Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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jeunes gens se quittaient, charmés l'un de l'autre. Ils se revoyaient le dimanche suivant; et, peu à peu, Pierre apprenait à estimer Françoise, à l'aimer davantage. Le compositeur jugeait bien vite son caractère. Elle était absolument droite, foncièrement loyale; en revanche, violente et passionnée. Elle haïssait «les bourgeois»: ce qu'elle appelait les «gens qui se sont seulement donné la peine de naître»! Pourquoi cette exaltation absurde chez une créature honnête qui jugeait sainement les choses? Sans doute le reflet d'une éducation première, l'enseignement d'une mère envieuse et jalouse. Peu importait ce mauvais grain, jeté par hasard dans une si bonne terre. Tant de qualités faisaient oublier ce défaut-là! Courageuse, active, ne reculant jamais devant la fatigue, et disant d'une certaine façon: «Cela est bien» ou «Cela est mal», qui faisait comprendre tout de suite que cette enfant de seize ans irait droit dans la vie, sans dévier jamais du chemin du devoir et de l'honneur. Deux mois après, ils s'épousaient. Neuf mois, jour pour jour, après le mariage, Jacques venait au monde. Et dès lors, ils vivaient tous les trois, heureux et fiers. Après dix-sept ans de labeurs et de soins, le ménage économisait enfin quelque argent. En mai 1870, il possédait 4,000 francs à la caisse d'épargne. Dans le quartier, – ils demeuraient alors rue Saint-Antoine, – tout le monde aimait ces braves gens, si beaux, si bons, si travailleurs. Puis la guerre éclatait, et Jacques devenait garde national. Il entrait dans les bataillons de marche, car il voulait se battre. Et il se battait bien, aux avant-postes, du côté du fort de Montrouge. Mais plus de travail, plus de gain. On commençait de manger les économies; le bon temps était passé, et le malheur allait venir.

      Assise auprès du lit, Françoise évoquait tous ces souvenirs, et des larmes coulaient de ses yeux. Vrai, depuis quelques mois, elle payait bien son bonheur passé. Au 18 mars, voilà que Pierre se jetait dans la Commune! Elle n'osait pas le retenir, croyant qu'il faisait ce qu'il devait faire. Alors recommençaient les éternelles angoisses. Les deux seuls êtres qu'elle aimât, toujours en péril!

      Cependant, Jacques se rendormait. Le mari et la femme se rapprochaient de la fenêtre et causaient encore, mais à voix très basse pour ne pas éveiller l'enfant. Pierre dit pour la seconde fois:

      – Vrai, tu n'es plus inquiète de Jacques?

      – Non. Malheureusement, les forces sont lentes à revenir.

      A dix heures seulement, le docteur parut, accompagné d'un autre homme de haute taille, à l'œil vif, au front puissant. C'était le docteur Grandier, médecin en chef des hôpitaux, un savant illustre; mieux qu'un homme illustre: un homme très bon. Il salua respectueusement Françoise et hocha la tête, mécontent, en voyant la vareuse de garde national sur le dos de Pierre. Enfin, se tournant vers son jeune collègue, un de ses anciens internes:

      – Alors, vous me disiez, Borel?..

      – Je vous disais, mon cher maître, que ce jeune garçon revient de loin. Une balle dans le corps, rien que ça!

      – Une balle… par accident?

      – Non pas, s'il vous plaît, mon cher maître! Un joli lingot de plomb, en pleine poitrine, à Montretout.

      M. Grandier restait stupéfait. Il regardait Pierre et Françoise comme s'il les prenait pour des fous.

      – C'est votre fils, n'est-ce pas, Madame? Vous êtes assez jolie et assez jeune pour que je vous adresse cette question.

      – Oui, Monsieur, répliqua-t-elle, rougissant un peu.

      – Mais c'est un bambin! quel âge a-t-il?

      – Seize ans et demi.

      – Et vous le laissez s'engager? Vous êtes bons tous les deux à mettre à Charenton!

      – Oh! il est parti malgré moi, répliqua Françoise, en ébauchant un vague sourire de fierté. Son père, mon mari que vous voyez là, se battait aux avant-postes, pendant le premier siège. Moi, je restais seule avec Jacques. L'enfant devenait triste. Il ne se plaisait même plus à pétrir de la terre glaise. Car c'est un artiste, Monsieur! Il usait ses journées à regarder les troupes défiler, et il fermait les poings d'un air sombre. Un matin, il m'a dit: «C'est honteux de penser que je suis ici à ne rien faire, quand les autres se battent!» Je demeurais tout interdite, toute frissonnante. Pensez donc! je tremblais déjà pour mon mari. Est-ce que j'allais encore trembler pour mon fils? «Mais tu es trop petit, Jacques. Il n'y a pas un seul bataillon où on voudrait de toi!» Il m'a répondu, en hochant la tête: «Alors, pourquoi père me racontait-il autrefois de si belles histoires? Celle de Bara, tambour à quatorze ans; celle des volontaires de seize ans, qui s'enrôlaient pour courir à la frontière?» Je ne savais trop que répliquer. On a tort de mettre certaines idées dans le cerveau des enfants. Pendant huit jours encore, Jacques restait songeur, tout triste. Il rentrait tard, le soir. Un matin, il m'a dit: «Écoute, maman, je voudrais t'obéir, mais il n'y a plus moyen. Bersier… tu sais, Bersier, le graveur qui m'a appris à dessiner? eh bien, il est sergent dans les francs-tireurs. Il m'a fait inscrire dans sa compagnie. Je partirai tantôt. Pardonne-moi, maman! mais je n'y tenais plus!» Et il me sautait au cou, m'embrassant, me câlinant. Moi, j'étais bien malheureuse, mais aussi toute fière! Oh! je peux dire cela, Jacques dort, il ne m'entend pas. Il y a une âme de héros et d'artiste dans cet enfant. J'ai souri; et j'ai répondu: «Va te battre, puisque tu y tiens tant que ça!» Mais après son départ, je me suis mise à sangloter; je maudissais le sort. Ah! que je souffrais, quand la nuit tombait toute noire, toute glacée! Je pensais à mon pauvre petit, déjà intelligent, fier et hardi comme un homme. Quinze jours après, on se battait à Montretout. Jacques sautait le premier dans le jardin de M. Gounod, où se cachaient six cents Badois. Et il tombait, la poitrine traversée. Voilà notre histoire, Monsieur.

      Françoise parlait simplement, avec une émotion concentrée, mais profonde. Elle jetait sur Jacques un long regard chargé d'amour. Le petit héros dormait toujours, et son sommeil souriait. Peut-être rêvait-il fièrement aux belles actions accomplies. M. Grandier détournait la tête. Il ne voulait pas laisser voir les larmes qui roulaient dans ses yeux. Rien ne remue un homme de cœur comme la rencontre soudaine d'un caractère. Les êtres supérieurs ont plaisir à rencontrer la supériorité chez les autres.

      – Voulez-vous me donner la main, Monsieur? dit-il en se tournant vers Pierre Rosny. L'homme et la femme qui ont mis au monde et qui ont élevé cet enfant-là sont de braves gens.

      – Vous nous le guérirez, n'est-ce pas, docteur? s'écria Pierre dans un élan de reconnaissance.

      M. Grandier souriait maintenant.

      – Laissez-moi le voir d'abord, que diable! répliqua-t-il avec sa bonhomie charmante. Bien sûr, on le guérira. Il n'y a pas déjà tant de Français comme votre petit! D'ailleurs, Borel s'y connaît. S'il répond de son malade, c'est que tout va bien.

      L'illustre médecin s'asseyait près du lit, et réveillait Jacques doucement. Le blessé ouvrait les yeux et regardait avec confiance la figure du savant où rayonnait la bonté.

      – C'est le maître du docteur, Jacques.

      – Bonjour, monsieur Borel, dit le jeune garçon en tendant la main au médecin, devenu son ami.

      Puis, il reportait les yeux sur M. Grandier qui l'étudiait maintenant avec son regard pénétrant de psychologue. Il avait les cheveux blonds de sa mère; et, comme elle aussi, des yeux d'un bleu sombre, fiers, passionnés et résolus. Il tenait entièrement de Françoise. On eût dit que l'âme de cette femme était entrée dans le corps de cet enfant. Le visage, pâli par la souffrance, par les longues semaines passées au lit, s'amincissait au menton, accusant une finesse énergique. Les lèvres se dessinaient très nettement: signe de volonté et de courage. Quant

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