La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac
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– Ma chère enfant, dit Maxime en entrant et en embrassant madame Schontz au front, Rochefide a voulu me faire voir votre nouvel établissement où je n'étais pas encore venu; mais c'est presque en harmonie avec ses quatre cent mille francs de rente… Eh bien, il s'en fallait de cinquante qu'il ne les eût, quand il vous a connue, et en moins de cinq ans vous lui avez fait gagner ce qu'une autre, une Antonia, une Malaga, Cadine ou Florentine lui auraient mangé.
– Je ne suis pas une fille, je suis une artiste! dit madame Schontz avec une espèce de dignité. J'espère bien finir, comme dit la comédie, par faire souche d'honnêtes gens…
– C'est désespérant, nous nous marions tous, reprit Maxime en se jetant dans un fauteuil au coin du feu. Me voilà bientôt à la veille de faire une comtesse Maxime.
– Oh! comme je voudrais la voir!.. s'écria madame Schontz. Mais permettez-moi, dit-elle, de vous présenter monsieur Claude Vignon. – Monsieur Claude Vignon, monsieur de Trailles!..
– Ah! c'est vous qui avez laissé Camille Maupin, l'aubergiste de la littérature, aller dans un couvent?.. s'écria Maxime. Après vous, Dieu!.. Je n'ai jamais reçu pareil honneur. Mademoiselle des Touches vous a traité, monsieur, en Louis XIV…
– Et voilà comme on écrit l'histoire!.. répondit Claude Vignon, ne savez-vous pas que sa fortune a été employée à dégager les terres de monsieur du Guénic?.. Si elle savait que Calyste est à son ex-amie… (Maxime poussa le pied au critique en lui montrant monsieur de Rochefide)… elle sortirait de son couvent, je crois, pour le lui arracher.
– Ma foi, Rochefide, mon ami, dit Maxime en voyant que son avertissement n'avait pas arrêté Claude Vignon, à ta place, je rendrais à ma femme sa fortune, afin qu'on ne crût pas dans le monde qu'elle s'attaque à Calyste par nécessité.
– Maxime a raison, dit madame Schontz en regardant Arthur qui rougit excessivement. Si je vous ai gagné quelques mille francs de rentes, vous ne sauriez mieux les employer. J'aurai fait le bonheur de la femme et du mari, en voilà un chevron!..
– Je n'y avais jamais pensé, répondit le marquis; mais on doit être gentilhomme avant d'être mari.
– Laisse-moi te dire quand il sera temps d'être généreux, dit Maxime.
– Arthur! dit Aurélie, Maxime a raison. Vois-tu, mon bon homme, nos actions généreuses sont comme les actions de Couture, dit-elle en regardant à la glace pour voir quelle personne arrivait, il faut les placer à temps.
Couture était suivi de Finot. Quelques instants après, tous les convives furent réunis dans le beau salon bleu et or de l'hôtel Schontz; tel était le nom que les artistes donnaient à leur auberge depuis que Rochefide l'avait achetée à sa Ninon II. En voyant entrer La Palférine qui vint le dernier, Maxime alla vers lui, l'attira dans l'embrasure d'une croisée et lui remit les vingt billets de banque.
– Surtout, mon petit, ne les ménage pas, dit-il avec la grâce particulière aux mauvais sujets.
– Il n'y a que vous pour savoir ainsi les doubler!.. répondit La Palférine.
– Es-tu décidé?
– Puisque je prends, répondit le jeune comte avec hauteur et raillerie.
– Eh bien, Nathan, que voici, te présentera dans deux jours chez madame la marquise de Rochefide, lui dit-il à l'oreille.
La Palférine fit un bond en entendant le nom.
– Ne manque pas de te dire amoureux-fou d'elle; et, pour ne pas éveiller de soupçons, bois du vin, des liqueurs à mort! Je vais dire à Aurélie de te mettre à côté de Nathan. Seulement, mon petit, il faudra maintenant nous rencontrer tous les soirs, sur le boulevard de la Madeleine, à une heure du matin, toi pour me rendre compte de tes progrès, moi pour te donner des instructions.
– On y sera, mon maître… dit le jeune comte en s'inclinant.
– Comment nous fais-tu dîner avec un drôle habillé comme un premier garçon de restaurant? demanda Maxime à l'oreille de madame Schontz en lui désignant du Ronceret.
– Tu n'as donc jamais vu l'Héritier? Du Ronceret d'Alençon.
– Monsieur, dit Maxime à Fabien, vous devez connaître mon ami d'Esgrignon?
– Il y a longtemps que Victurnien ne me connaît plus, répondit Fabien; mais nous avons été très liés dans notre première jeunesse.
Le dîner fut un de ceux qui ne se donnent qu'à Paris, et chez ces grandes dissipatrices, car elles surprennent les gens les plus difficiles. Ce fut à un souper semblable, chez une courtisane belle et riche comme madame Schontz, que Paganini déclara n'avoir jamais fait pareille chère chez aucun souverain, ni bu de tels vins chez aucun prince, ni entendu de conversation si spirituelle, ni vu reluire de luxe si coquet.
Maxime et madame Schontz rentrèrent dans le salon les premiers, vers dix heures, en laissant les convives qui ne gazaient plus les anecdotes et qui se vantaient leurs qualités en collant leurs lèvres visqueuses au bord des petits verres sans pouvoir les vider.
– Eh bien, ma petite, dit Maxime, tu ne t'es pas trompée, oui, je viens pour tes beaux yeux, il s'agit d'une grande affaire, il faut quitter Arthur; mais je me charge de te faire offrir deux cent mille francs par lui.
– Et pourquoi le quitterais-je, ce pauvre homme?
– Pour te marier avec cet imbécile venu d'Alençon exprès pour cela. Il a été déjà juge, je le ferai nommer président à la place du père de Blondet qui va sur quatre-vingt-deux ans; et, si tu sais mener ta barque, ton mari deviendra député. Vous serez des personnages et tu pourras enfoncer madame la comtesse du Bruel…
– Jamais! dit madame Schontz, elle est comtesse.
– Est-il d'étoffe à devenir comte?..
– Tiens, il a des armes, dit Aurélie en cherchant une lettre dans un magnifique cabas pendu au coin de sa cheminée et la présentant à Maxime, qu'est-ce que cela veut dire? voilà des peignes.
– Il porte coupé au un d'argent à trois peignes de gueules; deux et un, entrecroisés à trois grappes de raisin de pourpre tigées et feuillées de sinople, un et deux; au deux, d'azur à quatre plumes d'or posées en fret, avec SERVIR pour devise et le casque d'écuyer. C'est pas grand'chose, ils ont été anoblis sous Louis XV, ils ont eu quelque grand-père mercier, la ligne maternelle a fait fortune dans le commerce des vins, et le du Ronceret anobli devait être greffier… Mais, si tu réussis à te défaire d'Arthur, les du Ronceret seront au moins barons, je te le promets, ma petite biche. Vois-tu, mon enfant, il faut te faire