La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac
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Maxime ne put s'empêcher de sourire au changement de figure de Calyste qui devint pâle en ouvrant alors les yeux sur sa situation.
– Croiriez-vous, monsieur le baron, que cette ignoble femme a donné sa main à l'homme qui lui a fourni les moyens de se venger?.. Oh! les femmes!.. Vous comprenez maintenant pourquoi Béatrix s'est renfermée avec Arthur pour quelques mois à Nogent-sur-Marne où ils ont une délicieuse petite maison, ils y recouvreront la vue. Pendant ce séjour, on va remettre à neuf leur hôtel où la marquise veut déployer une splendeur princière. Quand on aime sincèrement une femme si noble, si grande, si gracieuse, victime de l'amour conjugal au moment où elle a le courage de revenir à ses devoirs, le rôle de ceux qui l'adorent comme vous l'adorez, qui l'admirent comme je l'admire, est de rester ses amis quand on ne peut plus être que cela… Vous voudrez bien m'excuser si j'ai cru devoir prendre monsieur le comte de Trailles pour témoin de cette explication; mais je tenais beaucoup à être net en tout ceci. Quant à moi, je veux surtout vous dire que si j'admire madame de Rochefide comme intelligence, elle me déplaît souverainement comme femme.
– Voilà donc comment finissent nos plus beaux rêves, nos amours célestes! dit Calyste abasourdi par tant de révélations et de désillusionnements.
– En queue de poisson, s'écria Maxime. Je ne connais pas de premier amour qui ne se termine bêtement. Ah! monsieur le baron, tout ce que l'homme a de céleste ne trouve d'aliment que dans le ciel!.. Voilà ce qui nous donne raison à nous autres roués. Moi, j'ai beaucoup creusé cette question-là, monsieur; et, vous le voyez, je suis marié d'hier, je serai fidèle à ma femme, et je vous engage à revenir à madame du Guénic… dans trois mois. Ne regrettez pas Béatrix, c'est le modèle de ces natures vaniteuses, sans énergie, coquettes par gloriole, c'est madame d'Espard sans sa politique profonde, la femme sans cœur et sans tête, étourdie dans le mal. Madame de Rochefide n'aime qu'elle; elle vous aurait brouillé sans retour avec madame du Guénic, et vous eût planté là sans remords; enfin, c'est incomplet pour le vice comme pour la vertu.
– Je ne suis pas de ton avis, Maxime, dit La Palférine, elle sera la plus délicieuse maîtresse de maison de Paris.
Calyste ne sortit pas sans avoir échangé des poignées de main avec Charles-Édouard et Maxime de Trailles, en les remerciant de ce qu'ils l'avaient opéré de ses illusions.
Trois jours après la duchesse de Grandlieu, qui n'avait pas vu sa fille Sabine depuis la matinée où cette conférence avait eu lieu, survint un matin et trouva Calyste au bain, Sabine auprès de lui travaillait à des ornements nouveaux pour la nouvelle layette.
– Eh bien! que vous arrive-t-il donc, mes enfants? demanda la bonne duchesse.
– Rien que de bon, ma chère maman, répondit Sabine qui leva sur sa mère des yeux rayonnants de bonheur, nous avons joué la fable des deux pigeons! voilà tout.
Calyste tendit la main à sa femme et la lui serra si tendrement, en lui jetant un regard si éloquent, qu'elle dit à l'oreille de la duchesse: – Je suis aimée, ma mère, et pour toujours!
LA GRANDE BRETÈCHE
– Ah! madame, répliqua le docteur, j'ai des histoires terribles dans mon répertoire; mais chaque récit a son heure dans une conversation, selon ce joli mot rapporté par Chamfort et dit au duc de Fronsac: – Il y a dix bouteilles de vin de Champagne entre ta saillie et le moment où nous sommes.
– Mais il est deux heures du matin, et l'histoire de Rosine nous a préparées, dit la maîtresse de la maison.
– Dites, monsieur Bianchon!.. demanda-t-on de tous côtés.
A un geste du complaisant docteur, le silence régna.
– A une centaine de pas environ de Vendôme, sur les bords du Loir, dit-il, il se trouve une vieille maison brune, surmontée de toits très élevés, et si complétement isolée qu'il n'existe à l'entour ni tannerie puante ni méchante auberge, comme vous en voyez aux abords de presque toutes les petites villes. Devant ce logis est un jardin donnant sur la rivière, et où les buis, autrefois ras qui dessinaient les allées, croissent maintenant à leur fantaisie. Quelques saules, nés dans le Loir, ont rapidement poussé comme la haie de clôture, et cachent à demi la maison. Les plantes que nous appelons mauvaises décorent de leur belle végétation le talus de la rive. Les arbres fruitiers, négligés depuis dix ans, ne produisent plus de récolte, et leurs rejetons forment des taillis. Les espaliers ressemblent à des charmilles. Les sentiers, sablés jadis, sont remplis de pourpier; mais, à vrai dire, il n'y a plus trace de sentier. Du haut de la montagne sur laquelle pendent les ruines du vieux château des ducs de Vendôme, le seul endroit d'où l'œil puisse plonger sur cet enclos, on se dit que, dans un temps qu'il est difficile de déterminer, ce coin de terre fit les délices de quelque gentilhomme occupé de roses, de tulipiers, d'horticulture en un mot, mais surtout gourmand de bons fruits. On aperçoit une tonnelle, ou plutôt les débris d'une tonnelle sous laquelle est encore une table que le temps n'a pas entièrement dévorée. A l'aspect de ce jardin qui n'est plus, les joies négatives de la vie paisible dont on jouit en province se devinent, comme on devine l'existence d'un bon négociant en lisant l'épitaphe de sa tombe. Pour compléter les idées tristes et douces qui saisissent l'âme, un des murs offre un cadran solaire orné de cette inscription bourgeoisement chrétienne: Ultimam cogita! Les toits de cette maison sont horriblement dégradés, les persiennes sont toujours closes, les balcons sont couverts de nids d'hirondelles, les portes restent constamment fermées. De hautes herbes ont dessiné par des lignes vertes les fentes des perrons, les ferrures sont rouillées. La lune, le soleil, l'hiver, l'été, la neige ont creusé les bois, gauchi les planches, rongé les peintures. Le morne silence qui règne là n'est troublé que par les oiseaux, les chats, les fouines, les rats et les souris, libres de trotter, de se battre, de se manger. Une invisible main a partout écrit le mot: Mystère. Si, poussé par la curiosité, vous alliez voir cette maison du côté de la rue, vous apercevriez une grande porte de forme ronde par le haut, et à laquelle les enfants du pays ont fait des trous nombreux. J'ai appris plus tard que cette porte était condamnée depuis dix ans. Par ces brèches irrégulières, vous pourriez observer la parfaite harmonie qui existe entre la façade du jardin et la façade de la cour. Le même désordre y règne. Des bouquets d'herbes encadrent les pavés. D'énormes lézardes sillonnent les murs, dont les crêtes noircies sont enlacées par les mille festons de la pariétaire. Les marches du perron sont disloquées, la corde de la cloche est pourrie, les gouttières sont brisées. Quel feu tombé du ciel a passé par là? Quel tribunal a ordonné de semer du sel sur ce logis? – Y a-t-on insulté Dieu? Y a-t-on trahi la France? Voilà ce qu'on se demande. Les reptiles y rampent sans vous répondre. Cette maison vide et déserte est une immense énigme dont le mot n'est connu de personne. Elle était autrefois un petit fief, et porte le nom de la Grande Bretèche. Pendant le temps de son séjour à Vendôme, où Desplein m'avait laissé pour soigner un riche malade, la vue de ce singulier logis devint un de mes plaisirs les plus vifs. N'était-ce pas mieux qu'une ruine? A une ruine se rattachent quelques souvenirs d'une irréfragable authenticité; mais cette habitation encore debout quoique lentement démolie par une main vengeresse, renfermait un secret, une pensée inconnue; elle trahissait un caprice tout au moins. Plus d'une fois, le soir, je me fis aborder à la haie devenue sauvage qui protégeait cet enclos. Je bravais les égratignures, j'entrais dans ce jardin, sans maître, dans cette propriété qui n'était plus ni publique ni particulière; j'y restais des heures entières à contempler son désordre. Je n'aurais pas voulu, pour prix de l'histoire à laquelle sans doute était dû ce spectacle bizarre, faire une seule question à quelque Vendômois bavard. Là, je composais