vie de garçon, elle doit être d'autant mieux menée qu'il s'agit d'une belle action, dit-il en souriant.

      – Vous obéir?.. dit la duchesse. Je paraîtrai donc dans tout ceci.

      – Ah! madame, je ne vous compromettrai point, s'écria Maxime, et je vous estime trop pour prendre des sûretés. Il s'agit uniquement de suivre mes conseils. Ainsi, par exemple, il faut que du Guénic soit emmené comme un corps saint par sa femme, qu'il soit deux ans absent, qu'elle lui fasse voir la Suisse, l'Italie, l'Allemagne, enfin le plus de pays possible…

      – Ah! vous répondez à une crainte de mon directeur, s'écria naïvement la duchesse en se souvenant de la judicieuse objection de l'abbé Brossette.

      Maxime et d'Ajuda ne purent s'empêcher de sourire à l'idée de cette concordance entre le ciel et l'enfer.

      – Pour que madame de Rochefide ne revoie plus Calyste, reprit-elle, nous voyagerons tous, Juste et sa femme, Calyste et Sabine, et moi. Je laisserai Clotilde avec son père…

      – Ne chantons pas victoire, madame, dit Maxime, j'entrevois d'énormes difficultés, je les vaincrai sans doute. Votre estime et votre protection sont un prix qui va me faire faire de grandes saletés; mais ce sera les…

      – Des saletés? dit la duchesse en interrompant ce moderne condottiere et montrant dans sa physionomie autant de dégoût que d'étonnement.

      – Et vous y tremperez, madame, puisque je suis votre procureur. Mais ignorez-vous donc à quel degré d'aveuglement madame de Rochefide a fait arriver votre gendre?.. je le sais par Nathan et par Canalis entre lesquels elle hésitait alors que Calyste s'est jeté dans cette gueule de lionne! Béatrix a su persuader à ce brave Breton qu'elle n'avait jamais aimé que lui, qu'elle est vertueuse, que Conti fut un amour de tête auquel le cœur et le reste ont pris très peu de part, un amour musical enfin!.. Quant à Rochefide, ce fut du devoir. Ainsi, vous comprenez, elle est vierge! Elle le prouve bien en ne se souvenant pas de son fils, elle n'a pas depuis un an fait la moindre démarche pour le voir. A la vérité, le petit comte a douze ans bientôt, et il trouve dans madame Schontz une mère d'autant plus mère que la maternité, vous le savez, est la passion de ces filles. Du Guénic se ferait hacher et hacherait sa femme pour Béatrix! Et vous croyez qu'on retire facilement un homme quand il est au fond du gouffre de la crédulité?.. Mais, madame, le Yago de Shakspeare y perdrait tous ses mouchoirs. L'on croit qu'Othello, que son cadet Orosmane, que Saint-Preux, René, Werther et autres amoureux en possession de la renommée, représentent l'amour! Jamais leurs pères à cœur de verglas n'ont connu ce qu'est un amour absolu, Molière seul s'en est douté. L'amour, madame la duchesse, ce n'est pas d'aimer une noble femme, une Clarisse, le bel effort, ma foi!.. L'amour, c'est de se dire: «Celle que j'aime est une infâme, elle me trompe, elle me trompera, c'est une rouée, elle sent toutes les fritures de l'enfer…» Et d'y courir, et d'y trouver le bleu de l'éther, les fleurs du paradis. Voilà comme aimait Molière, voilà comme nous aimons, nous autres mauvais sujets; car, moi, je pleure à la grande scène d'Arnolphe!.. Et voilà comment votre gendre aime Béatrix!.. J'aurai de la peine à séparer Rochefide de madame Schontz, mais madame Schontz s'y prêtera sans doute; je vais étudier son intérieur. Quant à Calyste et à Béatrix, il leur faut des coups de hache, des trahisons supérieures et d'une infamie si basse que votre vertueuse imagination n'y descendrait pas, à moins que votre directeur ne vous donnât la main… Vous avez demandé l'impossible, vous serez servie… Et, malgré mon parti pris d'employer le fer et le feu, je ne vous promets pas absolument le succès. Je sais des amants qui ne reculent pas devant les plus affreux désillusionnements. Vous êtes trop vertueuse pour connaître l'empire que prennent les femmes qui ne le sont pas…

      – N'entamez pas ces infamies sans que j'aie consulté l'abbé Brossette pour savoir jusqu'à quel point je suis votre complice, s'écria la duchesse avec une naïveté qui découvrit tout ce qu'il y a d'égoïsme dans la dévotion.

      – Vous ignorerez tout, ma chère mère, dit le marquis d'Ajuda.

      Sur le perron, pendant que la voiture du marquis avançait, d'Ajuda dit à Maxime: – Vous avez effrayé cette bonne duchesse.

      – Mais elle ne se doute pas de la difficulté de ce qu'elle demande!.. – Allons-nous au Jockey-club? Il faut que Rochefide m'invite à dîner pour demain chez la Schontz, car cette nuit mon plan sera fait et j'aurai choisi sur mon échiquier les pions qui marcheront dans la partie que je vais jouer. Dans le temps de sa splendeur, Béatrix n'a pas voulu me recevoir, je solderai mon compte avec elle, et je vengerai votre belle-sœur si cruellement qu'elle se trouvera peut-être trop vengée…

      Le lendemain, Rochefide dit à madame Schontz qu'ils auraient à dîner Maxime de Trailles. C'était la prévenir de déployer son luxe et de préparer la chère la plus exquise pour ce connaisseur émérite que redoutaient toutes les femmes du genre de madame Schontz; aussi songea-t-elle autant à sa toilette qu'à mettre sa maison en état de recevoir ce personnage.

      A Paris, il existe presque autant de royautés qu'il s'y trouve d'arts différents, de spécialités morales, de sciences, de professions; et le plus fort de ceux qui les pratiquent a sa majesté qui lui est propre; il est apprécié, respecté par ses pairs qui connaissent les difficultés du métier, et dont l'admiration est acquise à qui peut s'en jouer. Maxime était aux yeux des rats et des courtisanes un homme excessivement puissant et capable, car il avait su se faire prodigieusement aimer. Il était admiré par tous les gens qui savaient combien il est difficile de vivre à Paris en bonne intelligence avec des créanciers; enfin il n'avait pas eu d'autre rival en élégance, en tenue et en esprit, que l'illustre de Marsay qui l'avait employé dans des missions politiques. Ceci suffit à expliquer son entrevue avec la duchesse, son prestige chez madame Schontz, et l'autorité de sa parole dans une conférence qu'il comptait avoir sur le boulevard des Italiens avec un jeune homme déjà célèbre, quoique nouvellement entré dans la Bohême.

      Le lendemain, à son lever, Maxime de Trailles entendit annoncer Finot qu'il avait mandé la veille, il le pria d'arranger le hasard d'un déjeuner au Café Anglais où Finot, Couture et Lousteau babilleraient près de lui. Finot, qui se trouvait vis-à-vis du comte de Trailles dans la position d'un colonel devant un maréchal de France, ne pouvait lui rien refuser; il était d'ailleurs trop dangereux de piquer ce lion. Aussi, quand Maxime vint déjeuner, vit-il Finot et ses deux amis attablés, la conversation avait déjà mis le cap sur madame Schontz. Couture, bien manœuvré par Finot et par Lousteau qui fut à son insu le compère de Finot, apprit au comte de Trailles tout ce qu'il voulait savoir sur madame Schontz.

      Vers une heure, Maxime mâchonnait son cure-dents en causant avec du Tillet sur le perron de Tortoni où se tient cette petite Bourse, préface de la grande. Il paraissait occupé d'affaires, mais il attendait le jeune comte de La Palférine qui, dans un temps donné, devait passer par là. Le boulevard des Italiens est aujourd'hui ce qu'était le Pont-Neuf en 1650, tous les gens connus le traversent au moins une fois par jour. En effet, au bout de dix minutes, Maxime quitta le bras de du Tillet en faisant un signe de tête au jeune prince de la Bohême, et lui dit en souriant: – A moi, comte, deux mots!..

      Les deux rivaux, l'un astre à son déclin, l'autre un soleil à son lever, allèrent s'asseoir sur quatre chaises

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