Nach Paris! Roman. Dumur Louis
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– Aspirant Hering, êtes-vous prêt à verser votre sang pour Sa Majesté l'Empereur?
Je répondis d'un ton pénétré:
– Je le suis, monsieur le capitaine.
– Pour la patrie allemande?
– Je le suis, monsieur le capitaine.
– Pour votre capitaine?
– Je le suis, monsieur le capitaine.
– C'est bien, fit-il en se rasseyant. Je vois en outre que vous avez eu l'honneur de conduire une demi-section en présence de Sa Majesté, lors de la dernière manœuvre impériale. Je ne puis vous donner de demi-section, car nos cadres sont au grand complet, mais vous commanderez un groupe: ce sera le cinquième de la troisième section. Et maintenant, aspirant Hering, allez: n'oubliez pas le hourrah, la baïonnette… et surtout beaucoup de bière allemande!
L'audience était terminée. Je claquai des talons, bombai le buste et partis au pas de parade, tandis que le vice-feldwebel Biertümpel reprenait d'une voix rauque:
– Staufifier, Fritz; Schmidt, Ruprecht; Schmidt, Anastasius…
Kœnig me rejoignit dans le corridor. Il avait l'air très satisfait.
– Vous avez de la chance, me dit-il, le capitaine a été charmant pour vous.
– Diable! fis-je, qu'est-ce que c'est donc quand il n'est pas charmant!
– Je vous répète que vous avez fait bonne impression.
Je compris alors la tactique de Kœnig et pourquoi il avait tenu à assister à ma présentation, pour diriger sans en avoir l'air, et dans le sens qui pût m'être le plus favorable, cette périlleuse formalité. Je le remerciai vivement de son amitié.
– Et maintenant, proposai-je, il me semble qu'il serait temps de souper. Voulez-vous que nous allions au casino!
– Ce serait avec plaisir, fit Kœnig, mais depuis trois jours, mon cher, nous ne pouvons sortir de la caserne. Les officiers supérieurs seuls ont le droit d'aller en ville. On nous a aménagé une cantine dans la salle d'honneur des sous-officiers. C'est là que nous allons nous rendre.
En passant, nous entrâmes dans la chambrée numéro 35, qu'occupaient mes hommes.
– Fixe! cria le plus ancien en apercevant l'officier.
Aussitôt les sept ou huit soldats présents se précipitèrent chacun devant son armoire et s'immobilisèrent dans la position de front, les mains au pantalon.
– Combien d'hommes dans cette chambrée? interrogea Kœnig.
– A vos ordres, monsieur le lieutenant. La chambre est occupée par vingt hommes, dont quinze du groupe cinq de la troisième section et cinq en supplément.
La chambre, disposée en temps normal pour huit à dix hommes d'un groupe, contenait une dizaine de lits et autant de paillasses destinées à être étendues sur le plancher et pour le moment roulées contre le mur. Chaque armoire servait pour deux hommes.
– Quel est le rôle de service pour demain? demanda Kœnig.
– A vos ordres, monsieur le lieutenant.
L'ancien alla se planter devant une affiche de service dactylographiée, placardée contre le panneau intérieur de la porte, et martela d'une voix sonore:
– A quatre heures et demi, réveil. A cinq heures, appel et revue de chaussures, dans la chambrée, passée par le chef de groupe. A six heures, revue d'effets, dans la chambrée. A sept heures, café. A sept heures trente, inspection d'armes, dans la salle d'exercice. A neuf heures, revue de paquetage, dans la chambrée. A dix heures, examen médical, par le médecin aide-major. A onze heures, revue de compagnie, dans la cour de l'intendance. A midi trente, dîner. A deux heures, revue de bataillon, dans la cour principale. A quatre heures, revue de régiment, dans la cour principale. A six heures, bain. A sept heures, soupe.
– Trefflich? fit Kœnig au terme de cette lecture laborieuse. Voici monsieur l'aspirant Hering qui a été désigné pour commander votre groupe. Vous lui obéirez comme à Dieu. J'espère que monsieur le capitaine n'aura pas à recevoir de plaintes sur la discipline du groupe cinq.
Automatiquement, toutes les mains présentes s'étaient levées d'un geste pour le salut militaire.
Je reconnus trois de mes hommes de l'année précédente, les mousquetaires Schnupf, Maurer et Vogelfænger, et les saluai par leurs noms. Il me sembla que mes drôles étaient tout contents de ne pas avoir pour les commander un sous-officier professionnel.
Au sortir de la chambrée 35, nous fûmes surpris par un lointain vacarme qui paraissait provenir des abords de l'escalier K.
– Que diable est-ce là? fit Kœnig.
Nous nous portâmes dans La direction du tumulte. A mesure que nous approchions, une voix de plus en plus tonitruante se dégageait d'une bousculade de meubles, de cris d'effroi et de hurlements de douleur. Les échos en remplissaient le corridor où s'attroupaient déjà des têtes curieuses. Des mots furieusement vomis commençaient à nous parvenir: «Salauds! tas d'idiots! cochons!..»
– Je parie que c'est encore ce buffle de Wacht-am-Rhein! grommelait Kœnig.
Devant la chambrée 17, dont la porte était grande ouverte, un spectacle singulier nous attendait. Au milieu d'une demi-douzaine d'hommes complètement terrorisés et dont deux, le visage tuméfié, saignaient lamentablement du nez sur des seaux, se démenait une sorte de fou furieux, un énorme individu au cou de taureau, au mufle de bête, dont les yeux apoplectiques, la face vermillonnée et la bouche écumante présentaient les signes d'un accès de rage au paroxysme.
– Bougres de salauds! vociférait-il inlassablement… Bougres de salauds! fils de truies thuringiennes!..
Il s'acharnait, pour le moment, de ses deux poings massifs sur un malheureux mousquetaire qui, sans oser bouger, mais bramant tant qu'il pouvait, encaissait stoïquement les coups.
– Bougre de triple salaud… Je t'apprendrai, à force de te l'enfoncer dans les côtes, ton métier de fantassin de Sa Majesté!.. Tiens, cochon! En veux-tu encore, verdammter Halunke?.. Tiens! tiens!..
Les poings s'abattaient sur la gueule, sur les saillants, sur le crâne du pauvre diable, qui résonnait comme une boule de bois. Deux filets de sang dégoulinaient des lèvres et des ecchymoses rouges péchaient le pourtour des yeux.
– Tiens, Hundsfott!.. Tiens, charogne!
Celui qui sévissait d'un poing et d'un vocabulaire si énergique n'était autre, en effet, que le sous-officier Michel Bosch, dit Wacht-am-Rhein, le plus redouté des gradés de la compagnie.
– Quand vous aurez fini, sous-officier Bosch, fit Kœnig d'une voix blanche, j'aurai à vous dire deux mots.
Bosch, dit Wacht-am-Rhein, s'aperçut alors de la présence du lieutenant. Mais, sans se démonter, il porta hardiment la main à son calot et répondit:
– A