Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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un monde presque entièrement nouveau. Elle ne pouvait se faire à l'idée qu'elle, une ouvrière, une révoltée, recevait un pareil accueil chez ces belles et riches jeunes filles. Cependant, elle allait partir, et c'est à peine si elle avait dit combien elle se sentait profondément touchée. Elle se tenait debout, au milieu du salon, regardant l'une après l'autre ces jolies fées qui lui apparaissaient dans sa détresse comme deux anges consolateurs: Faustine, douce, calme et souriante, Nelly, toute gaie avec ses yeux où luisait la joie.

      – Je ne sais que vous dire… Mon Dieu! comme vous êtes bonnes! Qui sait ce que je serais devenue sans vous? Et mon pauvre enfant ne m'aurait jamais revue peut-être. Pourtant, il a plus besoin que jamais de…

      Elle s'arrêta. La pensée de Pierre lui revenait, cruelle, remplissant son cerveau d'idées funèbres. Un sanglot s'étouffait dans sa gorge: elle chancela. Comme Faustine s'élançait pour la soutenir, elle l'arrêta d'un geste doux:

      – Non, merci, ce n'est rien. Un éblouissement: il est passé déjà.

      Elle essayait de sourire; mais des larmes brillaient dans ses yeux. De nouveau elle les regardait l'une après l'autre.

      – Voulez-vous me permettre de vous embrasser? dit-elle avec une nuance de timidité.

      – Comment donc! mais c'est moi qui vais commencer, s'écria Nelly.

      Françoise serrait les mains de Mlle de Bressier, elle la contemplait, comme si elle eût voulu graver à jamais dans sa mémoire le visage charmant de la jeune fille.

      – Soyez heureuse, dit-elle enfin. Adieu, Mademoiselle.

      Elle dégageait ses mains que Faustine retenait dans les siennes.

      – Alors, nous allons nous quitter, et je ne saurai pas votre nom? demanda-t-elle.

      – Qu'importe, si je n'oublie jamais le vôtre? répliqua doucement l'ouvrière. Je suis celle qui passait et que vous avez sauvée. Merci et adieu!

      – Étrange femme! murmura la jeune fille, pendant que le duc filait dans l'allée du parc.

      Marius conduisait lui-même. Il n'entendait pas qu'il arrivât un accident à la protégée de sa maîtresse. Pendant le trajet, assez long, sans cesse interrompu par des convois militaires, par des troupes de soldats qui rejoignaient leurs régiments, Marius parlait du général, de son fils, de sa fille. Françoise écoutait curieusement l'éloge de cette belle créature à qui elle devait tant. D'ordinaire, rien n'est plus doux que d'entendre admirer ceux-là qui nous ont fait du bien. Dans son cœur, la reconnaissance se heurtait à sa haine contre les bourgeois. Quand Marius la déposa, au delà de Saint-Denis, à quelque cent mètres des fortifications, Françoise savait de Faustine et des siens tout ce que le soldat savait lui-même. Un sentiment nouveau remuait dans son cœur. Elle revoyait en pensée l'allure noble et fière, les yeux pers de la jeune fille, et elle se demandait avec étonnement si, maintenant, il n'y avait pas en ce monde un être de plus qu'elle aimait.

      Comme elle franchissait le poste de gardes nationaux qui campait dans la première avenue, Françoise s'entendit appeler par son nom. Surprise, elle tourna la tête, et subitement devint toute pâle. Elle reconnaissait le lieutenant légèrement blessé, qui faisait partie du bataillon de Pierre.

      – Bonne nouvelle! citoyenne! votre mari est vivant…

      Elle eut un cri déchirant, se sentant défaillir. Après avoir réagi contre l'excès de la douleur, est-ce qu'elle ne saurait pas réagir contre l'excès de la joie?

      – Vivant! vivant!

      – Oh! je me suis beaucoup reproché de vous avoir tourmentée hier… Mais je ne savais pas… Un brave garçon est arrivé ce matin apportant des nouvelles sûres. Cent hommes du bataillon ont pu s'échapper. Ils sont cachés dans les bois au delà de nos avant-postes. On enverra deux régiments pour les dégager.

      Mais Françoise n'entendait plus, ne voyait plus. Elle ne savait qu'une chose: Pierre était sauvé! Elle le reverrait; il y aurait encore du bonheur pour eux! Dans son ivresse elle restait debout, dans l'avenue, appuyée contre un arbre. Comme un soleil, cette radieuse jeune fille venait peut-être de lui porter bonheur.

      IV

      Le château de Chavry, qui appartient au général de Bressier, date du premier Empire. Il a été bâti, en 1803 par le fameux Ledret, sur l'ordre de Napoléon, qui en fit don à sa sœur Pauline, lorsqu'elle épousa le prince Borghèse. Cette énorme propriété porte bien la marque de son époque: un corps de bâtiment assez lourd, au milieu, et flanqué de deux ailes trop légères. Tout d'abord, le regard est désagréablement heurté par le manque d'harmonie de l'ensemble. Le plan primitif existe encore dans les cartons du cadastre de Versailles. D'abord, le château s'élevait au milieu d'un jardin anglais médiocrement dessiné, où le mauvais goût d'un jardinier amoureux d'Ossian avait semé quelques ruines et une demi-douzaine de cavernes. C'était d'un ridicule achevé. Heureusement, au début de la Restauration, la propriété passa entre les mains d'un homme d'esprit, M. de La Robertie, qui s'empressa de détruire les cavernes et les ruines. Épris d'arboriculture, il essaya de corriger la laideur des bâtiments en les entourant d'un parc qui leur prêterait un aspect plus grave. M. de La Robertie mourut très vieux, après le coup d'État. Les arbres avaient poussé, et toujours surveillé par un maître habile, le parc devenait grandiose. On retrouvait bien encore, çà et là, les traces de l'ancien jardin anglais; mais la beauté des allées silencieuses et profondes ravissait le promeneur qui croyait errer dans une forêt. Des arbres énormes, tantôt espacés comme les chevaliers d'un conte héroïque qui restent immobiles et la lance en arrêt, tantôt serrés et rapprochés par l'insouciant caprice de la nature. Un bois de platanes conduisait sur un plateau étroit, d'où les yeux ravis contemplaient un paysage merveilleux. Toute la plaine rieuse où la Seine se plie et se replie sur elle-même. Au fond, à droite, Paris couché dans les vapeurs grises de l'horizon. Et, nonchalamment posés, les villages coquets qui montent en étages jusqu'à Saint-Cloud.

      Au début de la guerre civile le général voulait que sa fille retournât en Auvergne où elle s'était déjà réfugiée pendant l'Invasion. Elle s'y refusait nettement. M. de Bressier n'insistait pas. Il savait que, situé sous la protection du Mont-Valérien, Chavry resterait en dehors des mouvements militaires et ne serait jamais menacé. Depuis la mort de sa mère, qu'elle avait à peine connue, Faustine habitait ce château; d'abord seule, plus tard avec Nelly. Toutes deux s'y plaisaient plus qu'à Paris, dans l'hôtel de la rue de Lille, occupé seulement pendant les rares congés du chef de la famille. Elles recevaient là une éducation solide, dirigée par une institutrice de premier ordre, Mlle Vaudois. La semence idéale germa différemment dans ces terres dissemblables. Nelly, paresseuse et indolente, travaillait parce que c'était le seul moyen de pouvoir s'amuser ensuite; Faustine, au contraire, aimait l'étude par goût, pour elle-même, pour les joies qu'elle en tirait. De très bonne heure, on fut frappé, autour d'elle, de son aptitude à saisir la plastique des êtres et des choses. Son goût pour le dessin se révéla, tout de suite, d'instinct, et se développa si rapidement que le général voulut qu'à dix ans elle eût un maître sérieux. Par une heureuse fortune, on lui recommanda un ancien prix de Rome, d'une grande habileté de main, d'une instruction solide, et chez lequel l'enseignement de l'École n'avait pu tuer l'originalité première. Quoiqu'il fût absolument dénué d'imagination, Joseph Cayron aurait fait sa trouée comme les autres, s'il n'eût été paralysé par une timidité invincible. L'artiste qui doute souvent de lui-même est fort; l'artiste qui ne croit jamais en lui est perdu. Il est voué à l'infécondité. Joseph Cayron était de ceux-là. Il admirait tellement son art qu'il en avait peur. Peut-être aussi manquait-il de cette vaillance d'esprit qui permet à un homme de n'apercevoir les obstacles que pour s'efforcer de les vaincre. Le peintre vit tant

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