La religieuse. Dénis Diderot

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La religieuse - Dénis Diderot

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monta, et me dit: «Madame votre mère ordonne que vous vous habilliez…» Une heure après: «Madame veut que vous descendiez avec moi…» Je trouvai à la porte un carrosse où nous montâmes, la domestique et moi; et j'appris que nous allions aux Feuillants, chez le père Séraphin. Il nous attendait; il était seul. La domestique s'éloigna; et moi, j'entrai dans le parloir. Je m'assis inquiète et curieuse de ce qu'il avait à me dire. Voici comme il me parla:

      «Mademoiselle, l'énigme de la conduite sévère de vos parents va s'expliquer pour vous; j'en ai obtenu la permission de madame votre mère. Vous êtes sage; vous avez de l'esprit, de la fermeté; vous êtes dans un âge où l'on pourrait vous confier un secret, même qui ne vous concernerait point. Il y a longtemps que j'ai exhorté pour la première fois madame votre mère à vous révéler celui que vous allez apprendre; elle n'a jamais pu s'y résoudre: il est dur pour une mère d'avouer une faute grave à son enfant; vous connaissez son caractère; il ne va guère avec la sorte d'humiliation d'un certain aveu. Elle a cru pouvoir sans cette ressource vous amener à ses desseins; elle s'est trompée; elle en est fâchée: elle revient aujourd'hui à mon conseil; et c'est elle qui m'a chargé de vous annoncer que vous n'étiez pas la fille de M. Simonin.»

      Je lui répondis sur-le-champ: «Je m'en étais doutée.

      – Voyez à présent, mademoiselle, considérez, pesez, jugez si madame votre mère peut sans le consentement, même avec le consentement de monsieur votre père, vous unir à des enfants dont vous n'êtes point la sœur; si elle peut avouer à monsieur votre père un fait sur lequel il n'a déjà que trop de soupçons.

      – Mais, monsieur, qui est mon père?

      – Mademoiselle, c'est ce qu'on ne m'a pas confié. Il n'est que trop certain, mademoiselle, ajouta-t-il, qu'on a prodigieusement avantagé vos sœurs, et qu'on a pris toutes les précautions imaginables, par les contrats de mariage, par le dénaturer des biens, par les stipulations, par les fidéicommis et autres moyens, de réduire à rien votre légitime, dans le cas que vous puissiez un jour vous adresser aux lois pour la redemander. Si vous perdez vos parents, vous trouverez peu de chose; vous refusez un couvent, peut-être regretterez-vous de n'y pas être.

      – Cela ne se peut, monsieur; je ne demande rien.

      – Vous ne savez pas ce que c'est que la peine, le travail, l'indigence.

      – Je connais du moins le prix de la liberté, et le poids d'un état auquel on n'est point appelée.

      – Je vous ai dit ce que j'avais à vous dire; c'est à vous, mademoiselle, à faire vos réflexions…»

      Ensuite il se leva.

      «Mais, monsieur, encore une question.

      – Tant qu'il vous plaira.

      – Mes sœurs savent-elles ce que vous m'avez appris?

      – Non, mademoiselle.

      – Comment ont-elles donc pu se résoudre à dépouiller leur sœur? car c'est ce qu'elles me croient.

      – Ah! mademoiselle, l'intérêt! l'intérêt! elles n'auraient point obtenu les partis considérables qu'elles ont trouvés. Chacun songe à soi dans ce monde; et je ne vous conseille pas de compter sur elles si vous venez à perdre vos parents; soyez sûre qu'on vous disputera, jusqu'à une obole, la petite portion que vous aurez à partager avec elles. Elles ont beaucoup d'enfants; ce prétexte sera trop honnête pour vous réduire à la mendicité. Et puis elles ne peuvent plus rien; ce sont les maris qui font tout: si elles avaient quelques sentiments de commisération, les secours qu'elles vous donneraient à l'insu de leurs maris deviendraient une source de divisions domestiques. Je ne vois que de ces choses-là, ou des enfants abandonnés, ou des enfants même légitimes, secourus aux dépens de la paix domestique. Et puis, mademoiselle, le pain qu'on reçoit est bien dur. Si vous m'en croyez, vous vous réconcilierez avec vos parents; vous ferez ce que votre mère doit attendre de vous; vous entrerez en religion; on vous fera une petite pension avec laquelle vous passerez des jours, sinon heureux, du moins supportables. Au reste, je ne vous célerai pas que l'abandon apparent de votre mère, son opiniâtreté à vous renfermer, et quelques autres circonstances qui ne me reviennent plus, mais que j'ai sues dans le temps, ont produit exactement sur votre père le même effet que sur vous: votre naissance lui était suspecte; elle ne le lui est plus; et sans être dans la confidence, il ne doute point que vous ne lui apparteniez comme enfant, que par la loi qui les attribue à celui qui porte le titre d'époux. Allez, mademoiselle, vous êtes bonne et sage; pensez à ce que vous venez d'apprendre.»

      Je me levai, je me mis à pleurer. Je vis qu'il était lui-même attendri; il leva doucement les yeux au ciel, et me reconduisit. Je repris la domestique qui m'avait accompagnée; nous remontâmes en voiture, et nous rentrâmes à la maison.

      Il était tard. Je rêvai une partie de la nuit à ce qu'on venait de me révéler; j'y rêvai encore le lendemain. Je n'avais point de père; le scrupule m'avait ôté ma mère; des précautions prises, pour que je ne pusse prétendre aux droits de ma naissance légale; une captivité domestique fort dure; nulle espérance, nulle ressource. Peut-être que, si l'on se fût expliqué plus tôt avec moi, après l'établissement de mes sœurs, on m'eût gardée à la maison qui ne laissait pas que d'être fréquentée, il se serait trouvé quelqu'un à qui mon caractère, mon esprit, ma figure et mes talents auraient paru une dot suffisante; la chose n'était pas encore impossible, mais l'éclat que j'avais fait en couvent la rendait plus difficile: on ne conçoit guère comment une fille de dix-sept à dix-huit ans a pu se porter à cette extrémité, sans une fermeté peu commune; les hommes louent beaucoup cette qualité, mais il me semble qu'ils s'en passent volontiers dans celles dont ils se proposent de faire leurs épouses. C'était pourtant une ressource à tenter avant que de songer à un autre parti; je pris celui de m'en ouvrir à ma mère; et je lui fis demander un entretien qui me fut accordé.

      C'était dans l'hiver. Elle était assise dans un fauteuil devant le feu; elle avait le visage sévère, le regard fixe et les traits immobiles; je m'approchai d'elle, je me jetai à ses pieds et je lui demandai pardon de tous les torts que j'avais.

      «C'est, me répondit-elle, par ce que vous m'allez dire que vous le mériterez. Levez-vous; votre père est absent, vous avez tout le temps de vous expliquer. Vous avez vu le père Séraphin, vous savez enfin qui vous êtes, et ce que vous pouvez attendre de moi, si votre projet n'est pas de me punir toute ma vie d'une faute que je n'ai déjà que trop expiée. Eh bien! mademoiselle, que me voulez-vous? Qu'avez-vous résolu?

      – Maman, lui répondis-je, je sais que je n'ai rien, et que je ne dois prétendre à rien. Je suis bien éloignée d'ajouter à vos peines, de quelque nature qu'elles soient; peut-être m'auriez-vous trouvée plus soumise à vos volontés, si vous m'eussiez instruite plus tôt de quelques circonstances qu'il était difficile que je soupçonnasse: mais enfin je sais, je me connais, et il ne me reste qu'à me conduire en conséquence de mon état. Je ne suis plus surprise des distinctions qu'on a mises entre mes sœurs et moi; j'en reconnais la justice, j'y souscris; mais je suis toujours votre enfant; vous m'avez portée dans votre sein; et j'espère que vous ne l'oublierez pas.

      – Malheur à moi, ajouta-t-elle vivement, si je ne vous avouais pas autant qu'il est en mon pouvoir!

      – Eh bien! maman, lui dis-je, rendez-moi vos bontés; rendez-moi votre présence; rendez-moi la tendresse de celui qui se croit mon père.

      – Peu s'en faut, ajouta-t-elle, qu'il ne soit aussi certain de votre naissance que vous et moi. Je ne vous vois jamais à côté de lui, sans entendre ses reproches; il me les adresse, par la dureté dont il en use avec vous; n'espérez point de lui les sentiments d'un père tendre. Et puis, vous l'avouerai-je, vous me rappelez

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