Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot

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c'en est un, n'est rien moins qu'avéré; on n'a point encore approfondi…

      – Madame, interrompit Zelmaïde, je l'ai entendu très-distinctement; elle a parlé sans ouvrir la bouche; les faits ont été bien articulés; et il n'était pas trop difficile de deviner d'où partait ce son extraordinaire. Je vous avoue que j'en serais morte à sa place.

      – Morte! reprit Zégris; on survit à d'autres accidents.

      – Comment, s'écria Zelmaïde, en est-il un plus terrible que l'indiscrétion d'un bijou? il n'y a donc plus de milieu. Il faut ou renoncer à la galanterie, ou se résoudre à passer pour galante.

      – En effet, dit Mirzoza, l'alternative est cruelle.

      – Non, madame, non, reprit une autre; vous verrez que les femmes prendront leur parti. On laissera parler les bijoux tant qu'ils voudront, et l'on ira son train sans s'embarrasser du qu'en dira-t-on. Et qu'importe, après tout, que ce soit le bijou d'une femme ou son amant qui soit indiscret? en sait-on moins les choses?

      – Tout bien considéré, continua une troisième, si les aventures d'une femme doivent être divulguées, il vaut mieux que ce soit par son bijou que par son amant.

      – L'idée est singulière, dit la favorite…

      – Et vraie, reprit celle qui l'avait hasardée; car prenez garde que pour l'ordinaire un amant est mécontent, avant que de devenir indiscret, et dès lors tenté de se venger en outrant les choses: au lieu qu'un bijou parle sans passion, et n'ajoute rien à la vérité.

      – Pour moi, reprit Zelmaïde, je ne suis point de cet avis; c'est moins ici l'importance des dépositions qui perd le coupable, que la force du témoignage. Un amant qui déshonore par ses discours l'autel sur lequel il a sacrifié, est une espèce d'impie qui ne mérite aucune croyance: mais si l'autel élève la voix, que répondre?

      – Que l'autel ne sait ce qu'il dit,» répliqua la seconde.

      Monima rompit le silence qu'elle avait gardé jusque-là, pour dire d'un ton traîné et d'un air nonchalant: «Ah! que mon autel, puisque autel y a, parle ou se taise, je ne crains rien de ses discours.»

      Mangogul entrait à l'instant, et les dernières paroles de Monima ne lui échappèrent point. Il tourna sa bague sur elle, et l'on entendit son bijou s'écrier: «N'en croyez rien; elle ment.» Ses voisines s'entre-regardant, se demandèrent à qui appartenait le bijou qui venait de répondre.

      «Ce n'est pas le mien, dit Zelmaïde.

      – Ni le mien, dit une autre.

      – Ni le mien, dit Monima.

      – Ni le mien,» dit le sultan.

      Chacune, et la favorite comme les autres, se tint sur la négative.

      Le sultan profitant de cette incertitude, et s'adressant aux dames: «Vous avez donc des autels? leur dit-il; eh bien! comment sont-ils fêtés?» Tout en parlant, il tourna successivement, mais avec promptitude, sa bague sur toutes les femmes, à l'exception de Mirzoza; et chaque bijou répondant à son tour, on entendit sur différents tons: «Je suis fréquenté, délabré, délaissé, parfumé, fatigué, mal servi, ennuyé, etc.» Tous dirent leur mot, mais si brusquement, qu'on n'en put faire au juste l'application. Leur jargon, tantôt sourd et tantôt glapissant, accompagné des éclats de rire de Mangogul et de ses courtisans, fit un bruit d'une espèce nouvelle. Les femmes convinrent, avec un air très-sérieux, que cela était fort plaisant. «Comment, dit le sultan; mais nous sommes trop heureux que les bijoux veuillent bien parler notre langue, et faire la moitié des frais de la conversation. La société ne peut que gagner infiniment à cette duplication d'organes. Nous parlerons aussi peut-être, nous autres hommes, par ailleurs que par la bouche. Que sait-on? ce qui s'accorde si bien avec les bijoux, pourrait être destiné à les interroger et à leur répondre: cependant mon anatomiste pense autrement.»

      CHAPITRE VIII.

      TROISIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE PETIT SOUPER

      On servit, on soupa, on s'amusa d'abord aux dépens de Monima: toutes les femmes accusaient unanimement son bijou d'avoir parlé le premier; et elle aurait succombé sous cette ligue, si le sultan n'eût pris sa défense.

      «Je ne prétends point, disait-il, que Monima soit moins galante que Zelmaïde, mais je crois son bijou plus discret. D'ailleurs, lorsque la bouche et le bijou d'une femme se contredisent, lequel croire?

      – Seigneur, répondit un courtisan, j'ignore ce que les bijoux diront par la suite; mais jusqu'à présent ils ne se sont expliqués que sur un chapitre qui leur est très-familier. Tant qu'ils auront la prudence de ne parler que de ce qu'ils entendent, je les croirai comme des oracles.

      – On pourrait, dit Mirzoza, en consulter de plus sûrs.

      – Madame, reprit Mangogul, quel intérêt auraient ceux-ci de déguiser la vérité? Il n'y aurait qu'une chimère d'honneur qui pût les y porter; mais un bijou n'a point de ces chimères: ce n'est pas là le lieu des préjugés.

      – Une chimère d'honneur! dit Mirzoza; des préjugés! si Votre Hautesse était exposée aux mêmes inconvénients que nous, elle sentirait que ce qui intéresse la vertu n'est rien moins que chimérique.»

      Toutes les dames, enhardies par la réponse de la sultane, soutinrent qu'il était superflu de les mettre à de certaines épreuves; et Mangogul qu'au moins ces épreuves étaient presque toujours dangereuses.

      Ces propos conduisirent au vin de Champagne; on s'y livra, on se mit en pointe; et les bijoux s'échauffèrent: c'était l'instant où Mangogul s'était proposé de recommencer ses malices. Il tourna sa bague sur une jeune femme fort enjouée, assise assez proche de lui et placée en face de son époux; et l'on entendit s'élever de dessous la table un bruit plaintif, une voix faible et languissante qui disait:

      «Ah! que je suis harassé! je n'en puis plus, je suis sur les dents.

      – Comment, de par la Pagode Pongo Sabiam, s'écria Husseim, le bijou de ma femme parle; et que peut-il dire?

      – Nous allons entendre, répondit le sultan…

      – Prince, vous me permettrez de n'être pas du nombre de ses auditeurs, répliqua Husseim; et s'il lui échappait quelques sottises, Votre Hautesse pense-t-elle?..

      – Je pense que vous êtes fou, répondit le sultan, de vous alarmer pour le caquet d'un bijou: ne sait-on pas une bonne partie de ce qu'il pourra dire, et ne devine-t-on pas le reste? Asseyez-vous donc, et tâchez de vous amuser.»

      Husseim s'assit, et le bijou de sa femme se mit à jaser comme une pie.

      «Aurai-je toujours ce grand flandrin de Valanto? s'écria-t-il, j'en ai vu qui finissaient, mais celui-ci…»

      A ces mots, Husseim se leva comme un furieux, se saisit d'un couteau, s'élança à l'autre bord de la table, et perçait le sein de sa femme si ses voisins ne l'eussent retenu.

      «Husseim, lui dit le sultan, vous faites trop de bruit; on n'entend rien. Ne dirait-on pas que le bijou de votre femme soit le seul qui n'ait pas le sens commun? Et où en seraient ces dames si leurs maris étaient de votre humeur? Comment, vous voilà désespéré pour une misérable petite aventure d'un Valanto, qui ne finissait pas! Remettez-vous à votre place, prenez votre parti en galant homme, songez à vous observer, et à ne pas manquer une seconde fois à un prince qui vous

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