Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 1. Dozy Reinhart Pieter Anne
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Après la prise de la Mecque, les tribus encore idolâtres éprouvèrent bientôt que la résistance était désormais inutile, et la menace d'une guerre d'extermination leur fit adopter l'islamisme, que les généraux de Mahomet leur prêchaient le Coran dans une main et le sabre dans l'autre. Une conversion assez remarquable fut celle des Thakîf, tribu qui habitait Tâïf et qui auparavant avait chassé le Prophète à coups de pierres. Par la bouche de leurs députés ils lui annoncèrent qu'ils étaient prêts à se faire musulmans, mais à condition qu'ils garderaient pendant trois ans encore leur idole Lât et qu'ils ne prieraient pas. «Trois ans d'idolâtrie, c'est trop long; et qu'est-ce qu'une religion sans prières?» leur dit Mahomet. Alors les députés réduisirent leurs demandes; on marchanda longtemps; enfin les deux parties contractantes s'arrêtèrent à des conditions telles que celles-ci: les Thakîf ne payeraient point de dîme, ne prendraient point de part à la guerre sainte, ne se prosterneraient point pendant la prière, conserveraient Lât une année encore, et, ce terme passé, ils ne seraient pas obligés de briser cette idole de leurs propres mains. Cependant Mahomet conservait quelques scrupules; il craignait le «qu'en dira-t-on?» «Qu'une telle considération ne vous arrête pas, lui dirent alors les députés. Si les Arabes vous demandent pourquoi vous avez conclu un tel traité, vous n'avez qu'à leur dire: Dieu me l'a ordonné.» Cet argument ayant paru péremptoire au Prophète, il se mit aussitôt à dicter un acte qui commençait ainsi: «Au nom de Dieu clément et miséricordieux! Par cet acte il a été convenu entre Mahomet, l'Envoyé de Dieu, et les Thakîf, que ceux-ci ne seront obligés ni à payer la dîme, – ni à prendre part à la guerre sainte»…
Ayant dicté ces paroles, la honte et le remords empêchèrent Mahomet de poursuivre. «Ni à se prosterner pendant la prière,» dit alors l'un des députés. Et comme Mahomet persistait à garder le silence: «Ecris cela, c'est convenu,» reprit le Thakîfite en s'adressant à l'écrivain. Celui-ci regarda le Prophète, de qui il attendait un ordre. En ce moment le fougueux Omar, jusque-là témoin muet de cette scène si blessante pour l'honneur du Prophète, se leva, et tirant son épée:
– Vous avez souillé le cœur du Prophète, s'écria-t-il; que Dieu remplisse les vôtres de feu!
– Ce n'est pas à vous que nous parlons, reprit le député thakîfite sans s'émouvoir; nous parlons à Mahomet.
– Eh bien! dit alors le Prophète, je ne veux pas d'un tel traité. Vous avez à embrasser l'islamisme purement et simplement, et à en observer tous les préceptes sans exception; sinon, préparez-vous à la guerre.
– Au moins permettez-nous de garder Lât pendant six mois encore, dirent les Thakîfites désappointés.
– Non.
– Pendant un mois donc.
– Pas même pendant une heure.
Et les députés retournèrent vers leur tribu, accompagnés de soldats musulmans qui détruisirent Lât au milieu des lamentations et des cris de désespoir des femmes28.
Pourtant cette conversion étrange fut la plus durable de toutes. Lorsque plus tard l'Arabie entière abjura l'islamisme, les Thakîfites y restèrent fidèles. Que faut-il donc penser des autres conversions?
Pour apostasier on n'attendait que la mort de Mahomet. Plusieurs provinces ne purent même patienter jusque-là; la nouvelle du déclin de la santé de Mahomet suffit pour faire éclater la révolte dans le Nadjd, dans le Yémâma, dans le Yémen. Chacune de ces trois provinces eut son soi-disant prophète, émule et rival de Mahomet, et sur son lit de mort ce dernier apprit que, dans le Yémen, le chef de l'insurrection, Aihala-le-Noir, seigneur qui joignait à d'immenses richesses une éloquence entraînante, avait chassé les officiers musulmans, et pris Nadjrân, Sanâ, tout le Yémen enfin.
Ainsi l'immense édifice chancelait déjà lorsque Mahomet rendit le dernier soupir (632). Sa mort fut le signal d'une insurrection formidable et presque universelle. Partout les insurgés eurent le dessus; chaque jour on vit arriver à Médine des officiers musulmans, des Réfugiés et des Défenseurs, que les rebelles avaient chassés de leurs districts, et les tribus les plus rapprochées s'apprêtaient à venir mettre le siège devant Médine.
Digne successeur de Mahomet et plein de confiance dans les destinées de l'islamisme, le calife Abou-Becr ne faiblit pas un seul instant au milieu de la gravité du péril. Il n'avait point d'armée. Fidèle à la volonté de Mahomet, il l'avait envoyée en Syrie, malgré les représentations des musulmans qui, prévoyant les dangers qui les menaçaient, l'avaient supplié d'ajourner cette expédition. «Je ne révoquerai point un ordre qu'a donné le Prophète, avait-il dit. Quand Médine devrait rester exposée à l'invasion des bêtes féroces, il faut que ces troupes exécutent la volonté de Mahomet.» S'il eût consenti à transiger, il aurait pu acheter par quelques concessions la neutralité ou l'alliance de plusieurs tribus du Nadjd, dont les députés vinrent lui dire que, s'il voulait les exempter de l'impôt, elles continueraient de faire les prières musulmanes. Les principaux musulmans étaient d'avis de ne point rebuter ces députés. Seul Abou-Becr répudia toute idée de transaction, comme indigne de la sainte cause qu'ils avaient à défendre. «La loi de l'islamisme, dit-il, est une et indivisible, et n'admet pas de distinction entre les préceptes.» – «Il a plus de foi à lui seul que nous tous ensemble,» dit alors Omar. Il disait vrai; le secret de la force et de la grandeur du premier calife était là. D'après le témoignage de Mahomet lui-même, tous ses disciples avaient hésité un instant avant de reconnaître sa mission, à l'exception d'Abou-Becr. Sans posséder une originalité bien marquée, sans être un grand homme, il était l'homme de la situation; il possédait ce qui avait donné autrefois la victoire à Mahomet et ce qui manquait à ses ennemis: une conviction inébranlable.
Il y eut peu d'ensemble dans l'attaque des insurgés, déjà divisés entre eux et s'égorgeant les uns les autres. Abou-Becr, qui avait fait armer tous les hommes en état de combattre, eut le temps d'accabler les tribus les plus voisines. Puis, quand les tribus fidèles du Hidjâz eurent fourni leurs contingents en hommes et en chevaux, et que l'armée principale fut revenue du nord, rapportant de son expédition un butin considérable, il prit hardiment l'offensive, et partagea son armée en plusieurs divisions, qui, peu nombreuses au moment du départ, se grossirent en route par l'adjonction d'une foule d'Arabes que la peur ou l'espoir du pillage ramena sous les bannières musulmanes. Dans le Nadjd, Khâlid, aussi sanguinaire qu'intrépide, attaqua les hordes de Tolaiha, qui auparavant comptait pour mille hommes dans une armée, mais qui, cette fois, oubliant son devoir de guerrier et ne se souvenant que de son rôle
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Sprenger,