Nach Paris! Roman. Dumur Louis
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Il prononça d'une voix forte:
– «L'Autriche Hongrie… se considère donc, de ce moment, en état de guerre avec la Serbie.»
Ce fut du délire. Des casquettes volèrent. On monta sur les tables. Les hoch!, les heil!, les hurra! ne cessaient pas. Les majors s'étaient précipités vers l'adjudant pour relire la bienheureuse dépêche. Kaiserkopf hurlait comme un démon. Des officiers dansaient, d'autres s'embrassaient. Une formidable jubilation soulevait la salle, gonflait les corps, secouait les uniformes, remplissait la cohue multicolore d'une frénésie de gestes, de clameurs et de chocs de sabres.
– Khrr, khrr!.. khrr, khrr!.. crachotait éperdument Hildebrand von Waldkatzenbach.
Et tout à coup, comme sur un signal invisible, de toutes les poitrines jaillit, éclata en une harmonie énorme, terrible et mystique le choral exaltant du Deutschland, Deutschland über alles, dont la mélodie n'est autre, comme chacun sait, que l'hymne national autrichien. Ce fut une minute inoubliable!..
Aussi, je laisse à penser quelle gravité, quel enthousiasme signalèrent, une heure plus tard, la revue de bataillon, quels hourras accueillirent l'arrivée du colonel von Steinitz, quelle rectitude, quel ensemble marquèrent les mouvements et les présentations d'arme. Du haut en bas, la grande nouvelle avait filtré, des officiers aux feldwebels, de ceux-ci aux sous-officiers, aux exempts, aux soldats. Cette simple annonce qu'une déclaration de guerre avait été faite quelque part en Europe transformait déjà l'atmosphère et nous jetait en pleine fièvre belliqueuse. Chacun avait maintenant revêtu l'uniforme de guerre, jusqu'au major von Nippenburg, qui présentait son bataillon au colonel von Steinitz. Seuls, le colonel et son adjudant, le premier-lieutenant Derschlag, conservaient encore l'uniforme bleu de la paix. Quel spectacle! Entre ses favoris à l'autrichienne et sous ses lunettes d'or, le colonel von Steinitz, d'habitude renfrogné comme une taupe, dissimulait mal un sourire satisfait. Si la revue du bataillon von Putz avait été superbe, la nôtre, on peut le dire, fut incomparable.
Mais ce fut bien autre chose, à quatre heures, quand les trois bataillons se trouvèrent réunis. Il semblait que la cour principale, de dimensions pourtant colossales, fût trop petite pour contenir cette masse d'hommes. Assemblés par colonnes de sections, les douze compagnies, sur neuf rangs de profondeur en y comprenant les serre-files, chacune derrière son capitaine à cheval, les lieutenants chefs de section à droite, les gradés d'aile gauche à gauche, les drapeaux à la droite des troisièmes compagnies avec leurs cravates aux couleurs de l'empire et leurs deux sous-officiers de garde, construisaient un gigantesque mur gris, au sommet barbelé de pointes de casques. Du haut de son cheval de bronze, l'empereur Guillaume Ier paraissait ordonner la revue du geste de son sabre levé.
Nous attendions depuis une demi-heure, l'arme au pied, sous le soleil oblique, pendant que le colonel, les deux majors et le capitaine d'état-major Morgenstein, qui remplaçait au commandement du troisième bataillon le lieutenant-colonel Preuss absent, évoluaient de-ci de-là, au pas souple de leurs bêtes, se joignaient, se séparaient, se retrouvaient de nouveau, traçant des figures de quadrille comme dans une piste de cirque, quand un soudain raplapla de tambours crépita au corps de garde. Des quatre fers de son gros alezan le colonel von Steinitz se porta à la rencontre d'un groupe d'officiers généraux qui faisaient leur entrée par la petite porte de la caserne. Je reconnus le général-major von Morlach, qui commandait notre brigade, le général-lieutenant von Zillisheim, commandant la division, le général de la cavalerie von Kahlberg, commandant la place de Magdebourg. Il y avait avec eux un colonel et un lieutenant-colonel d'état major et deux ou trois officiers d'ordonnance. Tous étaient à pied et en petite tenue. L'épée à la main, penché sur l'encolure de son cheval, le colonel von Steinitz s'entretint avec eux, puis, tandis qu'ils se dirigeaient, au petit carillon de leurs éperons et de leurs dards de sabres, du côté de Guillaume Ier, la galopade du gros alezan retentit de nouveau, un commandement partit, les cornets sonnèrent et les chefs de bataillons crièrent de tous leurs poumons:
– Præsentiert's Gewehr!.. Præsentiert's… Gewehr!
Comme un immense mécanisme d'horlogerie, le mouvement se déclencha, raide, dans le bruissement des manches de tunique ployées et des biceps saillis.
Nous restâmes ainsi cinq minutes. Les généraux faisaient avec lenteur le tour de Guillaume Ier, plongeant voluptueusement leurs yeux âpres dans cette haie profonde de fusils.
Nouvelle sonnerie, nouveau commandement hurlé par les trois chefs:
– Gewehr… ab!
Cinq mille crosses s'abattirent sur le sol dur en un seul coup de tonnerre.
– Taratata!.. taratata!.. trompetèrent de nouveau les cornets.
– Seitengewehr… auf!
Un long crissement aigu, comme celui d'une formidable faux qu'eût aiguisée un titan, et les baïonnettes jaillirent.
– Das Gewehr… über!
La forêt métallique se dressa. Elle perça la nappe du soleil déclinant qui la fit étinceler de toutes ses pointes.
Une force surhumaine émanait de cet ensemble massif. Le poids en semblait décuplé par l'espace restreint où elle se tassait. J'en étais ému, tremblant jusqu'aux moelles. Même aux grandes manœuvres, je n'avais rien éprouvé de pareil.
Mais pas plus que le matin, dans la cour de l'intendance, sous le terrible œil gris du capitaine Kaiserkopf, dont la carrure se dressait maintenant de dos devant moi, immobile, sur le derrière énorme de son cheval, la mince ligne de l'épée dépassant légèrement la patte de l'épaule droite, pas plus, dis-je, que le matin, il ne nous fut ordonné, du gant impérieux du colonel von Steinitz, d'exécuter la moindre évolution. Mettant pied à terre, le colonel rejoignit les généraux et leur suite, et tous ensemble, dans le cliquetis de leurs sabres et le bourdonnement de leurs paroles indistinctes, firent longuement le tour des fronts au port d'arme. Chaque drapeau s'inclina silencieusement sur leur passage. Il n'y eut ni roulements de tambours, ni sifflements de fifres, ni claironnements de trompettes. La musique du régiment elle-même, groupée dans un angle, toute gonflée de ses bombardons, de ses trombones, de ses ophicléides, épauletée de ses nids d'hirondelles, avec son stabshoboïst, ses neuf musiciens sous-officiers et son tambour-maître armé de sa canne enrubannée à pomme d'argent, s'abstint de ses cadences habituelles et de ses glorieuses fanfares.
Leur promenade terminée, notre surprise ne fut pas moindre de voir les généraux s'engager mystérieusement dans l'escalier qui montait chez le colonel. Les majors et le capitaine Morgenstein les suivirent, après avoir commandé le repos aux troupes. Nous attendîmes longtemps. Descendus de leurs bêtes, les capitaines avaient pris place à leur tour sous la statue de Guillaume Ier et, tout en surveillant de l'œil leurs compagnies, discutaient gravement à voix basse. Les havresacs avaient été mis à terre et les faisceaux formés.
A sept heures, on commença à faire souper les hommes. On les envoyait compagnie par compagnie aux cuisines; chacune avait un quart d'heure pour manger. Pendant ce temps, les officiers gagnaient la cantine pour dépêcher un morceau.
La nuit tombait quand nous vîmes reparaître les généraux. Ils s'en allèrent aussi sobrement qu'ils étaient venus, et nous entendîmes le lointain ébrouement de leurs automobiles. Nous remarquâmes alors que notre colonel, qui les avait reconduits à l'entrée, arborait maintenant l'uniforme de guerre.
A dix heures, les voitures du train commencèrent à partir. Les premières furent celles du train régimentaire, comprenant les fourgons à bagages, les fourgons à vivres et la voiture d'outils; puis vint