Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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seuls. Françoise restait toute songeuse. Les paroles du docteur sonnaient lugubrement à son oreille. Elle prit un livre sur la cheminée et le tendit à Jacques.

      – Tiens, mon chéri. C'est le livre que Mlle Aurélie a apporté pour toi, pendant que tu dormais. Je vais cinq minutes dans ma chambre avec ton père.

      – Merci, maman.

      Et quand Françoise eut emmené son mari dans la pièce voisine.

      – M. Borel a peut-être raison, dit-elle de sa voix brève et nerveuse. Pourquoi retournes-tu te battre?

      – Françoise…

      – Oh! je n'essaierai pas de t'en empêcher. Tu prétends que c'est ton devoir. Et tu sais, je suis une vaillante. Toutes ces craintes du docteur, il y a longtemps que je les partage. Si ce n'était encore que les balles et les obus, eh bien, on leur échappe. Mais après!..

      Elle frissonnait. L'énergie de son regard s'éteignait lentement sous l'effort d'une pensée cachée.

      – Calme-toi, mon amie.

      – Oh! je suis calme. Mais il a raison, vois-tu. Chez eux comme chez nous, on est féroce. Ce n'est plus la guerre, tout ça. Il paraît qu'à Versailles on tue les prisonniers. Et nous en faisons autant. Oh! pas toi! Tu es bon, toi; c'est tout naturel, puisque tu es brave. Mais si on te fusillait!

      Pierre la prenait dans ses bras et l'étreignait longuement. Maintenant, il riait, pour chasser les idées funèbres qui hantaient le cerveau de Françoise.

      – Où diable as-tu donc la tête! reprit-il gaiement. Voyons, voyons, est-ce que tu vas t'effrayer comme une femmelette? D'abord, on ne tue pas les prisonniers. Ainsi, ce n'est pas la peine de t'épouvanter, comme cela, sans raison. C'est appeler la mauvaise chance que de tant la redouter. Est-ce que je n'ai pas eu du bonheur, jusqu'à présent? J'ai échappé à tout! Pourquoi n'en serait-il pas toujours ainsi? Nous retrouverons le bon temps, va, et notre vie heureuse d'autrefois. On ne me tuera pas, on ne me fusillera pas. Au contraire, je reviendrai bien vivant, et nous irons nous installer tous les trois dans un grand quartier, plein de soleil.

      D'habitude, quand Pierre lui parlait ainsi, Françoise retrouvait sa confiance. Cette fois, elle restait sombre.

      – Qu'est-ce que tu as, voyons? dit-il tendrement.

      – J'ai… j'ai peur.

      – Toi, si courageuse de coutume?

      – Je n'ai pas de courage, aujourd'hui. Je ne sais pas pourquoi… Mais je frissonne en te voyant partir. C'est absurde. On ne devrait pas être comme ça. Embrasse-moi, mon ami, et va-t'en. Ton bataillon est en marche déjà. Plus tu attendras, plus tu auras de chemin à faire pour le rejoindre.

      Cependant Pierre prenait son fusil dans un coin, il attachait son sabre, il inspectait sa musette. Françoise redevenait énergique pour sourire au moment des adieux à cet homme qu'elle adorait.

      – As-tu bien tout ce qu'il te faut? demanda-t-elle. Montre-moi ta gourde. Bon: elle est pleine. Emporte le gros châle brun: les nuits sont encore fraîches. Allons, va, Pierre; ne t'expose pas trop. Va… va…

      – Quel cœur tu as!

      – Le cœur que tu m'as fait. Il est facile à une femme d'être une bonne compagne et une bonne mère, quand elle aime et quand elle est aimée.

      Ils rentraient dans la chambre du petit blessé. Jacques s'était rendormi. Au moment de franchir la porte, l'ouvrier s'arrêtait une dernière fois. Il embrassait encore, ardemment, tendrement, cette superbe et vaillante créature qui lui donnait tous les trésors de son cœur et de sa beauté. Puis, tourné vers le lit, il envoyait un baiser à Jacques, n'osant pas s'approcher de son fils, craignant de troubler son sommeil.

      – Embrasse-le aussi, dit tout bas Françoise attendrie. Il est si faible le pauvre petit! Ce n'est pas ton baiser qui l'éveillera…

      Alors, cet homme rude et brave marchait sur la pointe des pieds, se faisant petit, discret, pour son cher malade. Jacques dormait, comme à l'arrivée du docteur Borel et de M. Grandier, souriant à quelque songe délicieux, avec le calme bien-être des convalescents. Son fin visage, légèrement ombré par ses cheveux blonds, disparaissait à demi dans les blancheurs de l'oreiller. Pierre contemplait sa femme et son fils: les deux seules tendresses de sa vie. Il les quittait pour ne les revoir jamais, peut-être. Et maintenant, les sinistres pressentiments de Françoise l'envahissaient, hantant son cerveau, troublant son esprit. Il se répétait tout bas les sages conseils de M. Borel. S'il se trompait, après tout? Si son devoir ne lui commandait pas d'aller se battre? Si les gens de Paris avaient tort, et raison ceux de Versailles? Toutes les hésitations qui torturent le cœur d'un honnête homme remuaient en lui. Où était le devoir? Dans sa famille, ou sur le champ de bataille? Il chassait vite ces idées. Est-ce qu'il ne le connaissait pas, son devoir? Et depuis quand reculait-il au moment de l'accomplir? Il ne pouvait pas être dans l'erreur, depuis tant de semaines que sa conscience l'approuvait.

      Doucement, il se penchait vers l'oreiller, et embrassait Jacques sur le front. Puis, s'éloignant du lit, sur la pointe des pieds, il faisait signe à Françoise de le suivre.

      – S'il m'arrivait malheur, murmura-t-il d'une voix altérée, jure-moi que tu en ferais un homme.

      – Ah! je te le jure!

      Et comme s'il craignait de ne pouvoir résister à la lâcheté de sa tendresse, Pierre se précipita au dehors.

      II

      Au bout de deux heures, Jacques s'éveilla.

      – Père est parti, maman?

      – Oui, mon chéri.

      – Moi qui voulais lui dire adieu!

      – Il t'a embrassé pendant que tu dormais.

      Françoise regardait son fils, laissant glisser son ouvrage sur ses genoux. Certes, la santé lui reviendrait bien vite. Mais quelle pâleur sur ses joues! comme il souriait tristement, lui toujours si gai!

      – Ne parle pas trop, reprit-elle. Tu ferais mieux de lire. Veux-tu que je te donne le livre de Mlle Aurélie?

      – Merci, maman. J'aimerais mieux Aurélie que son livre. Elle est si amusante!

      – Je vais la chercher, répliqua Françoise, heureuse de satisfaire le caprice de son fils.

      Mlle Aurélie Brigaut, une brunisseuse, demeurait porte à porte. Rousse, assez galante, jolie fille, très gaie, elle riait toujours, peut-être pour montrer ses dents blanches. Aurélie aimait bien Mme Rosny, mais elle raffolait de Jacques.

      – Ah! s'il avait cinq ou six ans de plus! disait-elle parfois en soupirant.

      Elle n'affectait pas de pruderie méchante, pas de vertu poseuse. Bonne enfant, elle choisissait ses amours par caprice, et non par intérêt. Ces amours-là changeaient souvent: voilà tout. Elle arriva bien vite auprès du gentil malade.

      – Mme Rosny m'a dit que vous me demandiez? Voilà qui est bien. C'est une bonne idée. Savez-vous ce que j'ai fait? J'ai envoyé votre mère se promener. Elle ne voulait pas; elle se défendait. Je n'ai pas entendu raison. Elle a besoin de prendre un peu l'air, cette femme. Pourquoi resterait-elle là, puisque je suis auprès de vous? Il est joli comme tout, dans son lit blanc,

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