Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Aymeris - Blanche Jacques-Émile

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d’Oxlip Hall, le village, le fief de la douairière qui en faisait le tour chaque matin. Il aimait la galerie de tableaux, les portraits d’ancêtres, la bibliothèque, les vitrines et les mappemondes sur leurs trépieds d’ébène; il se régalait au lunch intime de deux heures, avec les quatre entremets classiques, les gelées translucides, l’«apple tart», la crème de Devonshire qu’on mange avec la rhubarbe ou des pruneaux. Les enfants avaient avec la douairière une liberté respectueuse; c’était charmant aussi d’aider la marquise à découper, puis à coller sur un paravent des vignettes dont on compose de savantes arabesques – travail alors à la mode en Angleterre – ou de dévider les laines de la tapisserie, de s’asseoir, crayon en main, devant quelque trésor de la collection.

      Au début, Lady Ethel et lady Margaret l’avaient choyé comme un toutou, disait Nou-Miette; bientôt, l’apparence débile de Georges, cette timidité que les enfants d’Angleterre ignorent, sa maladresse aux jeux, éveillèrent leur ironie, puis leur mépris. Georges leur avait parlé de Jessie avec tendresse, sur quoi lady Ethel l’avait traité d’impertinent. – Quoi? la sœur de votre governess est comme une sœur à vous? Mais est-elle donc une lady?

      En plein enivrement des splendeurs de ce château, Georges ainsi reçut un nouveau choc, lui qui, trop tôt rebuté par les réponses faites à ses questions sur la vie, s’évadait depuis peu dans des régions où rien ne ressemblait à ce qu’il avait connu en France.

      Il existe donc partout des cloisons qui nous séparent les uns des autres? On ne pouvait donc pas aimer une Jessie? Papa et maman la lui avaient pourtant permise, cette affection fraternelle! Et lady Ethel et lady Margaret, dans ce domaine des Fées, parlaient comme tante Caro et tante Lili! Georges s’écarta de ses camarades d’Oxlip Hall, comme d’un cheval qui se cabre. Ce château à créneaux qu’il avait d’abord cru ne plus vouloir quitter, combien avait-il déjà l’envie de n’y plus être! Vues d’en bas et telles qu’il les découvrait, ces choses majestueuses dominaient trop sa taille; cet édifice social, cet appareil féodal, ces mœurs aristocratiques l’opprimaient à son insu, autant que le Passy des centenaires. Il se sentait trop loin de Nou-Miette et n’osait pas réclamer, parce qu’elle était à l’office, où il l’aurait voulu rejoindre à l’heure des repas. Il ne respira à son aise qu’en retrouvant Walton Place et sa Jessie, qui lui avait tant manqué à Oxlip Hall. Devant la grille noire de l’humble jardinet, un facteur tirait de son sac de toile des feuilles légères pliées, sans enveloppe, et à l’adresse illisible: des lettres venues de Paris, à travers les nuages.

      Le siège allait prendre fin, des émissaires de M. Aymeris apparurent à Walton Place; l’organiste de l’église Saint-Roch, d’abord, puis l’abbé Gélines. Ces messieurs avaient pu, grâce à leur brassard d’ambulanciers, franchir la zone des armées, au delà des fortifications. Ils étaient chargés par les Aymeris du rapatriement des émigrés. M. Vervoitte, l’organiste, rapporterait des nouvelles de Georges; l’abbé se reposerait à Londres jusqu’à ce que le retour fût sans péril. L’abbé Gélines, qui s’était, pendant la guerre, conduit en héros, atténuait ses descriptions autant par modestie que pour ménager la sensibilité des enfants; mais ses récits étaient pathétiques, dans leur naturel, et faisaient pleurer les exilés.

      Les chemins de fer redevenant praticables pour les civils, la smala allait rentrer dans Paris rouvert. On fit halte à Boulogne. Les rafales de mars balayaient les rues. Georges tomba malade, pour s’y être exposé en allant à la cathédrale où l’abbé disait la messe.

      Après cette longue séparation du fils «bien forci», écrivait Nou-Miette, allait-on, si près du poteau, manquer le but? La famille en fut quitte pour la peur.

      Georges Aymeris m’a raconté très souvent la guerre de 70. J’avais même fait copier des fragments de ses souvenirs.

      Il note:

       Mon père entreprit le voyage, encore long et difficile, de Paris à Boulogne, dans sa hâte de revoir son «boy» de Londres. J’avais grandi, j’étais moins pâle, malgré mon dernier accroc, et je m’étais métamorphosé en un petit homme vêtu à l’anglaise, un travelling cap 14 sur la tête, complètement méconnaissable, mais toujours grave et sans expansion.

      – Pourquoi maman n’est pas avec vous? demandai-je avant d’embrasser mon père.

      Ce «vous» était une nouveauté britannique.

      Ce revoir fut d’autant plus douloureux pour mon père et pour moi que nous en avions davantage escompté le plaisir. Je n’étais ni enfant, ni adolescent, mais un être singulier «venu trop tard au monde», comme mes tantes le disaient à papa: «Alice et toi ne serez jamais un père et une mère pour le tardillon.»

      – Pourquoi maman n’est pas avec vous? – J’essayai en vain de faire oublier cette malencontreuse phrase, maladroit et défiant, comme jadis vis-à-vis de mon père, à qui je devais reprocher quelque chose, mais quoi?.. peut-être de l’avoir si peu vu à Passy, ses occupations le retenant dehors, au Palais de Justice, ou enfermé dans son cabinet avec sa clientèle. Je crois qu’avec «mes femmes» ou avec maman, je devais être un autre!

      Nou-Miette était fière de ses succès mondains en Angleterre. Monsieur pouvait la remercier comme un sauveteur, elle accepterait tous les éloges; il n’y en avait pas à la taille de ses mérites, de son zèle, de son dévouement. D’ailleurs, on avait dû, de là-bas, en écrire à Monsieur et à Madame. Miette avait été reçue et avait mieux réussi qu’un père et une mère, ayant en quelque sorte recréé l’enfant dont on devait à elle seule la belle mine, la chair ferme.

      N’eût été la confiance des Aymeris en Nou-Miette, Jojo serait resté à Paris, et il serait mort pendant le siège.

      Mais, au fond de son cœur, la Nivernaise se flattait de l’avoir détaché des Aymeris, autant que soustrait à l’influence d’Ellen et de Jessie. Le retour s’effectuait trop tôt, son œuvre inachevée. Nou-Miette faisait trop bon marché de ce qu’est une vraie mère. Si Georges parlait peu, son instinct l’avertissait de sa situation périlleuse entre ces deux femmes presque également chéries. Il n’eût voulu faire de la peine ni à l’une ni à l’autre: il avait besoin des deux… et d’une troisième personne encore. Il dissimula ses préférences, se tut.

      Si l’on pouvait étudier la vie d’un homme à tous les âges, on s’apercevrait que ses mobiles sont toujours à peu près les mêmes et, quelle que soit son expérience acquise, ses actions.

      Après quelques jours d’excursions autour de Boulogne-sur-Mer on se remit en route. Une file de Prussiens bordait la voie; les casques à pointe, des baïonnettes hérissaient l’abord des gares. On quitta le wagon pour traverser une rivière sur des planches, les ponts de l’Oise étant démolis vers Creil. En se rapprochant de Paris, la locomotive ralentit sa vitesse. Les passeports furent visés; des soldats barbus, une pipe de porcelaine à la bouche, baragouinaient un langage dur; ils sentaient le fauve. Dans la banlieue, à Saint-Denis, des murs étaient criblés de trous et Georges pensa: – Ne pourrait-on pas repartir avec maman pour Londres? – Il ne désirait plus aller à Passy, puisque les choses étaient ainsi depuis la guerre, et qu’il connaissait maintenant un ailleurs d’où les petits enfants reviennent sains et saufs, malgré tant d’aventures.

      Mais maman?..

      Passy n’avait pas trop souffert du siège; pourtant, dans la chambre de Georges, un obus s’était fiché entre le lit et le lavabo, la glace était fendue. Et Georges entendait, enfin, la voix, la chère bonne voix claire de Maman! Maman contait des choses vilaines, et elles devenaient belles dans sa bouche; il était si bon d’être sur ses

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<p>14</p>

Casquette de voyage.