Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot

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clin d'œil en cent endroits où il n'était point attendu, et voir de ses yeux bien des choses qui se passent ordinairement sans témoin; il n'avait qu'à mettre sa bague, et dire: «Je veux être là;» à l'instant il y était. Le voilà donc chez Mirzoza.

      Mirzoza qui n'attendait plus le sultan, s'était fait mettre au lit. Mangogul s'approcha doucement de son oreiller, et s'aperçut à la lueur d'une bougie de nuit, qu'elle était assoupie. «Bon, dit-il, elle dort: changeons vite l'anneau de doigt, reprenons notre forme, tournons le chaton sur cette belle dormeuse, et réveillons un peu son bijou… Mais qu'est-ce qui m'arrête?.. je tremble… se pourrait-il que Mirzoza… non, cela n'est pas possible; Mirzoza m'est fidèle. Éloignez-vous, soupçons injurieux, je ne veux point, je ne dois point vous écouter.» Il dit et porta ses doigts sur l'anneau; mais les en écartant aussi promptement que s'il eût été de feu, il s'écria en lui-même: «Que fais-je, malheureux! je brave les conseils de Cucufa. Pour satisfaire une sotte curiosité, je vais m'exposer à perdre ma maîtresse et la vie… Si son bijou s'avisait d'extravaguer, je ne la verrais plus, et j'en mourrais de douleur. Et qui sait ce qu'un bijou peut avoir dans l'âme?» L'agitation de Mangogul ne lui permettait guère de s'observer: il prononça ces dernières paroles un peu haut, et la favorite s'éveilla…

      «Ah! prince, lui dit-elle, moins surprise que charmée de sa présence, vous voilà! pourquoi ne vous a-t-on point annoncé? Est-ce à vous d'attendre mon réveil?»

      Mangogul répondit à la favorite, en lui communiquant le succès de l'entrevue de Cucufa, lui montra l'anneau qu'il en avait reçu, et ne lui cacha rien de ses propriétés.

      «Ah! quel secret diabolique vous a-t-il donné là? s'écria Mirzoza. Mais, prince, comptez-vous en faire quelque usage?

      – Comment, ventrebleu! dit le sultan, si j'en veux faire usage? Je commence par vous, si vous me raisonnez.»

      La favorite, à ces terribles mots, pâlit, trembla, se remit, et conjura le sultan par Brama et par toutes les Pagodes des Indes et du Congo, de ne point éprouver sur elle un secret qui marquait peu de confiance en sa fidélité.

      «Si j'ai toujours été sage, continua-t-elle, mon bijou ne dira mot, et vous m'aurez fait une injure que je ne vous pardonnerai jamais: s'il vient à parler, je perdrai votre estime et votre cœur, et vous en serez au désespoir. Jusqu'à présent vous vous êtes, ce me semble, assez bien trouvé de notre liaison; pourquoi s'exposer à la rompre? Prince, croyez-moi, profitez des avis du génie; il a de l'expérience, et les avis de génies sont toujours bons à suivre.

      – C'est ce que je me disais à moi-même, lui répondit Mangogul, quand vous vous êtes éveillée: cependant si vous eussiez dormi deux minutes de plus, je ne sais ce qui en serait arrivé.

      – Ce qui en serait arrivé, dit Mirzoza, c'est que mon bijou ne vous aurait rien appris, et que vous m'auriez perdue pour toujours.

      – Cela peut être, reprit Mangogul; mais à présent que je vois tout le danger que j'ai couru, je vous jure par la Pagode éternelle, que vous serez exceptée du nombre de celles sur lesquelles je tournerai ma bague.»

      Mirzoza prit alors un air assuré, et se mit à plaisanter d'avance aux dépens des bijoux que le prince allait mettre à la question.

      «Le bijou de Cydalise, disait-elle, a bien des choses à raconter; et s'il est aussi indiscret que sa maîtresse, il ne s'en fera guère prier. Celui d'Haria n'est plus de ce monde; et Votre Hautesse n'en apprendra que des contes de ma grand'mère. Pour celui de Glaucé, je le crois bon à consulter: elle est coquette et jolie.

      – Et c'est justement par cette raison, répliqua le sultan, que son bijou sera muet.

      – Adressez-vous donc, repartit la sultane, à celui de Phédime; elle est galante et laide.

      – Oui, continua le sultan; et si laide, qu'il faut être aussi méchante que vous pour l'accuser d'être galante. Phédime est sage; c'est moi qui vous le dis, et qui en sais quelque chose.

      – Sage tant qu'il vous plaira, reprit la favorite; mais elle a de certains yeux gris qui disent le contraire.

      – Ses yeux en ont menti, répondit brusquement le sultan; vous m'impatientez avec votre Phédime: ne dirait-on pas qu'il n'y ait que ce bijou à questionner?

      – Mais peut-on, sans offenser Votre Hautesse, ajouta Mirzoza, lui demander quel est celui qu'elle honorera de son choix?

      – Nous verrons tantôt, dit Mangogul, au cercle de la Manimonbanda (c'est ainsi qu'on appelle dans le Congo la grande sultane). Nous n'en manquerons pas si tôt, et lorsque nous serons ennuyés des bijoux de ma cour, nous pourrons faire un tour à Banza: peut-être trouverons-nous ceux des bourgeoises plus raisonnables que ceux des duchesses.

      – Prince, dit Mirzoza, je connais un peu les premières, et je peux vous assurer qu'elles ne sont que plus circonspectes.

      – Bientôt nous en saurons des nouvelles: mais je ne peux m'empêcher de rire, continua Mangogul, quand je me figure l'embarras et la surprise de ces femmes aux premiers mots de leurs bijoux; ah! ah! ah! Songez, délices de mon cœur, que je vous attendrai chez la grande sultane, et que je ne ferai point usage de mon anneau que vous n'y soyez.

      – Prince, au moins, dit Mirzoza, je compte sur la parole que vous m'avez donnée.»

      Mangogul sourit de ses alarmes, lui réitéra ses promesses, y joignit quelques caresses, et se retira.

      CHAPITRE VI.

      PREMIER ESSAI DE L'ANNEAU. ALCINE

      Mangogul se rendit le premier chez la grande sultane; il y trouva toutes les femmes occupées d'un cavagnole17: il parcourut des yeux celles dont la réputation était faite, résolu d'essayer son anneau sur une d'elles, et il ne fut embarrassé que du choix. Il était incertain par qui commencer, lorsqu'il aperçut dans une croisée une jeune dame du palais de la Manimonbanda: elle badinait avec son époux; ce qui parut singulier au sultan, car il y avait plus de huit jours qu'ils étaient mariés: ils s'étaient montrés dans la même loge à l'Opéra, et dans la même calèche au petit cours ou au bois de Boulogne; ils avaient achevé leurs visites, et l'usage les dispensait de s'aimer, et même de se rencontrer. «Si ce bijou, disait Mangogul en lui-même, est aussi fou que sa maîtresse, nous allons avoir un monologue réjouissant.» Il en était là du sien, quand la favorite parut.

      «Soyez la bienvenue, lui dit le sultan à l'oreille. J'ai jeté mon plomb en vous attendant.

      – Et sur qui? lui demanda Mirzoza.

      – Sur ces gens que vous voyez folâtrer dans cette croisée, lui répondit Mangogul du coin de l'œil.

      – Bien débuté,» reprit la favorite.

      Alcine (c'est le nom de la jeune dame) était vive et jolie. La cour du sultan n'avait guère de femmes plus aimables, et n'en avait aucune de plus galante. Un émir du sultan s'en était entêté. On ne lui laissa point ignorer ce que la chronique avait publié d'Alcine; il en fut alarmé, mais il suivit l'usage: il consulta sa maîtresse sur ce qu'il en devait penser. Alcine lui jura que ces calomnies étaient les discours de quelques fats qui se seraient tus, s'ils avaient eu des raisons de parler: qu'au reste il n'y avait rien de fait, et qu'il était le maître d'en croire tout ce qu'il jugerait à propos. Cette réponse assurée convainquit l'émir amoureux de l'innocence de sa maîtresse. Il conclut, et prit le titre d'époux d'Alcine avec toutes ses prérogatives.

      Le sultan tourna

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<p>17</p>

Jeu de hasard fort à la mode, un peu dans le genre du biribi et de notre loto. Voyez Promenade du Sceptique, t. I.