Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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travers Paris que les gens de la Commune avaient essuyé une grosse défaite. Elle n'y tenait plus. Elle voulait savoir. Son inquiétude lancinante la ressaisissait. Elle courut chez sa voisine.

      – Je compte sur vous, n'est-ce pas, mademoiselle Aurélie?

      – Mais oui, madame Rosny, vous le savez bien.

      – Tant que je resterai dans le doute, voyez-vous, je ne vivrai pas. Pierre s'est battu, bien sûr. S'il y a un malheur, j'aime autant le connaître tout de suite. Je serai peut-être longtemps, très longtemps absente. Vous me promettez de ne pas quitter Jacques?

      – Je vous le promets.

      – Je veux dire… Vous ferez… comme si c'était moi?

      – Soyez donc tranquille, madame Rosny. Est-elle naïve de se tourmenter comme ça… et pour un homme encore!

      – Merci, merci…

      Françoise serrait fiévreusement les mains de sa voisine. Elle s'enveloppait d'un châle, et sortait. La jeune femme allait droit devant elle, ne s'arrêtant que pour demander des nouvelles aux uns ou aux autres, espérant toujours qu'on savait quelque chose de nouveau. Elle traversait ainsi tout Paris. La matinée s'avançait. Vers la Madeleine, elle voyait passer des bataillons de fédérés aux mines hâves, aux vêtements déchirés. Ceux-là venaient de la bataille, sans doute. Alors, elle regardait avidement le numéro cousu sur le collet des tuniques. Et, stupide, elle restait debout sur la chaussée, contemplant ces hommes échappés à la boucherie, se demandant si Pierre aurait eu ce bonheur, si elle le reverrait. Elle faisait quelques pas encore, et arrivait place de la Concorde. Aller plus loin? Et si, pendant ce temps-là, son mari revenait par un autre côté? Elle tournait et retournait ses idées dans son cerveau, quand une escouade à demi débandée passa devant elle. Françoise se dressa, comme mue par un ressort. Elle ne se trompait pas. C'étaient bien des hommes appartenant au bataillon de son mari. Elle reconnaissait le numéro. Une vingtaine de fédérés tout au plus, qui défilaient, noirs de poudre, exténués de fatigue. Un lieutenant, légèrement blessé, les conduisait. Françoise courut à lui.

      – Est-ce que tout le bataillon va rentrer, citoyen? dit-elle.

      – Le bataillon? Voilà ce qu'il en reste!

      Et d'un geste farouche, il montrait le troupeau en guenilles qui le suivait. Françoise faillit tomber à la renverse. Elle devint si pâle que l'officier comprit ou devina quelque chose.

      – Est-ce que votre homme en était? lui demanda-t-il.

      – Oui.

      – Diable! comment s'appelait-il?

      – Pierre Rosny, balbutia Françoise, épouvantée d'entendre ainsi parler de son mari au passé.

      – Pierre Rosny? Connais pas. Écoutez. Si vous voulez avoir des nouvelles, le plus simple est de pousser jusqu'à Sèvres. Votre homme est, ou tué, ou blessé, ou prisonnier. Pas de milieu. Car le bataillon a rudement écopé aujourd'hui!

      Le lieutenant s'éloignait, suivi de ses soldats vaincus. Et Françoise demeurait immobile, sans voix, sans haleine. Elle était sur le point de tomber. Elle s'appuya contre un arbre. Elle regardait s'éloigner, traînant le pied, suant, soufflant, les fédérés qui revenaient du combat suprême. Il lui semblait que chacun d'eux emportait avec lui un morceau de celui qu'elle adorait. Pierre! Pierre, tué, blessé ou prisonnier! Elle n'hésitait pas. Il fallait partir. De l'énergie? On en trouve toujours quand on veut!

      Elle allait à la recherche de son mari. Sans doute, elle claquait des dents, elle frissonnait, et les forces lui faisaient défaut. Mais elle ne tomberait pas. Elle ne voulait pas, non, elle ne voulait pas! Inutile à présent de s'inquiéter de Jacques, hors de danger, et surveillé par Aurélie. Elle marchait vite. En chemin, elle s'arrêtait à peine dix minutes, pour manger un peu. Et elle recommençait sans se lasser, sans se décourager. Le temps coulait. Il était à peu près six heures du soir; et à huit, il ferait nuit. L'étape était longue; et cependant Françoise ne sentait pas la fatigue. Une surexcitation nerveuse, très intense, la soutenait. Les paroles du lieutenant dansaient dans son cerveau affolé.

      Tué, Pierre? Impossible! la vie n'est pas toujours cruelle. Elle a quelquefois des sourires. Après tant de mois de dures épreuves, le destin lui devait bien un peu de bonne chance. Non, Pierre n'était pas tué. Blessé, seulement… Toute blessure n'est pas mortelle. Est-ce que Jacques n'avait pas guéri d'une balle au travers du corps? Mais l'espérance est envahissante, et à mesure qu'elle marchait, Françoise construisait dans sa pensée le roman de sa vie future. Après avoir souhaité beaucoup, elle souhaitait encore davantage. Elle se refusait à admettre même que Pierre pût être blessé! Lui, l'élu de son cœur, son mari, son amant, avec une balle dans la poitrine, avec une jambe ou un bras de moins? Jamais! S'il ne revenait pas, c'est qu'il était prisonnier! On racontait dans Paris que les soldats de Versailles tuaient les prisonniers? Un mensonge! Elle ne voulait plus y croire. D'ailleurs, Pierre disait le contraire. N'importe; c'est affreux tout de même que d'être captif, enfermé dans une geôle sombre, farouche, puante. Maintenant, elle n'admettait même plus la dernière hypothèse, la plus favorable. Ni tué, ni blessé, ni prisonnier. Pierre avait, sans doute, échappé au désastre. Il ne rentrait pas parce qu'il ne pouvait pas rentrer. Il se cachait dans les bois de Sèvres ou de Ville-d'Avray.

      Elle arrivait à la Seine. Un cri d'horreur sortit de ses lèvres.

      Oh! la guerre civile, hideux chaos, œuvre d'une colère maudite! Des soldats de ligne, des gardes nationaux, des chasseurs à pied, des artilleurs apparaissaient pêle-mêle sur la berge, sur les talus, sur la route, le visage convulsé, les bras en croix ou repliés le long du corps, couchés sur le dos ou étalés sur le ventre, lugubrement et fraternellement étendus les uns à côté des autres. Pourquoi s'étaient-ils entre-tués, ces êtres humains que la mort réunissait ainsi dans le repos du même sommeil? La vie en avait fait des ennemis: et leurs cadavres réconciliés se touchaient sans dégoût et sans haine. Des chevaux du train d'artillerie gisaient dans la boue, les jambes raides, dessinant leur charpente maigre sous la peau collée. A droite et à gauche, des mares de sang en plaques noirâtres; partout la mort, hideuse, saisissante, brutale. Çà et là, des fusils abandonnés, des sabres tordus, des cartouchières crevées, des képis boueux. D'un côté, la Seine, qui coulait brune, mélancolique, indifférente, poussant un vagissement monotone; de l'autre, les maisons éventrées par les obus, dépouillées de leur toiture, vides, béantes. Dans les murs, des meurtrières ouvraient leurs gueules sinistres. On voyait encore des hommes penchés aux fenêtres, immobiles, semblables à des statues. Une balle les avait atteints à leur poste de combat, et ils restaient appuyés à la muraille qui soutenait leurs corps glacés.

      La nuit commençait à s'épandre, jetant son voile indigné sur toutes ces hideurs. Et Françoise errait au milieu de ce carnage, seule, livide, les yeux remplis d'épouvante, contemplant pour la première fois l'infamie des guerres civiles.

      Non, jusqu'à ce jour, elle ne la comprenait pas! La robuste fille du peuple, nourrie dans la haine des riches, croyait qu'on avait le droit de prendre le fusil pour livrer la grande bataille du pauvre et du déshérité. Cette pensée n'évoquait pour elle que l'histoire légendaire des rouges barricades de Juillet ou de Février. Elle entendait dans sa mémoire les cris des glorieux va-nu-pieds en blouse, renversant le trône de Charles X; et le tocsin des églises, sonnant le retour du drapeau tricolore; et les refrains de Béranger, qui chantaient encore à son oreille le triomphe des vainqueurs. Tout cela restait pour elle, jusqu'à présent, comme une épopée vague, ou des figurants de théâtre représentent les combattants, et où tout se termine au cinquième acte par une apothéose!

      Elle la voyait maintenant,

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