Nach Paris! Roman. Dumur Louis

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Nach Paris! Roman - Dumur Louis

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Et ces lits!.. Pas un qui soit à l'ordonnance!.. C'est une véritable écurie!.. Quel est le porc qui couche ici? continua-t-il en se jetant à coups de bottes sur un lit dont il dispersa de tous côtés les couvertures, les draps, le traversin et la paillasse… Ah! c'est Rohmann? Il n'est pas là?.. Celui-ci, je le rattraperai demain! Je le ferai pivoter pendant trois heures au soleil avec le peloton de discipline!.. Quant à toi, ausgespucktes Biest! fit-il en revenant sur celui qu'il malmenait à notre entrée, voilà ce qui te revient… Empoche ça, ordure!

      Et détachant son sabre-baïonnette, qu'il leva à deux mains par le fourreau, il en asséna un coup formidable sur la nuque du fantassin de Sa Majesté, qui s'abattit sur les genoux en soufflant.

      Nous n'en attendîmes pas davantage et quittâmes la chambrée 17 assez dégoûtés. Quelques instants après, Wacht-am-Rhein nous rejoignait sur le palier de l'escalier K.

      – Je n'ai pas voulu vous blâmer devant vos hommes, fit Kœnig, mais je trouve, Bosch, que vous y allez un peu rudement.

      Wacht-am-Rhein partit d'un éclat de rire et répliqua:

      – Si ça n'est que ça, monsieur Kœnig, remettez-vous. Avec ces pachydermes-là, il n'y a jamais de casse, et il faut ça pour les dresser. Ce n'est pas votre système, je sais mais c'est le mien. C'est aussi celui de tous les bons sous-officiers de carrière. Vous êtes lieutenant, c'est vrai, mais je suis plus ancien que vous dans le métier et je connais les hommes. C'est ainsi qu'il faut les mener et non autrement: à la trique! Plus on tape dessus, plus ils seront aptes ensuite à taper sur les autres. Voilà comment on fait de bons soldats prussiens. D'ailleurs, ajouta-t-il plein du sentiment de sa juste cause, j'ai là-dessus l'assentiment du capitaine Kaiserkopf.

      – Je n'en doute pas, fit Kœnig. Au reste, là n'est pas la question. Ce que j'avais à vous dire ne concerne pas la façon dont vous traitez vos hommes et qui vous regarde. Mais ne savez-vous pas que nous avons reçu des ordres supérieurs d'avoir à éviter toute cause de bruit dans la caserne? Or, vous déchaînez un tumulte infernal qui s'entend à un demi-kilomètre à la ronde!

      – Un demi-kilomètre!.. Vous exagérez, monsieur Kœnig. La voix de mes hommes ne porte pas si loin. Je ne peux pourtant pas leur commander de fermer la gueule quand je les étrille! Ce serait de la cruauté. D'ailleurs ils peuvent bien chanter comme des pourceaux qu'on saigne, on n'entend rien du dehors. J'ai étudié l'acoustique de la région, Herr Leutnant on n'entend rien.

      – C'est possible, dit Kœnig, mais enfin, il y a des ordres. Contenez-vous.

      – Je ferai ce que je pourrai, monsieur Kœnig, mais je ne garantis rien. Si je me contenais par trop, le service en souffrirait. Et le service, sacré mille millions, le service ayant tout!.. C'est tout ce que vous aviez à me dire?

      – C'est tout.

      – A vos ordres, Herr Leutnant.

      Wacht-am-Rhein salua et le bruit de ses bottes s'éloigna dans le corridor.

      – Quelle brute! s'écria Kœnig, tandis que nous descendions vers la cantine. Mais, mon cher, il n'y a rien à faire. Ces gens sont nos maîtres. Ce sont eux qui tiennent le soldat. Sans eux, pas de discipline. Les sous officiers sont la force de l'armée allemande, et nous nous en rendons compte. Il faut en passer par où ils veulent… Je sais bien qu'il y a les règlements… on a fait quelques exemples… Tout cela ne signifie rien. En fait, nous sommes impuissants… Et puis, ajouta-t-il à voix basse, il y a tant d'officiers qui ont une mentalité de sous-officiers!..

      La cantine était pleine de jeunes officiers, quand nous y entrâmes. Quatre ou cinq capitaines seulement occupaient une table. J'allai immédiatement claquer des talons devant eux pour leur demander la permission de rester dans la salle, ce qui me fut accordé d'un signe de tête. Nous prîmes place, Kœnig et moi, en compagnie du lieutenant Schimmel et de l'ancien volontaire Max Helmuth, promu comme moi à la dignité d'aspirant. Je fus heureux de les retrouver. Schimmel était d'ailleurs beaucoup moins sympathique que Kœnig; il cultivait le genre schneidig; mais dans sa figure couturée, auprès de laquelle ma balafre ne devait paraître qu'une modeste écorchure, luisaient des yeux fauves qui ne manquaient pas d'intelligence.

      L'ordonnance servit la bière.

      – Prost!

      – Prost!

      – Prost!

      – Prost!

      – Nous sommes prêts, archi-prêts, déclarait Schimmel. Pourvu que cette fois-ci soit la bonne! Vont-ils se décider, à Berlin?

      Schimmel, qui avait fait des voyages d'espionnage en France, ne cachait pas son assurance.

      – Si je pouvais parler, dire seulement le quart de ce que je sais!.. Vraiment, ce sera drôle!.. Croyez-m'en, Kœnig. Et ce que je connais n'est qu'une parcelle, une minime parcelle de notre vaste organisation en pays ennemi.

      – La ligne de leurs forteresses est solide, observa Kœnig. Il faudra sans doute de grands sacrifices…

      – Les hommes sont là pour ça.

      – Et puis, monsieur le lieutenant, il y a les trouées, fit Helmuth qui se piquait de stratégie.

      – Oui, Charmes, Stenay… Quoi qu'il en soit, messieurs, soyez certains d'une chose, c'est que nous serons sous les forts de Paris avant que les Français aient achevé leur mobilisation. C'est même ce qu'il y a d'ennuyeux pour nous, ajouta-t-il: ce sera si vite fait que notre avancement risque d'en être singulièrement compromis.

      Un peu partout, me sembla-t-il, aux diverses tables, les conversations flottaient sur le même thème. Du roulis des voix, des verres et des fourchettes émergeaient des mots plus fortement prononcés: aéroplanes, poudres, calibres, canons de campagne, artillerie lourde, effectifs, coupoles, shrapnells, zeppelins. A la table des capitaines, où fumait une énorme choucroute, une orageuse discussion se déchaînait. Ailleurs déferlaient des rumeurs politiques, où les noms de Serbien et de Russland s'élevaient et revenaient sur des vagues de mépris ou de fureur. J'aperçus le joli lieutenant von Bückling brandissant avec agitation son monocle, tandis qu'en face de son buste corseté, le cinglant premier-lieutenant Poppe battait l'air dans une démonstration qui paraissait géométrique. L'incessante oscillation des têtes qui mangeaient ou se répondaient crêtait vivement le bleu foncé des tuniques et le rouge des cols, que rompait par endroits la note grise des uniformes de guerre arborés déjà par quelques lieutenants. Une forte odeur de charcuterie montait de toutes parts, pendant qu'entrait par les fenêtres ouvertes le sourd grondement de la caserne et que, du haut de sa place d'honneur, dans son pesant cadre doré, un grand portrait de Bismarck dominait de sa moustache énorme cette scène animée.

      – Avec tout ça, qu'allons-nous manger? demanda Kœnig en consultant le menu. Messieurs, on nous offre des côtelettes de porc à la sauce bordelaise, du bœuf à la mode, du ragoût de veau, du poulet chasseur, des tournedos portugaise…

      – C'est une honte, s'écria Schimmel à cette énumération, de voir combien de mots étrangers encombrent encore notre langue allemande. En cuisine, notamment, c'est un véritable scandale. Nous ne manquons pourtant pas d'excellents termes allemands pour remplacer tous ces intrus. Quand purgera-t-on nos menus de ces vocables français qui les déshonorent?

      – Vous avez raison, fit Kœnig en riant. Mais comment, par exemple, remplaceriez-vous le mot «Kotelett»?

      – Par le mot bien allemand de Rippe. Une côtelette de porc, c'est une Schweinsrippe.

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