Eugénie Grandet. Honore de Balzac

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Eugénie Grandet - Honore de Balzac

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conservées jeunes encore ŕ quarante ans. Elles sont comme ces derničres roses de l'arričre-saison, dont la vue fait plaisir, mais dont les pétales ont je ne sais quelle froideur, et dont le parfum s'affaiblit. Elle se mettait assez bien, faisait venir ses modes de Paris, donnait le ton ŕ la ville de Saumur, et avait des soirées. Son mari, ancien quartier-maître dans la garde impériale, gričvement blessé ŕ Austerlitz et retraité, conservait, malgré sa considération pour Grandet, l'apparente franchise des militaires.

      – Bonjour, Grandet, dit-il au vigneron en lui tenant la main et affectant une sorte de supériorité sous laquelle il écrasait toujours les Cruchot.

      – Mademoiselle, dit-il ŕ Eugénie aprčs avoir salué madame Grandet, vous ętes toujours belle et sage, je ne sais en vérité ce que l'on peut vous souhaiter. Puis il présenta une petite caisse que son domestique portait, et qui contenait une bruyčre du Cap, fleur nouvellement apportée en Europe et fort rare.

      Madame des Grassins embrassa trčs affectueusement Eugénie, lui serra la main, et lui dit:

      – Adolphe s'est chargé de vous présenter mon petit souvenir.

      Un grand jeune homme blond, pâle et fręle, ayant d'assez bonnes façons, timide en apparence, mais qui venait de dépenser ŕ Paris, oů il était allé faire son Droit, huit ou dix mille francs en sus de sa pension, s'avança vers Eugénie, l'embrassa sur les deux joues, et lui offrit une boîte ŕ ouvrage dont tous les ustensiles étaient en vermeil, véritable marchandise de pacotille, malgré l'écusson sur lequel un E. G. gothique assez bien gravé pouvait faire croire ŕ une façon trčs soignée. En l'ouvrant, Eugénie eut une de ces joies inespérées et complčtes qui font rougir, tressaillir, trembler d'aise les jeunes filles. Elle tourna les yeux sur son pčre, comme pour savoir s'il lui était permis d'accepter, et monsieur Grandet dit un ŤPrends, ma fille!ťdont l'accent eűt illustré un acteur. Les trois Cruchot restčrent stupéfaits en voyant le regard joyeux et animé lancé sur Adolphe des Grassins par l'héritičre ŕ qui de semblables richesses parurent inouďes. Monsieur des Grassins offrit ŕ Grandet une prise de tabac, en saisit une, secoua les grains tombés sur le ruban de la Légion-d'Honneur attaché ŕ la boutonničre de son habit bleu, puis il regarda les Cruchot d'un air qui semblait dire:

      – Parez-moi cette botte-lŕ? Madame des Grassins jeta les yeux sur les bocaux bleus oů étaient les bouquets des Cruchot, en cherchant leurs cadeaux avec la bonne foi jouée d'une femme moqueuse. Dans cette conjoncture délicate, l'abbé Cruchot laissa la société s'asseoir en cercle devant le feu et alla se promener au fond de la salle avec Grandet. Quand ces deux vieillards furent dans l'embrasure de la fenętre la plus éloignée des Grassins:

      – Ces gens-lŕ, dit le prętre ŕ l'oreille de l'avare, jettent l'argent par les fenętres.

      – Qu'est-ce que cela fait, s'il rentre dans ma cave, répliqua le vigneron.

      – Si vous vouliez donner des ciseaux d'or ŕ votre fille, vous en auriez bien le moyen, dit l'abbé.

      – Je lui donne mieux que des ciseaux, répondit Grandet.

      – Mon neveu est une cruche, pensa l'abbé en regardant le président dont les cheveux ébouriffés ajoutaient encore ŕ la mauvaise grâce de sa physionomie brune. Ne pouvait-il inventer une petite bętise qui eűt du prix.

      – Nous allons faire votre partie, madame Grandet, dit madame des Grassins.

      – Mais nous sommes tous réunis, nous pouvons deux tables …

      – Puisque c'est la fęte d'Eugénie, faites votre loto général, dit le pčre Grandet, ces deux enfants en seront. L'ancien tonnelier, qui ne jouait jamais ŕ aucun jeu, montra sa fille et Adolphe.

      – Allons, Nanon, mets les tables.

      – Nous allons vous aider, mademoiselle Nanon, dit gaiement madame des Grassins toute joyeuse de la joie qu'elle avait causée ŕ Eugénie.

      – Je n'ai jamais de ma vie été si contente, lui dit l'héritičre. Je n'ai rien vu de si joli nulle part.

      – C'est Adolphe qui l'a rapportée de Paris et qui l'a choisie, lui dit madame des Grassins ŕ l'oreille.

      – Va, va ton train, damnée intrigante! se disait le président; si tu es jamais en procčs, toi ou ton mari, votre affaire ne sera jamais bonne.

      Le notaire, assis dans son coin, regardait l'abbé d'un air calme en se disant:

      – Les des Grassins ont beau faire, ma fortune, celle de mon frčre et celle de mon neveu montent en somme ŕ onze cent mille francs. Les des Grassins en ont tout au plus la moitié, et ils ont une fille: ils peuvent offrir ce qu'ils voudront! héritičre et cadeaux, tout sera pour nous un jour.

      A huit heures et demie du soir, deux tables étaient dressées. La jolie madame des Grassins avait réussi ŕ mettre son fils ŕ côté d'Eugénie. Les acteurs de cette scčne pleine d'intéręt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolés, chiffrés, et de jetons en verre bleu, semblaient écouter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numéro sans faire une remarque; mais tous pensaient aux millions de monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraîche de madame des Grassins, la tęte martiale du banquier, celle d'Adolphe, le président, l'abbé, le notaire, et se disait intérieurement: Ils sont lŕ pour mes écus. Ils viennent s'ennuyer ici pour ma fille. Hé! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-lŕ me servent de harpons pour pęcher!

      Cette gaieté de famille, dans ce vieux salon gris, mal éclairé par deux chandelles; ces rires, accompagnés par le bruit du rouet de la grande Nanon, et qui n'étaient sincčres que sur les lčvres d'Eugénie ou de sa mčre; cette petitesse jointe ŕ de si grands intéręts; cette jeune fille qui, semblable ŕ ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu'ils ignorent, se trouvait traquée, serrée par des preuves d'amitié dont elle était la dupe; tout contribuait ŕ rendre cette scčne tristement comique. N'est-ce pas d'ailleurs une scčne de tous les temps et de tous les lieux, mais ramenée ŕ sa plus simple expression? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des deux familles, en tirant d'énormes profits, dominait ce drame et l'éclairait. N'était-ce pas le seul dieu moderne auquel on ait foi, l'Argent dans toute sa puissance, exprimé par une seule physionomie? Les doux sentiments de la vie n'occupaient lŕ qu'une place secondaire, ils animaient trois coeurs purs, ceux de Nanon, d'Eugénie et sa mčre. Encore, combien d'ignorance dans leur naďveté! Eugénie et sa mčre ne savaient rien de la fortune de Grandet, elles n'estimaient les choses de la vie qu'ŕ la lueur de leurs pâles idées, et ne prisaient ni ne méprisaient l'argent, accoutumées qu'elles étaient ŕ s'en passer. Leurs sentiments, froissés ŕ leur insu mais vivaces, le secret de leur existence, en faisaient des exceptions curieuses dans cette réunion de gens dont la vie était purement matérielle. Affreuse condition de l'homme! il n'y a pas un de ses bonheurs qui ne vienne d'une ignorance quelconque. Au moment oů madame Grandet gagnait un lot de seize sous, le plus considérable qui eűt jamais été ponté dans cette salle, et que la grande Nanon riait d'aise en voyant madame empochant cette riche somme, un coup de marteau retentit ŕ la porte de la maison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautčrent sur leurs chaises.

      – Ce n'est pas un homme de Saumur qui frappe ainsi, dit le notaire.

      – Peut-on cogner comme ça, dit Nanon. Veulent-ils casser notre porte?

      – Quel diable est-ce? s'écria Grandet.

      Nanon prit une des deux chandelles, et alla ouvrir accompagnée de Grandet.

      – Grandet, Grandet, s'écria

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