Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Aymeris - Blanche Jacques-Émile

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et Caroline, ensemble, explosaient:

      – Permettre à Georges de pétrir de la pâte plastique! Ça sent bien mauvais et ça empoisonne les enfants. Le modelage? un métier de maçon! Aussi, faisons de lui un contremaître, un plâtrier, un mécanicien… Dieu sait quoi!..

      Et, menaçant Georges: – Tu t’appelles Aymeris, mon cher, ton grand-père s’appelait Emmanuel-Victor Aymeris! Il était bâtonnier de l’Ordre des Avocats, noblesse oblige!..

      Mme Aymeris embrassait Georges, l’emmenait dans le vestibule, après avoir regardé les belles-sœurs avec rage, et elle claquait la porte.

      – Tu n’as pas pris froid, au moins, là-haut, chez Miss Ellen? La fenêtre était-elle ouverte, mon mignon?

      Mrs Randall passait le dimanche à Passy, prenait le thé avec Miss Ellen. Mme Aymeris, bienveillamment, causait avec la libraire qui se crut autorisée à décrire la situation de ses autres neveux et nièces, orphelins dans la banlieue de Londres. L’un, Thomas, fréquentait une école qu’on ne pourrait bientôt plus payer; il y avait une chétive fillette de dix ans et demi, à peine plus vieille que Georges, Jessie, qu’il faudrait placer quelque part «sur le continent», à Paris, sans doute, puisqu’elle aurait là, du moins, en Mrs Randall, une correspondante. Celle-ci espérait que Mme Aymeris voudrait bien, en plus d’Ellen, patronner Jessie; mais la fillette n’était ni assez âgée ni assez instruite pour être gouvernante d’un enfant; sa tante l’occuperait d’abord dans son commerce, quoique la patronne suffît pour répondre à la clientèle, dans un magasin qu’eussent rempli trois personnes assez mal avisées pour y faire emplette à la fois. Et le logement en sous-sol! Alice Aymeris s’émut. M. Aymeris, après quelques hésitations, décida que Jessie viendrait auprès de sa sœur Ellen et serait la compagne de Georges. Les sœurs de l’avocat crièrent au scandale. Lili ferait une exception; cette fois, c’en était trop! Elle se promit qu’elle «secouerait» Alice, de la «belle façon». Elle lui dit:

      – Eh quoi! Tu as détruit ta santé, tu te mines d’inquiétude pour tes enfants à toi, tu as perdu Jacques et Marie, et tu vas recueillir une vagabonde, une inconnue, on ne sait quoi! D’ici quelques années, ce seront des rapports très gênants pour les enfants et pour nous. Une étrangère de plus!.. Ça nous apportera la fièvre… Pierre a déteint sur toi, avec son besoin ridicule de faire le chien du Saint-Bernard! Comme si tu étais à court de responsabilités! Vous êtes fous, ton mari et toi, d’associer une fille à la fille manquée qu’est votre tardillon!.. Caro me le disait pas plus tard qu’hier: Vous ne vivez que dans les embrouilles! Est-ce que nous nous jetons à la tête des autres, nous? Nous avons toujours été discrètes, mais cette fois, c’est moi qui parle au nom de la famille, pour la mémoire d’Emmanuel-Victor, notre père! Il n’y a que nous qui ayons le culte de notre nom…

      Les Aymeris songeaient parfois à adopter une fille, leur Marie leur manquait tant! Peut-être Dieu leur envoyait-il Jessie: ils laissèrent dire, et, vers la fin de l’automne, la petite Anglaise fit son apparition.

      Lorsque Georges Aymeris me parlait de cette époque, il revoyait toujours avec mélancolie sa première rencontre avec l’enfant dont il me donna le daguerréotype.

      (Du journal:)

      Elle était descendue de l’antique berline du Bâtonnier, devant le perron du «château», dans une jupe de tartan rouge et noir, plus courte que ses pantalons; ses bas étaient couleur magenta; une toque de faux astrakan se tenait verticalement sur un front bombé; ses yeux hagards et à fleur de tête s’ouvraient jusqu’à ses oreilles, où des boucles de cheveux étaient collées par le sel marin, la tempête ayant fait rage entre Southampton et le Havre. Des mains osseuses, vertes et transparentes laissèrent choir sur le marchepied de la voiture une cantine mal ficelée, d’où s’échappèrent des rubans, d’innombrables chiffons, un peigne édenté, une brosse sans poils et un savon. Miss Ellen nous présenta Jessie. Jessie grimaça un sourire triste et niais, rougit et se moucha; elle avait un rhume de cerveau, qui devait, hélas! devenir chronique. Sa voix nasillarde et sourde semblait sortir de son front. N’eût-elle fait tant de peine, dès l’abord on l’aurait prise en grippe, comme certains malades d’hôpital, qui découragent par leur seule apparence les meilleures intentions. J’embrassai Jessie, cela nous gêna tous les deux. Jessie monta dans la chambre de Miss Ellen. J’entendis mes tantes ricaner:

      – Magnifique, la découverte d’Alice et de Pierre!

      Je pleurai d’énervement. Je la trouvais très gentille!

      Ainsi Georges dépeint, sans l’embellir, l’objet de son premier amour.

      Les premiers temps furent difficiles, mais l’intruse fit quelques progrès dans la langue française; appliquée et studieuse, on la cita comme exemple à Georges, l’isolé jusqu’ici sans émulation. Mme Aymeris fit de son mieux pour s’attacher à la gamine; trouverait-elle en Jessie Mac Farren «une sœur» pour son fils? En dépit de leur égal mutisme, Georges et Jessie formèrent une sorte de camaraderie; de sourds-muets. D’apparentes affinités agrafaient l’un à l’autre ces enfants qui se sentaient perdus dans l’univers.

      Ellen les apprivoisa petit à petit. Au parc, Jessie fut partenaire dans des jeux paisibles. L’égyptologue enfouissait dans la terre des statuettes de cuivre, des bougeoirs, des médailles, des vases de verre, espérant les ternir et qu’il y fleurît de ces irisations de paillettes métalliques, si chatoyantes dans les vitrines du Louvre. Des jupes claires, des tabliers à «frills» au milieu des massifs de lilas, égayèrent les allées ombreuses et le gazon où les arcs d’un croquet étaient coiffés d’une fiche de couleur. Mme Aymeris chargeait Miss Ellen de répandre autour d’elle la gaîté de la jeunesse. Jessie essuya maintes fois la mauvaise humeur de Caroline et de Lili, qui l’appelaient «l’emplâtre», parce qu’aux leçons modérées de gymnastique et de danse, où elle se rendait comme à la guillotine, Jessie, semblant pétrifiée, aux ordres de la monitrice, n’avançait que si Georges en faisait autant.

      Pareille à toutes ses compatriotes, elle avait de «bonnes manières». Mrs Randall l’avait dit:

      – Vous auriez pu croire, Madame, que ma nièce ferait tache dans votre intérieur, mais chez nous, il n’y a qu’un modèle, pour les sujettes de notre reine Victoria, une seule chose compte: les manières. La «school mistress», la mère, l’institutrice ou la nurse nous donnent les mêmes habitudes, aux riches et aux pauvres. Jessie est d’humble condition, mais she has the manners of a perfect lady4.

      Elle se tenait bien à table, rangeait parallèlement sur l’assiette, quand elle avait fini d’un plat, sa fourchette et son couteau. Georges ne les posa plus sur la nappe, par peur de la salir; il ne «sauça» plus avec son pain; il ne s’appuya plus au dossier de la chaise; garda sa serviette pliée sur ses jambes; «affectations d’outre-Manche», auxquelles les tantes se seraient laissé prendre, si Jessie eût été «la fille d’une duchesse». Mme Aymeris s’en amusa, mais n’attachait pas au protocole de la nursery autant d’importance que son époux qui, par profession, avait fréquenté le monde élégant et la Cour Impériale. M. et Mme Aymeris se congratulèrent d’avoir recueilli l’orpheline. Si elle n’était pas «une aigle», en voici une qui ne ferait de mal à personne! – Il était agréable que les enfants eussent ces jolies façons que les Anglaises savent imposer aux bambins.

      Mesdemoiselles Aymeris fulminaient.

      – Rule Britannia! On change les couverts à chaque service, maintenant, chez les Pierre! C’est des bouffonneries du Bourgeois gentilhomme, les Pierre sont tout à fait fous! Est-ce que leur Ellen et leur Jessie, dans leur taudis londonien, avaient des cuillers et

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<p>4</p>

Elle a les manières d’une femme du monde.