Mademoiselle de Bressier. Delpit Albert

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Mademoiselle de Bressier - Delpit Albert

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Vinoy, malgré la foule

      Des roussins qu'il faut f… au feu,

      Vive la Commune qui soûle

      Ses braves b… de vin bleu!

      Ce ne fut pas long. Le sous-officier fit signe à deux chasseurs et vint droit au jeune homme. On allait l'empoigner et le jeter au cachot. Il ne bougeait plus, et regardait son ennemi en face, d'un air qui voulait dire: «Enfin!» Il recula de deux pas, et violemment, il souffleta le sergent. Celui-ci tira son revolver et fit feu. Le jeune homme roula sur le sol, la cervelle éparse. Un long cri sortit de la foule des prisonniers, pendant que Françoise s'enfuyait, affolée.

      Ah! elle comprenait maintenant que tout était bien fini pour Pierre! Lui aussi ne résisterait pas à cet âpre besoin de défier ses ennemis; lui aussi leur jetterait à la face un dernier anathème dans un cri de rage; lui aussi meurtrirait son gardien pour en être frappé; lui aussi roulerait sur le sol, la tête fracassée!

      Françoise courait maintenant sur la route de Paris, fuyant droit devant elle, n'osant pas regarder en arrière, comme si un infernal démon l'eût poursuivie. Il lui semblait que les pâles légions du Désespoir chevauchaient à son côté, et qu'elle ne pourrait leur échapper jamais, jamais! Elle ne s'arrêta que lorsque ses forces furent à bout. Alors, elle s'assit sur le rebord du chemin, la poitrine oppressée, n'y voyant plus clair. Un voile de sang descendait devant ses yeux.

      L'impérieux besoin de la mort dominait cette malheureuse. La mort! Elle n'avait même pas le droit de l'espérer. Elle se rappelait son Jacques, blessé, malade, qui l'attendait, qui ne pouvait point se passer d'elle; elle se rappelait cette parole suprême de Pierre Rosny: «S'il m'arrivait malheur, jure-moi que tu en ferais un homme!» Non, elle ne pouvait pas, elle ne devait pas mourir. Son devoir la condamnait à vivre. Si Pierre était tué, en effet, il fallait qu'elle accomplît le suprême désir de son mari. Il fallait qu'elle vécût pour lutter, pour travailler, pour faire du fils de l'ouvrier un artiste illustre. La mère se retrouvait vaillante et soutenait l'épouse désespérée. Sans cela, elle se serait couchée le long du fossé, pour attendre la mort. Mais ainsi que le marin qui, au milieu d'une nuit d'orage va devant lui les yeux fixés sur les étoiles, elle voyait reluire aussi son étoile, là-bas, bien loin: un enfant qui dormait dans son lit tout blanc. Elle voulut se mettre debout: elle ne pouvait pas. Ses jambes ne la soutenaient plus. Une grande maison, un château, se dressait devant elle. Elle y demanderait un secours, un morceau de pain. Elle essaya de traverser la route. Mais tout à fait épuisée, elle roula dans un saut de loup qui longeait un parc immense.

      III

      Les murs blancs du château que Françoise avait aperçu, avant de fermer les yeux, jaillissaient maintenant dans les gaietés frissonnantes et mouillées du réveil. Une matinée délicieuse commençait; une exquise matinée de printemps pleine de parfums et de chants d'oiseaux. Le soleil rieur et familier illuminait les allées et les taillis du parc. A la cime des arbres flottait encore un léger brouillard qui ressemblait à une gaze très fine, étendue sur les feuilles vertes.

      – Ah! le beau temps, dit une voix claire. Dépêche-toi, Faustine. Mon Dieu! comme tu es paresseuse!

      – Un peu de patience, Nelly.

      Un superbe lévrier russe, au poil d'argent, aux yeux pleins de flammes, franchit d'un bond le large perron de pierre et se coucha aux pieds de Nelly qui se penchait pour le caresser.

      – Ta maîtresse est en retard, Odin, reprit la jeune fille. Enfin, la voilà!

      Odin tournait sa tête fine vers le château; quittant Nelly, il courut vers la nouvelle venue, bondissant autour d'elle, cherchant à deviner sa volonté, s'élançant au milieu des allées et s'arrêtant bientôt comme s'il craignait de n'être pas suivi. Les jeunes filles s'embrassèrent tendrement. Toutes deux étaient brunes, à peu près du même âge. Faustine de Bressier avait dix-sept ans: c'était l'aînée. Tout Paris a connu son père, le général de Bressier, le héros de Solférino, nimbé d'une gloire nouvelle, après sa campagne dans l'armée de Chanzy. Resté veuf de bonne heure avec deux enfants, un fils et une fille, il recueillait dans sa maison une parente éloignée, riche et de bonne naissance. Nelly Forestier et Faustine, les deux inséparables, avaient grandi ensemble, s'aimant comme des sœurs, de cette fraternité d'élection souvent plus durable et plus sûre que la fraternité selon la nature. On subit ses parents; le cœur choisit ses alliés. Nelly et Faustine entraient dans la vie, unies par ces liens solides que nouent les souvenirs d'une enfance commune. Elles se chérissaient d'une tendresse égale, mais différemment exprimée.

      Nelly, volontaire, toujours gaie, avec des emportements et des jalousies d'enfant gâtée; Faustine sérieuse, d'une gravité douce et réfléchie; la première, nerveuse et ardente d'allures, la seconde, calme en apparence, mais froidement passionnée, avec des éclairs de mysticisme. Elles étaient également belles, et leurs beautés mêmes ne se ressemblaient pas. Nelly, souple et fine comme un cheval de race, impatiente du joug, rappelait par ses yeux noirs et sa peau orangée les femmes arabes de Fromentin. Petite, bien prise dans sa taille fine, aux ondulations souples, elle trahissait vite la Méridionale exubérante et vive. Faustine était la femme du Nord. Mince et gracieuse, avec son regard énergique, elle semblait mieux faite pour conduire sa destinée que pour la subir. Son visage, d'une pâleur nacrée, allongé comme un camée antique, s'illuminait par instants à la lueur chaude de ses yeux pers. Ces deux jeunes filles se complétaient l'une par l'autre. Accoutumées à penser ensemble, liées surtout par ces affinités secrètes que créaient leurs natures dissemblables, elles considéraient la vie comme une étape qu'elles franchiraient sans jamais se quitter.

      – Décidément, tu n'es pas plus gaie ce matin qu'hier soir! s'écria Nelly après un silence.

      – Comment veux-tu que je sois gaie? répliqua doucement Faustine. Depuis deux jours, je n'ai pas eu de nouvelles de mon père et de mon frère. La division du général est à Courbevoie; il ne peut pas quitter son commandement, et je trouve naturel qu'il ne vienne pas. Mais Étienne est sous Versailles, son régiment n'a pas donné tous ces jours-ci. Vraiment, en un temps de galop, il pouvait bien pousser jusqu'ici.

      Nelly haussa les épaules et se mettant à rire:

      – Tu es incroyable! Alors tu t'imagines qu'un beau capitaine de hussards comme Étienne se dérangera pour voir deux petites filles… Eh bien, qu'est-ce que tu as, Odin?

      Le chien s'arrêtait court, l'oreille droite; puis il bondissait, pour s'arrêter bientôt, et japper bruyamment. L'allée où se promenaient les deux amies tournait sur elle-même et s'enfonçait sous de larges platanes, dans l'épaisseur du parc. Odin s'y précipita, tête baissée, comme s'il eût cherché à retrouver une piste.

      – Regarde-le donc, reprit Nelly.

      Mais Faustine suivait son rêve intérieur, songeant à ses chers absents, peu soucieuse de s'occuper du lévrier russe. Ils ne finiraient donc jamais, ces longs jours d'inquiétude et d'angoisses? Pendant quatre mois elle avait tremblé chaque jour pour son père, qui se battait sur la Loire, pour son frère prisonnier à Hambourg. Elle les revoyait enfin, sains et saufs, après l'armistice, et voilà que recommençait la même vie d'épouvantes quotidiennes! La guerre civile, après la guerre étrangère, renouvelait les tourments passés.

      – A propos, as-tu trouvé le sujet de ton tableau? demanda Nelly.

      Faustine eut un geste de lassitude découragée.

      – A quoi bon? murmura-t-elle.

      – Comment! à quoi bon? Je ne l'entends pas ainsi. Voilà cinq jours que tu n'as travaillé. Je ne veux pas que ta paresse continue. Tu te mettras à la besogne aujourd'hui. Oh! fais cela pour moi, ma petite

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