Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

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Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot

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peut-être? reprit Ismène piquée de ce doute injurieux. Qu'aurais-je à craindre d'eux?..

      – Tout, s'ils en savaient autant que moi.

      – Et que savez-vous?

      – Bien des choses, vous dis-je.

      – Bien des choses, cela annonce beaucoup, et ne signifie rien. Pourriez-vous en détailler quelques-unes?

      – Sans doute.

      – Et dans quel genre encore? Ai-je eu des affaires de cœur?

      – Non.

      – Des intrigues? des aventures?

      – Tout justement.

      – Et avec qui, s'il vous plaît? avec des petits-maîtres, des militaires, des sénateurs?

      – Non.

      – Des comédiens?

      – Non.

      – Vous verrez que ce sera avec mes pages, mes laquais, mon directeur, ou l'aumônier de mon mari.

      – Non.

      – Monsieur l'imposteur, vous voilà donc à bout?

      – Pas tout à fait.

      – Cependant, je ne vois plus personne avec qui l'on puisse avoir des aventures. Est-ce avant, est-ce après mon mariage? répondez donc, impertinent.

      – Ah! madame, trêve d'invectives, s'il vous plaît; ne forcez point le meilleur de vos amis à quelques mauvais procédés.

      – Parlez, mon cher; dites, dites tout; j'estime aussi peu vos services, que je crains peu votre indiscrétion: expliquez-vous, je vous le permets; je vous en somme.

      – A quoi me réduisez-vous, Ismène? ajouta le bijou, en poussant un profond soupir.

      – A rendre justice à la vertu.

      – Eh bien, vertueuse Ismène, ne vous souvient-il plus du jeune Osmin, du sangiac28 Zégris, de votre maître de danse Alaziel, de votre maître de musique Almoura?

      – Ah, quelle horreur! s'écria Ismène; j'avais une mère trop vigilante, pour m'exposer à de pareils désordres; et mon mari, s'il était ici, attesterait qu'il m'a trouvée telle qu'il me désirait.

      – Eh oui, reprit le bijou, grâce au secret d'Alcine29, votre intime.

      – Cela est d'un ridicule si extravagant et si grossier, répondit Ismène, qu'on est dispensée de le repousser. Je ne sais, continua-t-elle, quel est le bijou de ces dames qui se prétend si bien instruit de mes affaires, mais il vient de raconter des choses dont le mien ignore jusqu'au premier mot.

      – Madame, lui répondit Céphise, je puis vous assurer que le mien s'est contenté d'écouter.»

      Les autres femmes en dirent autant, et l'on se mit au jeu, sans connaître précisément l'interlocuteur de la conversation que je viens de rapporter.

      CHAPITRE XII.

      CINQUIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE JEU

      La plupart des femmes qui faisaient la partie de la Manimonbanda jouaient avec acharnement; et il ne fallait point avoir la sagacité de Mangogul pour s'en apercevoir. La passion du jeu est une des moins dissimulées; elle se manifeste, soit dans le gain, soit dans la perte, par des symptômes frappants. «Mais d'où leur vient cette fureur? se disait-il en lui-même; comment peuvent-elles se résoudre à passer les nuits autour d'une table de pharaon, à trembler dans l'attente d'un as ou d'un sept? cette frénésie altère leur santé et leur beauté, quand elles en ont, sans compter les désordres où je suis sûr qu'elle les précipite.»

      «J'aurais bien envie, dit-il tout bas à Mirzoza, de faire ici un coup de ma tête.

      – Et quel est ce beau coup de tête que vous méditez? lui demanda la favorite.

      – Ce serait, lui répondit Mangogul, de tourner mon anneau sur la plus effrénée de ces brelandières, de questionner son bijou, de transmettre par cet organe un bon avis à tous ces maris imbéciles qui laissent risquer à leurs femmes l'honneur et la fortune de leur maison sur une carte ou sur un dé.

      – Je goûte fort cette idée, lui répliqua Mirzoza; mais sachez, prince, que la Manimonbanda vient de jurer par ses pagodes, qu'il n'y aurait plus de cercle chez elle, si elle se trouvait encore une fois exposée à l'impudence des Engastrimuthes.

      – Comment avez-vous dit, délices de mon âme? interrompit le sultan.

      – J'ai dit, lui répondit la favorite, le nom que la pudique Manimonbanda donne à toutes celles dont les bijoux savent parler.

      – Il est de l'invention de son sot de bramine, qui se pique de savoir le grec et d'ignorer le congeois, répliqua le sultan; cependant, n'en déplaise à la Manimonbanda et à son chapelain, je désirerais interroger le bijou de Manille; et il serait à propos que l'interrogatoire se fît ici pour l'édification du prochain.

      – Prince, si vous m'en croyez, dit Mirzoza, vous épargnerez ce désagrément à la grande sultane: vous le pouvez sans que votre curiosité ni la mienne y perdent. Que ne vous présentez-vous chez Manille?

      – J'irai, puisque vous le voulez, dit Mangogul.

      – Mais à quelle heure? lui demanda la sultane.

      – Sur le minuit, répondit le sultan.

      – A minuit, elle joue, dit la favorite.

      – J'attendrai donc jusqu'à deux heures, répondit Mangogul.

      – Prince, vous n'y pensez pas, répliqua Mirzoza; c'est la plus belle heure du jour pour les joueuses. Si Votre Hautesse m'en croit, elle prendra Manille dans son premier somme, entre sept et huit.»

      Mangogul suivit le conseil de Mirzoza et visita Manille sur les sept heures. Ses femmes allaient la mettre au lit. Il jugea, à la tristesse qui régnait sur son visage, qu'elle avait joué de malheur: elle allait, venait, s'arrêtait, levait les yeux au ciel, frappait du pied, s'appuyait les poings sur les yeux et marmottait entre ses dents quelque chose que le sultan ne put entendre. Ses femmes, qui la déshabillaient, suivaient en tremblant tous ses mouvements; et si elles parvinrent à la coucher, ce ne fut pas sans avoir essuyé des brusqueries et même pis. Voilà donc Manille au lit, n'ayant fait pour toute prière du soir que quelques imprécations contre un maudit as venu sept fois de suite en perte. Elle eut à peine les yeux fermés, que Mangogul tourna sa bague sur elle. A l'instant son bijou s'écria douloureusement: «Pour le coup, je suis repic et capot.» Le sultan sourit de ce que chez Manille tout parlait jeu, jusqu'à son bijou. «Non, continua le bijou, je ne jouerai jamais contre Abidul; il ne sait que tricher. Qu'on ne me parle plus de Darès; on risque avec lui des coups de malheur. Ismal est assez beau joueur; mais ne l'a pas qui veut. C'était un trésor que Mazulim, avant que d'avoir passé par les mains de Crissa. Je ne connais point de joueur plus capricieux que Zulmis. Rica l'est moins; mais le pauvre garçon est à sec. Que faire de Lazuli? la plus jolie femme de Banza ne lui ferait pas jouer gros. Le mince joueur que Molli! En

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<p>28</p>

Nom générique des provinces et des gouverneurs de ces provinces en Turquie.

<p>29</p>

Voir plus haut, p. 151.