Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Aymeris - Blanche Jacques-Émile

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giroflée et la violette. Les véhicules roulaient avec leur bruit familier le long de la Seine. Georges regretta déjà moins son affranchissement d’outre-Manche. Lili et Caro, fières de sa bonne mine, étaient «aux petits soins» pour lui. A Paris, on ne parlait plus des leçons comme avant la guerre, peut-être n’en prendrait-on plus du tout.

      Le troisième matin, Octave attelle la voiture à âne pour une promenade. Les chevaux du break ont été sacrifiés à la boucherie; le siège eût-il duré, que l’âne de Jacques aurait subi le même sort que les chevaux. Georges attend sur le perron. Mme Aymeris l’écarte comme dans les grandes occasions, elle cause avec Octave et la voiture reprend le chemin de la remise. De loin, on entend une canonnade. Mme Aymeris «revient de Paris», comme l’on disait alors. Ecoutons! Le canon à Montmartre? C’est la Garde Nationale. Encore du grabuge… la guerre qui recommence? Et l’on dit, tout bas encore, des choses qui ne sont pas pour les enfants. Georges est donc, malgré ses voyages instructifs, un petit garçon? Le jardinier plante sa bêche dans un parterre, écoute, la main en cornet à son oreille.

      – C’est la révolution qui gronde, – dit-il. Ah! les mâtins! Pauvre pays! Comme s’il n’y avait pas eu assez des Prussiens! C’est donc les nôtres qui vont mettre tout à feu et à sang?

      Comme à la mort de Jacques, un immense mystère plane sur Passy, il y a du noir sur la terre.

      Tiens! Aujourd’hui 18 mars de cette année terrible, maman se costume? Vers le soir, voilà qu’elle endosse une des camisoles de la cuisinière, attache à sa ceinture un tablier bleu! Miss Ellen bourre de vêtements, de linge, d’objets disparates un carré de lustrine qu’elle noue par les quatre coins. Nou-Miette couche Georges de bonne heure. Son père le réveille après minuit: – Viens! tu retournes à Londres, ou peut-être à Dieppe, lève-toi, habille-toi. Vite! vite!

      On part, et sans bagages, on s’en va comme des déguisés. Mme Aymeris semble toute drôle, avec sa fanchon et une camisole de couleur…

      Un fiacre cahote, sonnant la ferraille; six personnes y sont coincées entre leurs baluchons; Miss Ellen, Jessie et Nou-Miette sont «en cheveux», et maman a l’air d’une pauvresse. A la gare Saint-Lazare, une foule de femmes avec des enfants se battent aux guichets, courent puis escaladent les marchepieds des wagons; dix voyageurs s’empilent dans un compartiment de troisième classe. Aux Batignolles, des hommes armés, des soldats en vareuses rouges fouillent sous les banquettes, crient, bousculent tout le monde. Georges entend: «Il y a des curés en jupes, qu’ils se déclarent, ou on vous met tout nus! On est sûr au moins d’un: s’il ne se livre pas, on fusille toute la bande avec les gosses! Au mur!»

      Personne ne répond, maman cache son enfant sous son tablier de cuisinière. Ces minutes sont des heures… Les «fédérés», derechef, braquent une lanterne sur les coins obscurs du compartiment; le cœur de Georges bat, la poitrine de sa mère se soulève et retombe, elle suffoque.

      Un coup de sifflet. Les chaînes grincent, le train s’ébranle sous un tunnel:

      – Sauvés! – s’écrie Mme Aymeris.

      A Rouen, c’est presque un soulagement que d’être reçu par des Prussiens; à Malaunay, à Clères, partout, des uniformes gris, orangés, verts, des officiers magnifiques, à moustache blonde. Deux voyageurs montent dans le compartiment. Ils se tiennent debout, faute de place, devant Mme Aymeris; un cavalier accroche ses éperons dans la jupe de Miss Ellen. Ces hommes fument de grosses pipes de porcelaine, où Georges remarque des sujets peints, ce qui l’amuse…

      Ce soir-là, il retrouva l’alcôve des Voinchot dans la rue provinciale où, huit mois plus tôt, il avait entendu, pour la première fois, le chant de la Marseillaise. Chez les cousins loge aujourd’hui un colonel de cavalerie, dont l’ordonnance, un Bavarois, père de famille, s’extasie devant Georges.

      A l’intention du petit Herrchen Georg il fait avec des boîtes à sardines un moulin à vent, pareil aux jouets qu’il fabriquait pour son petit Fritz, à Kirschenlosen. Quand Georges croise dans l’escalier ce grand roux, un balai sur l’épaule, ou l’aperçoit en bas, brossant, cirant des harnachements, Schafft sourit, esquisse le geste d’une poignée de main. Georges chérit son moulin à vent; mais Miss Ellen le dénichera dans un placard, Mme Aymeris fera reporter ce joujou au soldat paysan, et Georges pleurera en voyant Schafft essuyer, de son mouchoir à légendes patriotiques, un gros nez violet, tout bossué de verrues. Trop aimable avec les «miss», Schafft, ligoté à la roue d’une charrette dans la cour des Voinchot, est cravaché par «l’infâme colonel von Kramer», qui répond par des injures aux gémissements de l’ordonnance.

      Ces Prussiens, était-ce donc les mêmes que ceux de la «parade» sur la place, paisibles auditeurs de la musique devant l’Hôtel des Bains? Voilà ce qu’ils font, quand ils se croient chez eux, ces officiers à sabretache et à galons dorés, eux qui, dans les pâtisseries, offrent des gâteaux à des dames anglaises! Oui, ces beaux seigneurs à casques, chamarrés de décorations, frappent les simples troupiers qui n’en ont pas sur leur poitrine. Il existe donc, partout, deux classes d’hommes: ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ceux qui flanquent des coups et ceux qui les reçoivent? Georges confia à Jessie que le colonel ressemblait à tante Caro, et Jessie s’esclaffa en mettant sa main devant sa bouche, par convenance. —Yes, just as haughty the one as the other! dit-elle15.

      Les deux enfants s’embrassèrent. Mme Aymeris les aperçut et les gronda.

      Après la Commune, Mme Aymeris fit un court séjour à Paris, seule avec son fils. M. Aymeris ne s’était plus rasé depuis le 21 mars. Mme Aymeris, malgré son émotion du revoir, ne put se tenir de rire. – Mon bon Pierre, non! Tu aurais dû faire couper cela!.. Tu as l’air d’un fédéré!

      A la guerre, dont on touchait encore les plaies, la révolution avait ajouté les siennes; et de l’incendie persistait l’odeur. Dans Auteuil le vide et la dévastation; des villas sans toit, sans fenêtres, les marronniers et les acacias sont abattus. La colonne de la place Vendôme gît brisée sur le sol; Napoléon, l’Empereur, près d’une bouche d’égout! Le château des Tuileries profile ses corniches calcinées sur l’azur de juin. Au lieu des parterres où Georges et Jacques avaient naguère vu jouer le Prince Impérial avec le jeune Conneau, bée un cloaque d’où les moineaux se sont enfuis.

      Alors Mme Aymeris complète en hâte les travaux à Longreuil. On tâchera d’oublier, dans les herbages du Calvados, les ruines de la Commune, Paris, le jardin de Passy, lieux trop pleins de souvenirs détestables. On eût dit qu’un verre fumé s’interposait entre le soleil et la terre de France, comme en une éclipse totale, quand les animaux se pressent l’un contre l’autre, tels des moutons que harcèle le chien du berger.

      Bien plus qu’avant la Commune, les dames Aymeris avaient un air de deuil. L’ouragan déchaîné sur la patrie avait déposé sur les gens et sur les choses comme une lave de volcan.

      En août, le manoir fut habitable. Le pays alentour disposait de peu de ressources, sauf le marché du vendredi à Pont-l’Evêque: pauvres étalages de poteries, de faïences grossières, de cotonnades, avec les légumes et les fromages de la région, bien maigres attraits pour Georges auprès des bric-à-brac du Bazar du Casino et de la grande rue de Dieppe. Ses tantes lui enseignaient les devoirs d’un futur propriétaire, les bienfaits de l’agriculture, l’amour du sol; commençaient à jouer, avec leur neveu, au châtelain, à surveiller les ouvriers de la ferme; personne ne travaillait assez «la belle terre de France, qui suffirait à tout, si l’on s’y prenait bien!»

      – Elles ont un génie pour faire trimer les autres, – disait Mme Aymeris. Nous ne conserverons jamais nos domestiques de ferme, à

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<p>15</p>

Oui, tout aussi fiers l’un que l’autre.