Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot

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l'éducation, n'avaient été que des sots. Il se contenta de commander son horoscope à un certain Codindo, personnage meilleur à peindre qu'à connaître.

      Codindo était chef du collége des Aruspices de Banza, anciennement la capitale de l'empire. Erguebzed lui faisait une grosse pension, et lui avait accordé, à lui et à ses descendants, en faveur du mérite de leur grand-oncle, qui était excellent cuisinier, un château magnifique sur les frontières du Congo. Codindo était chargé d'observer le vol des oiseaux et l'état du ciel, et d'en faire son rapport à la cour; ce dont il s'acquittait assez mal. S'il est vrai qu'on avait à Banza les meilleures pièces de théâtre et les salles de spectacles les plus laides qu'il y eût dans toute l'Afrique, en revanche, on y avait le plus beau collége du monde, et les plus mauvaises prédictions.

      Codindo, informé de ce qu'on lui voulait au palais d'Erguebzed, partit fort embarrassé de sa personne; car le pauvre homme ne savait non plus lire aux astres que vous et moi: on l'attendait avec impatience. Les principaux seigneurs de la cour s'étaient rendus dans l'appartement de la grande sultane. Les femmes, parées magnifiquement, environnaient le berceau de l'enfant. Les courtisans s'empressaient à féliciter Erguebzed sur les grandes choses qu'il allait sans doute apprendre de son fils. Erguebzed était père, et il trouvait tout naturel qu'on distinguât dans les traits informes d'un enfant ce qu'il serait un jour. Enfin Codindo arriva. «Approchez, lui dit Erguebzed: lorsque le ciel m'accorda le prince que vous voyez, je fis prendre avec soin l'instant de sa naissance, et l'on a dû vous en instruire. Parlez sincèrement à votre maître, et annoncez-lui hardiment les destinées que le ciel réserve à son fils.

      – Très-magnanime sultan, répondit Codindo, le prince né de parents non moins illustres qu'heureux, ne peut en avoir que de grandes et de fortunées: mais j'en imposerais à Votre Hautesse, si je me parais devant elle d'une science que je n'ai point. Les astres se lèvent et se couchent pour moi comme pour les autres hommes; et je n'en suis pas plus éclairé sur l'avenir, que le plus ignorant de vos sujets.

      – Mais, reprit le sultan, n'êtes-vous pas astrologue?

      – Magnanime prince, répondit Codindo, je n'ai point cet honneur.

      – Eh! que diable êtes-vous donc? lui répliqua le vieux mais bouillant Erguebzed.

      – Aruspice!

      – Oh! parbleu, je n'imaginais pas que vous en eussiez eu la pensée. Croyez-moi, seigneur Codindo, laissez manger en repos vos poulets, et prononcez sur le sort de mon fils, comme vous fîtes dernièrement sur le rhume de la perruche de ma femme.»

      A l'instant Codindo tira de sa poche une loupe, prit l'oreille gauche de l'enfant, frotta ses yeux, tourna et retourna ses besicles, lorgna cette oreille, en fit autant du côté droit, et prononça: que le règne du jeune prince serait heureux s'il était long11.

      «Je vous entends, reprit Erguebzed: mon fils exécutera les plus belles choses du monde, s'il en a le temps. Mais, morbleu, ce que je veux qu'on me dise, c'est s'il en aura le temps. Que m'importe à moi, lorsqu'il sera mort, qu'il eût été le plus grand prince du monde s'il eût vécu? Je vous appelle pour avoir l'horoscope de mon fils, et vous me faites son oraison funèbre.»

      Codindo répondit au prince qu'il était fâché de n'en pas savoir davantage; mais qu'il suppliait Sa Hautesse de considérer que c'en était bien assez pour le peu de temps qu'il était devin. En effet, le moment d'auparavant qu'était Codindo?

      CHAPITRE II.

      ÉDUCATION DE MANGOGUL

      Je passerai légèrement sur les premières années de Mangogul. L'enfance des princes est la même que celle des autres hommes, à cela près qu'il est donné aux princes de dire une infinité de jolies choses avant que de savoir parler. Aussi le fils d'Erguebzed avait à peine quatre ans, qu'il avait fourni la matière d'un Mangogulana. Erguebzed qui était homme de sens, et qui ne voulait pas que l'éducation de son fils fût aussi négligée que la sienne l'avait été, appela de bonne heure auprès de lui, et retint à sa cour, par des pensions considérables, ce qu'il y avait de grands hommes en tout genre dans le Congo; peintres, philosophes, poëtes, musiciens, architectes, maîtres de danse, de mathématiques, d'histoire, maîtres en fait d'armes, etc. Grâce aux heureuses dispositions de Mangogul, et aux leçons continuelles de ses maîtres, il n'ignora rien de ce qu'un jeune prince a coutume d'apprendre dans les quinze premières années de sa vie, et sut, à l'âge de vingt ans, boire, manger et dormir aussi parfaitement qu'aucun potentat de son âge.

      Erguebzed, à qui le poids des années commençait à faire sentir celui de la couronne, las de tenir les rênes de l'empire, effrayé des troubles qui le menaçaient, plein de confiance dans les qualités supérieures de Mangogul, et pressé par des sentiments de religion, pronostics certains de la mort prochaine, ou de l'imbécillité des grands, descendit du trône pour y placer son fils; et ce bon prince crut devoir expier dans la retraite les crimes de l'administration la plus juste dont il fût mémoire dans les annales du Congo.

      Ce fut donc l'an du monde 1,500,000,003,200,001, de l'empire du Congo le 3,900,000,700,03, que commença le règne de Mangogul, le 1,234,500 de sa race en ligne directe. Des conférences fréquentes avec ses ministres, des guerres à soutenir, et le maniement des affaires, l'instruisirent en fort peu de temps de ce qui lui restait à savoir au sortir des mains de ses pédagogues; et c'était quelque chose.

      Cependant Mangogul acquit en moins de dix années la réputation de grand homme. Il gagna des batailles, força des villes, agrandit son empire, pacifia ses provinces, répara le désordre de ses finances, fit refleurir les sciences et les arts, éleva des édifices, s'immortalisa par d'utiles établissements, raffermit et corrigea la législation, institua même des académies; et, ce que son université ne put jamais comprendre, il acheva tout cela sans savoir un seul mot de latin.

      Mangogul ne fut pas moins aimable dans son sérail que grand sur le trône. Il ne s'avisa point de régler sa conduite sur les usages ridicules de son pays. Il brisa les portes du palais habité par ses femmes; il en chassa ces gardes injurieux de leur vertu; il s'en fia prudemment à elles-mêmes de leur fidélité: on entrait aussi librement dans leurs appartements que dans aucun couvent de chanoinesses de Flandres; et on y était sans doute aussi sage. Le bon sultan que ce fut! il n'eut jamais de pareil que dans quelques romans français. Il était doux, affable, enjoué, galant, d'une figure charmante, aimant les plaisirs, fait pour eux, et renfermait dans sa tête plus d'esprit qu'il n'y en avait eu dans celle de tous ses prédécesseurs ensemble.

      On juge bien qu'avec un si rare mérite, beaucoup de femmes aspirèrent à sa conquête: quelques-unes réussirent. Celles qui manquèrent son cœur, tâchèrent de s'en consoler avec les grands de sa cour. La jeune Mirzoza fut du nombre des premières12. Je ne m'amuserai point à détailler les qualités et les charmes de Mirzoza; l'ouvrage serait sans fin, et je veux que cette histoire en ait une.

      CHAPITRE III.

      QU'ON PEUT REGARDER COMME LE PREMIER DE CETTE HISTOIRE

      Mirzoza fixait Mangogul depuis plusieurs années. Ces amants s'étaient dit et répété mille fois tout ce qu'une passion violente suggère aux personnes qui ont le plus d'esprit. Ils en étaient venus aux confidences; et ils se seraient fait un crime de se dérober la circonstance de leur vie la plus minutieuse. Ces suppositions singulières: «Si le ciel qui m'a placé sur le trône m'eût fait naître dans un état obscur, eussiez-vous daigné descendre jusqu'à moi, Mirzoza m'eût-elle couronné?.. Si Mirzoza venait à perdre le peu de charmes qu'on lui trouve, Mangogul l'aimerait-il toujours?» ces suppositions, dis-je, qui exercent les amants ingénieux, brouillent quelquefois les amants délicats, et font mentir si souvent

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<p>11</p>

L'enfance de Louis XV fut maladive.

<p>12</p>

Mme de Pompadour (Mme Lenormand d'Étioles) avait mis une certaine persistance à courir après le mouchoir. Suivant les chasses, se faisant remarquer par son assiduité à toutes les fêtes et par sa coquetterie, sa faveur était plutôt le résultat de son habileté que celui d'un penchant irrésistible de la part du roi.