Eugénie Grandet. Honore de Balzac

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Eugénie Grandet - Honore de Balzac

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ni l'halleberge ou la pęche de vigne, ni les prunes ou les brugnons mangés sous l'arbre.

      – Allons, régale-toi, Nanon, lui disait-il dans les années oů les branches pliaient sous les fruits que les fermiers étaient obligés de donner aux cochons. Pour une fille des champs qui dans sa jeunesse n'avait récolté que de mauvais traitements, pour une pauvresse recueillie par charité, le rire équivoque du pčre Grandet était un vrai rayon de soleil. D'ailleurs le coeur simple, la tęte étroite de Nanon ne pouvaient contenir qu'un sentiment et une idée. Depuis trente-cinq ans, elle se voyait toujours arrivant devant le chantier du pčre Grandet, pieds nus, en haillons, et entendait toujours le tonnelier lui disant:

      – Que voulez-vous, ma mignonne? Et sa reconnaissance était toujours jeune. Quelquefois Grandet, songeant que cette pauvre créature n'avait jamais entendu le moindre mot flatteur, qu'elle ignorait tous les sentiments doux que la femme inspire, et pouvait comparaître un jour devant Dieu, plus chaste que ne l'était la Vierge Marie elle-męme; Grandet, saisi de pitié, disait en la regardant:

      – Cette pauvre Nanon! Son exclamation était toujours suivie d'un regard indéfinissable que lui jetait la vieille servante. Ce mot, dit de temps ŕ autre, formait depuis longtemps une chaîne d'amitié non interrompue, et ŕ laquelle chaque exclamation ajoutait un chaînon. Cette pitié, placée au coeur de Grandet et prise tout en gré par la vieille fille, avait je ne sais quoi d'horrible. Cette atroce pitié d'avare, qui réveillait mille plaisirs au coeur du vieux tonnelier, était pour Nanon sa somme de bonheur. Qui ne dira pas aussi: Pauvre Nanon! Dieu reconnaîtra ses anges aux inflexions de leur voix et ŕ leurs mystérieux regrets. Il y avait dans Saumur une grande quantité de ménages oů les domestiques étaient mieux traités, mais oů les maîtres n'en recevaient néanmoins aucun contentement. De lŕ cette autre phrase: ŤQu'est-ce que les Grandet font donc ŕ leur grande Nanon pour qu'elle leur soit si attachée? Elle passerait dans le feu pour eux!ťSa cuisine, dont les fenętres grillées donnaient sur la cour, était toujours propre, nette, froide, véritable cuisine d'avare oů rien ne devait se perdre. Quand Nanon avait lavé sa vaisselle, serré les restes du dîner, éteint son feu, elle quittait sa cuisine, séparée de la salle par un couloir, et venait filer du chanvre auprčs de ses maîtres. Une seule chandelle suffisait ŕ la famille pour la soirée. La servante couchait au fond de ce couloir, dans un bouge éclairé par un jour de souffrance. Sa robuste santé lui permettait d'habiter impunément cette espčce de trou, d'oů elle pouvait entendre le moindre bruit par le silence profond qui régnait nuit et jour dans la maison. Elle devait, comme un dogue chargé de la police, ne dormir que d'une oreille et se reposer en veillant.

      La description des autres portions du logis se trouvera liée aux événements de cette histoire; mais d'ailleurs le croquis de la salle oů éclatait tout le luxe du ménage peut faire soupçonner par avance la nudité des étages supérieurs.

      En 1819, vers le commencement de la soirée, au milieu du mois de novembre, la grande Nanon alluma du feu pour la premičre fois. L'automne avait été trčs beau. Ce jour était un jour de fęte bien connu des Cruchotins et des Grassinistes. Aussi les six antagonistes se préparaient-ils ŕ venir armés de toutes pičces, pour se rencontrer dans la salle et s'y surpasser en preuves d'amitié. Le matin tout Saumur avait vu madame et mademoiselle Grandet, accompagnées de Nanon, se rendant ŕ l'église paroissiale pour y entendre la messe, et chacun se souvint que ce jour était l'anniversaire de la naissance de mademoiselle Eugénie. Aussi, calculant l'heure oů le dîner devait finir, maître Cruchot, l'abbé Cruchot et monsieur C. de Bonfons s'empressaient-ils d'arriver avant les des Grassins peur fęter mademoiselle Grandet. Tous trois apportaient d'énormes bouquets cueillis dans leurs petites serres. La queue des fleurs que le président voulait présenter était ingénieusement enveloppée d'un ruban de satin blanc, orné de franges d'or. Le matin, monsieur Grandet, suivant sa coutume pour les jours mémorables de la naissance et de la fęte d'Eugénie, était venu la surprendre au lit, et lui avait solennellement offert son présent paternel, consistant, depuis treize années, en une curieuse pičce d'or. Madame Grandet donnait ordinairement ŕ sa fille une robe d'hiver ou d'été, selon la circonstance. Ces deux robes, les pičces d'or qu'elle récoltait au premier jour de l'an et ŕ la fęte de son pčre, lui composaient un petit revenu de cent écus environ, que Grandet aimait ŕ lui voir entasser. N'était-ce pas mettre son argent d'une caisse dans une autre, et, pour ainsi dire, élever ŕ la brochette l'avarice de son héritičre, ŕ laquelle il demandait parfois compte de son trésor, autrefois grossi par les La Bertelličre, en lui disant:

      – Ce sera ton douzain de mariage. Le douzain est un antique usage encore en vigueur et saintement conservé dans quelques pays situés au centre de la France. En Berry, en Anjou, quand une jeune fille se marie, sa famille ou celle de l'époux doit lui donner une bourse oů se trouvent, suivant les fortunes, douze pičces ou douze douzaines de pičces ou douze cents pičces d'argent ou d'or. La plus pauvre des bergčres ne se marierait pas sans son douzain, ne fűt-il composé que de gros sous. On parle encore ŕ Issoudun de je ne sais quel douzain offert ŕ une riche héritičre et qui contenait cent quarante-quatre portugaises d'or. Le pape Clément VII, oncle de Catherine de Médicis, lui fit présent, en la mariant ŕ Henri II, d'une douzaine de médailles d'or antiques de la plus grande valeur. Pendant le dîner, le pčre, tout joyeux de voir son Eugénie plus belle dans une robe neuve, s'était écrié:

      – Puisque c'est la fęte d'Eugénie, faisons du feu! ce sera de bon augure.

      – Mademoiselle se mariera dans l'année, c'est sűr, dit la grande Nanon en remportant les restes d'une oie, ce faisan des tonneliers.

      – Je ne vois point de partis pour elle ŕ Saumur, répondit madame Grandet en regardant son mari d'un air timide qui, vu son âge, annonçait l'entičre servitude conjugale sous laquelle gémissait la pauvre femme.

      Grandet contempla sa fille, et s'écria gaiement:

      – Elle a vingt-trois ans aujourd'hui, l'enfant, il faudra bientôt s'occuper d'elle.

      Eugénie et sa mčre se jetčrent silencieusement un coup d'oeil d'intelligence.

      Madame Grandet était une femme sčche et maigre, jaune comme un coing, gauche, lente; une de ces femmes qui semblent faites pour ętre tyrannisées. Elle avait de gros os, un gros nez, un gros front, de gros yeux, et offrait, au premier aspect, une vague ressemblance avec ces fruits cotonneux qui n'ont plus ni saveur ni suc. Ses dents étaient noires et rares, sa bouche était ridée, et son menton affectait la forme dite en galoche. C'était une excellente femme, une vraie La Bertelličre. L'abbé Cruchot savait trouver quelques occasions de lui dire qu'elle n'avait pas été trop mal, et elle le croyait. Une douceur angélique, une résignation d'insecte tourmenté par des enfants, une piété rare, une inaltérable égalité d'âme, un bon coeur, la faisaient universellement plaindre et respecter. Son mari ne lui donnait jamais plus de six francs ŕ la fois pour ses menues dépenses. Quoique ridicule en apparence, cette femme qui, par sa dot et ses successions, avait apporté au pčre Grandet plus de trois cent mille francs, s'était toujours sentie si profondément humiliée d'une dépendance et d'un ilotisme contre lequel la douceur de son âme lui interdisait de se révolter, qu'elle n'avait jamais demandé un sou, ni fait une observation sur les actes que maître Cruchot lui présentait ŕ signer. Cette fierté sotte et secrčte, cette noblesse d'âme constamment méconnue et blessée par Grandet, dominaient la conduite de cette femme. Madame Grandet mettait constamment une robe de levantine verdâtre, qu'elle s'était accoutumée ŕ faire durer prčs d'une année; elle portait un grand fichu de cotonnade blanche, un chapeau de paille cousue, et gardait presque toujours un tablier de taffetas noir. Sortant peu du logis, elle usait peu de souliers. Enfin elle ne voulait jamais rien pour elle. Aussi Grandet, saisi parfois d'un remords en se rappelant le long temps écoulé depuis le jour oů il avait donné six francs ŕ sa femme, stipulait-il toujours des épingles pour elle en vendant ses récoltes de l'année. Les quatre ou cinq louis offerts par le Hollandais ou le Belge acquéreur de la vendange Grandet formaient le plus clair des revenus annuels de madame Grandet. Mais,

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