Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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reste, on n'était pas sûr: on allait voir. Le directeur de la prison, ancien officier, homme correct, n'avait pas trop de ses journées pour accomplir sa tâche. Chaque jour, on lui envoyait des fournées de prisonniers. Son activité suffisait à peine à la besogne. Il était levé et reçut Françoise tout de suite. Il jeta sur la jeune femme un regard rapide, ému malgré lui par ce visage pâle, par ces yeux pleins de terreur.

      – Vous désirez, Madame?..

      D'une voix tremblante, elle dit tout. Elle cherchait son mari: tué, blessé ou prisonnier. Elle répétait toujours ces trois mots terribles. Tué? elle commençait à croire que non. Prisonnier? elle allait le savoir. Elle raconta son histoire navrante, et comment il ne devait pas être là depuis plus de deux jours.

      – Quel est le nom de votre mari, Madame?

      – Pierre Rosny.

      Le directeur prit un gros livre relié, à couverture verte, et parcourut les pages.

      – Il n'est pas ici, Madame. Il est peut-être «au hangar».

      Elle ne comprenait pas. Le directeur lui expliqua que la prison était pleine, plus que pleine. Il en venait tant, de ces gardes nationaux, qu'on saisissait à chaque rencontre! Ne sachant où les mettre, depuis quelques jours, on les parquait dans un immense hangar, tout près de la prison. Il allait la faire conduire afin qu'elle ne s'égarât pas. Françoise remerciait vaguement, étonnée de trouver tant d'obligeance et de bonté chez ces hommes qu'à Paris on leur dépeignait comme des bourreaux. De nouveau, elle se retrouvait dehors, avec le gardien chargé de la guider. Encore marcher, encore traîner ses pas errants! Si, du moins, tant de fatigues aboutissaient, si elle devait sauver Pierre! Elle longeait les murs de la prison, d'où sortaient des plaintes vagues comme de longs soupirs. Elle s'éloignait à regret de cette geôle sombre: elle eût été si heureuse maintenant que Pierre fût enfermé là dedans! Après une course de dix minutes, le gardien lui dit:

      – Voilà, Madame.

      Et faisant un salut vague, il la laissa toute seule. Elle s'arrêtait devant une espèce de cantonnement, entouré d'un gros détachement de chasseurs à pied qui restaient là, le fusil armé, pendant que les officiers veillaient, le revolver au poing. La prison trop pleine ne pouvait plus loger tous les captifs, et on les enfermait là comme des bêtes fauves. Il fallait reconnaître Pierre dans cette foule. Il faisait jour, à présent. Un jour gris, brouillé, dont les lueurs troubles éclairaient mal. Elle cherchait, elle regardait.

      Il y en avait de tous les âges: des enfants, des hommes faits, des vieillards; tous hâves, harassés par la bataille, épuisés aussi par l'angoisse qui les tenaillait. Quelques-uns, blessés légèrement, gisaient dans un coin, sous un toit rapidement construit, que soutenaient des poutres équarries à la hâte; les autres demeuraient immobiles, ne bougeant pas, comme s'ils craignaient les mauvais traitements ou les coups. Presque tous semblaient se méfier de leurs gardiens. C'est qu'une légende terrible se colportait dans Paris; une légende calomniatrice qui accusait les soldats et les officiers de violences et de cruautés. Les gens de l'Hôtel de ville voulaient mettre le feu au ventre de leurs hommes. La plupart de ces ambitieux, devenus soudain tribuns du peuple, assuraient qu'à Versailles, on ne faisait pas de prisonniers. On tuait tout; si par hasard on gardait quelques vaincus, c'était pour les torturer. Quelques journaux ignobles de la capitale inventaient d'infâmes histoires sur les traitements réservés à ces captifs. Quand, plus tard, l'historien, calme, réunissant les documents de ce temps-là, voudra peser les crimes des uns et des autres, il se demandera si les mensonges de ceux qui gouvernaient n'excusent pas à demi la folie de ceux qui se laissaient conduire.

      Aussi, parmi tous ces prisonniers, quelques-uns aimaient mieux en finir tout de suite. Deux ou trois des plus enragés rêvaient une tentative d'évasion, ou une insulte brutale à leur gardien; enfin, quelque chose qui amenât un dénouement rapide. Françoise les contemplait, épouvantée. Pierre, retenu là ou ailleurs, endurait toutes ces misères. Elle lisait tant de souffrance sur les visages décharnés de ces malheureux! Lui aussi avait faim, avait soif; lui aussi gisait étendu sur la terre, le visage convulsé. Elle ne pouvait pas détourner ses yeux hagards du hideux spectacle étalé devant elle! Malgré son angoisse, elle les examinait un à un, cherchant à reconnaître celui qu'elle adorait. Un officier de chasseurs s'approcha de Françoise, lui demandant poliment ce qu'elle désirait. Elle répliqua qu'elle croyait son mari prisonnier; le directeur de la prison, après l'avoir reçue, l'avait fait conduire «au hangar», pour qu'elle pût s'informer. L'officier dit que c'était fort simple. Il possédait la liste de tous ceux qui se trouvaient là. Il la conduisit dans un petit bureau placé dans la maison voisine. Nombreuses, ces pages où s'entassaient les noms de tous ces captifs. Celui de Pierre Rosny ne s'y lisait point. L'officier, un adolescent, se sentait ému. Il s'intéressait malgré lui à cette pauvre femme.

      – C'est votre mari que vous cherchez?

      – Oui, Monsieur.

      – Vous ne l'avez pas trouvé à la prison; il n'est pas ici non plus. Vous pouvez espérer encore.

      Espérer! Elle en était lasse. La vue de tous ces hommes, dont le visage suait la douleur, l'angoissait. Elle restait comme clouée sur le sol. Tout à coup, un jeune homme se leva, un garçon d'une vingtaine d'années. C'était un des blessés. Une baïonnette avait troué son épaule, et l'on voyait une large tache rouge à travers la toile qui enveloppait la plaie. Il paraissait souffrir beaucoup. Le visage blanc, les lèvres tuméfiées, les yeux brûlés de fièvre, il promenait sur les soldats ses regards chargés de haine. Soudain, il s'appuya contre une poutre et, faisant un geste de défi, il se mit à chanter un hymne féroce, au refrain hideux, qui suintait la haine et le sang:

      La Commune, dans les batailles,

      O drapeau rouge de Paris,

      Rit des crapules de Versailles,

      Enveloppée entre tes plis!

      Que le feu flambe ou le sang coule,

      Qu'importe à qui n'a feu ni lieu?

      Vive la Commune! qui soûle

      Ses braves b… de vin bleu!

      Tous les prisonniers avaient tressailli. Un long murmure frissonnait dans les groupes. Un sergent se détacha de l'escouade, et s'approchant du chanteur:

      – Te tairas-tu, blanc-bec?

      Le «blanc-bec» sourit: il souffrait trop; il voulait que son martyre eût une fin. Alors, haussant la voix, avec un accent plus farouche encore:

      Ta couleur, ô rouge bannière,

      C'est la couleur du sang vermeil!

      C'est celle du feu, quand t'éclaire

      Un rayon d'or du grand soleil!

      Quand le maudit Badinguet croûle,

      Quand tout passe, roi, pape ou Dieu,

      Vive la Commune qui soûle

      Ses braves b… de vin bleu!

      Tous les prisonniers étaient debout. Cette Marseillaise de la populace les enflammait. Le sergent prit le jeune homme par l'épaule et le secoua si violemment que le blessé jeta un cri de douleur.

      – Tu joues un jeu à te faire casser la gueule! cria-t-il.

      De nouveau le captif ne répliqua rien. Ses yeux hautains regardèrent encore le groupe remuant de ses compagnons de misère. On lisait sa pensée sur son visage résolu. Il ferait tout pour exaspérer ses gardiens. D'une voix ardente, où vibraient la rage et la fureur, il commença le troisième couplet:

      Autour de toi, drapeau-symbole,

      Nous

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