Aymeris. Blanche Jacques-Émile
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Aymeris - Blanche Jacques-Émile страница 7
Nou-Miette, par exception, prenait le parti des tantes:
– Je n’ai plus qu’à m’rentourner chez moi, Monsieur et Madame n’ont plus besoin de mes services, puisqu’il y a des Angliches chez eusses…
Elle prépara ses malles. Mme Aymeris, toujours dupe des singeries de la Nivernaise, augmenta les gages, lui offrit une vache et un âne pour «le pays», lui fit jurer que jamais elle ne quitterait Passy, cette chère nounou, «de moitié dans le deuil des Aymeris», celle à qui Marie et Jacques avaient donné ce nom sacré de Nou-Miette!
La nourrice, entre deux sanglots, jura qu’elle fermerait les yeux à ses bons maîtres. Mais son mari la rappellerait un jour… – pleurnichait-elle – elle filerait au pays, quand Jojo serait au collège, Madame devait comprendre; elle avait sa maisonnette, son champ, que Monsieur et Madame lui avaient achetés. Et le frère de lait de ce pauvre chéri de Jacques, son Jacquot à elle?.. Elle reviendrait quand Madame aurait besoin d’elle… par exemple à son lit de mort.
Lili et Caro «s’éclipsèrent». Les Pierre étaient chambrés par leurs domestiques. Elles ne se mettraient certes pas entre l’arbre et l’écorce.
Les vacances de 1870 approchaient. M. Aymeris venait d’acquérir le domaine de Longreuil, près de Trouville; la restauration du manoir était en cours, quand des rumeurs de guerre firent suspendre des travaux entrepris en vue de longues saisons à la campagne, où Georges devait trouver la santé.
Longreuil étant inhabitable encore et les événements se compliquant, on pensa à Dieppe et aux cousins Voinchot dans la hâte de fuir Paris. En cas de guerre, de désordres civiques, l’enfant aurait en ces cousins des parents à qui l’on pourrait s’en remettre; ils ne demanderaient pas mieux que de recevoir «Georges et sa smala».
M. et Mme Voinchot louèrent, à côté de leur maison, des chambres pour la «suite» de Georges, selon la formule de la Gazette Rose. Mme Aymeris, vers le 10 juillet, fit partir son fils; plus nerveuse que de coutume, elle s’occupa des préparatifs, des provisions de vêtements et de médecines, rédigea une liste de livres, avec de minutieuses recommandations pour cette absence, de longue durée peut-être, puisque Alice pouvait se trouver retenue auprès de son époux qui avait ses devoirs à Paris. Les tantes admirèrent cette abnégation maternelle, mais n’offrirent point d’accompagner l’enfant:
– En temps de trouble, on reste chez soi, pour défendre sa porte.
Les Voinchot chercheraient des professeurs: il fallait que Georges travaillât un peu. Les amis dirent: – Les Aymeris ont des idées comme personne! La guerre ne se déroulera pas en France, mais en Prusse, la paix se fera à Berlin.
A Dieppe, c’était la pleine saison des bains, la fête. La chaleur avait chassé vers les plages et les montagnes une foule de Parisiens. Les drapeaux claquaient au vent, l’orchestre de Musard donnait des concerts trois fois le jour, des montgolfières étaient lâchées, des courses en sacs, des mâts de cocagne, des retraites aux flambeaux complétaient le programme. Les Français voulaient être gais pour cette guerre, triomphe facile des Aigles Impériales, fanfares de victoire à travers les plaines du Rhin. Et commença la promenade militaire au son du tambour et des clairons joyeux. A la grille du casino, à la sous-préfecture, les baigneurs faisaient la queue devant les télégrammes piqués sous le verre d’une boîte tricolore. Guerre, Roi de Prusse, Bismark, casques à pointe: ces mots nouveaux vibrèrent dans les oreilles des petits enfants qui faisaient des pâtés de sable et des forteresses de galets, tandis que le ciel de France s’assombrissait vers l’Est.
Les cousins lisaient les journaux. Georges était-il présent? on les repliait, on faisait chut! en se mettant un doigt sur la bouche, et l’on changeait de conversation. Un jour, sur la place Duquesne, une bande d’hommes cria: A Berlin! à bas Guillaume! Et ils avaient l’air fort méchant. Maman ne venait toujours pas. Pourquoi ne venait-elle plus à Dieppe? Georges lui envoyait des lettres à lui dictées par Miss Ellen. Enfin, Mme Aymeris fit une apparition de deux jours et, un soir, s’en retourna disant: – Mon adoré, nous sommes en guerre, je suis plus utile à Paris que je ne le serais ici; nos bons cousins me remplaceront.
Georges avait eu peur, mais, de même qu’à la mort de Jacques il n’avait pas demandé: – Qu’est-ce que c’est, la mort? – il ne demanda pas: – Qu’est-ce que c’est, la guerre?
En août, la fête continue, les hôtels regorgent de monde, jamais Dieppe n’a été aussi brillant. Des voitures couvertes de malles viennent de la gare et y vont. Georges apprend que papa est promu dans la Légion d’honneur, par M. Emile Ollivier, son ami. Georges voudrait voir la rosette rouge d’officier à la boutonnière de son père!
Les gardiennes éloignent du casino l’enfant-tunique, Jessie et Georges longent les talus de la route d’Arques, cueillant des scabieuses et des chandelles; on écarte Georges de la foule des crieurs et des marchands de journaux. Les dépêches sont mauvaises, et encore une fois les visages rembrunis des grandes personnes s’efforcent de sourire en parlant à Georges.
En face des Voinchot demeurait un négociant en charbons, Gerbois, dont Georges connaissait les fils, depuis une de ses premières visites à Dieppe. On lui défend de saluer et même de regarder ces Gerbois, la honte du quartier, – des galopins impossibles, «de la vermine». – Les Gerbois faisaient des pieds de nez à Georges, s’il s’appuyait au balcon en fer forgé des Voinchot. Le modeste hôtel des cousins, avec ses nobles proportions et son badigeon jaune et blanc, date de Vauban, comme la plupart des constructions dieppoises; un palais, aurait-on cru, pour les Gerbois dont le fils Auguste, ce voyou, insolemment campé sur le trottoir, faisait signe à Georges de descendre dans la rue.
– Viens donc naviguer ton vapeur dans l’ruisseau! T’as peur de t’salir les mains? Ohé! l’aristo!
Miss Ellen attire Georges vers elle:
– Don’t listen, dear, don’t look at those ruffians5.
Dans son premier sommeil, un soir, Georges est réveillé en sursaut; il y a grand vacarme, le marché aux Veaux est plus éclairé que de coutume. Nou-Miette ouvre la croisée, écoute. C’est une chanson effrayante et magnifique: Allons, enfants de la Patrie! Le jour de gloire est arrivé… Qu’un sang impur abreuve nos sillons!
– Qui est-ce qui crie si fort? Je ne veux pas entendre. Viens, Miette! – supplie Georges, à moitié endormi.
– Dors, ce n’est rien! Ces vilains Gerbois ne sont pas encore couchés. Ils font de la musique.
– C’est-il un feu d’artifice, comme au 15 août? la fête de l’Empereur, dis? Des feux de Bengale, dis? On va tirer le bouquet?
Il se bouche les oreilles, ayant horreur des détonations. Il veut voir Jessie. A-t-elle peur? Où est-elle? Les pavés résonnent sous les semelles à clous des enragés danseurs de ronde. – Vive la République! A bas les traîtres! – crient des voix avinées. On referme la fenêtre, les volets, les rideaux. Nou-Miette embrasse Georges et l’appelle «mon pauvre petit».
C’est la nuit du 4 au 5 septembre. Georges n’y pensera jamais plus sans un frisson.
Deux jours après, l’enfant et ses femmes sont à bord de l’Alexandra, paquebot à destination de Newhaven. Le pont n’est qu’une masse de voyageurs, de malles, de ballots d’émigrants, en un mélange des trois
5