Eugénie Grandet. Honore de Balzac

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Eugénie Grandet - Honore de Balzac

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et rieuse figure. Une redingote de voyage ŕ demi boutonnée lui pinçait la taille, et laissait voir un gilet de cachemire ŕ châle sous lequel était un second gilet blanc. Sa montre, négligemment abandonnée au hasard dans une poche, se rattachait par une courte chaîne d'or ŕ l'une des boutonničres. Son pantalon gris se boutonnait sur les côtés, oů des dessins brodés en soie noire enjolivaient les coutures. Il maniait agréablement une canne dont la pomme d'or sculpté n'altérait point la fraîcheur de ses gants gris. Enfin, sa casquette était d'un goűt excellent. Un Parisien, un Parisien de la sphčre la plus élevée, pouvait seul et s'agencer ainsi sans paraître ridicule, et donner une harmonie de fatuité ŕ toutes ces niaiseries, que soutenait d'ailleurs un air brave, l'air d'un jeune homme qui a de beaux pistolets, le coup sűr et Annette. Maintenant, si vous voulez bien comprendre la surprise respective des Saumurois et du jeune Parisien, voir parfaitement le vil éclat que l'élégance du voyageur jetait au milieu des ombres grises de la salle, et des figures qui composaient le tableau de famille, essayez de vous représenter les Cruchot. Tous les trois prenaient du tabac et ne songeaient plus depuis longtemps ŕ éviter ni les roupies, ni les petites galettes noires qui parsemaient le jabot de leurs chemises rousses, ŕ cols recroquevillés et ŕ plis jaunâtres. Leurs cravates molles se roulaient en corde aussitôt qu'ils se les étaient attachées au cou. L'énorme quantité de linge qui leur permettait de ne faire la lessive que tous les six mois, et de le garder au fond de leurs armoires, laissait le temps y imprimer ses teintes grises et vieilles. Il y avait en eux une parfaite entente de mauvaise grâce et de sénilité. Leurs figures, aussi flétries que l'étaient leurs habits râpés, aussi plissées que leurs pantalons, semblaient usées, racornies, et grimaçaient. La négligence générale des autres costumes, tous incomplets, sans fraîcheur, comme le sont les toilettes de province, oů l'on arrive insensiblement ŕ ne plus s'habiller les uns pour les autres, et ŕ prendre garde au prix d'une paire de gants, s'accordait avec l'insouciance des Cruchot. L'horreur de la mode était le seul point sur lequel les Grassinistes et les Cruchotins s'entendissent parfaitement. Le Parisien prenait-il son lorgnon pour examiner les singuliers accessoires de la salle, les solives du plancher, le ton des boiseries ou les points que les mouches y avaient imprimés et dont le nombre aurait suffi pour ponctuer l'Encyclopédie méthodique et le Moniteur, aussitôt les joueurs de loto levaient le nez et le considéraient avec autant de curiosité qu'ils en eussent manifesté pour une girafe. Monsieur des Grassins et son fils, auxquels la figure d'un homme ŕ la mode n'était pas inconnue, s'associčrent néanmoins ŕ l'étonnement de leurs voisins, soit qu'ils éprouvassent l'indéfinissable influence d'un sentiment général, soit qu'ils l'approuvassent en disant ŕ leurs compatriotes par des oeillades pleines d'ironie:

      – Voilŕ comme ils sont ŕ Paris. Tous pouvaient d'ailleurs observer Charles ŕ loisir, sans craindre de déplaire au maître du logis. Grandet était absorbé dans la longue lettre qu'il tenait, et il avait pris pour la lire l'unique flambeau de la table, sans se soucier de ses hôtes ni de leur plaisir. Eugénie, ŕ qui le type d'une perfection semblable, soit dans la mise, soit dans la personne, était entičrement inconnu, crut voir en son cousin une créature descendue de quelque région séraphique. Elle respirait avec délices les parfums exhalés par cette chevelure si brillante, si gracieusement bouclée. Elle aurait voulu pouvoir toucher la peau blanche de ces jolis gants fins. Elle enviait les petites mains de Charles, son teint, la fraîcheur et la délicatesse de ses traits. Enfin, si toutefois cette image peut résumer les impressions que le jeune élégant produisit sur une ignorante fille sans cesse occupée ŕ rapetasser des bas, ŕ ravauder la garde-robe de son pčre, et dont la vie s'était écoulée sous ces crasseux lambris sans voir dans cette rue silencieuse plus d'un passant par heure, la vue de son cousin fit sourdre en son coeur les émotions de fine volupté que causent ŕ un jeune homme les fantastiques figures de femmes dessinées par Westall dans les Keepsake anglais et gravées par les Finden d'un burin si habile qu'on a peur, en soufflant sur le vélin, de faire envoler ces apparitions célestes Charles tira de sa poche un mouchoir brodé par la grande dame qui voyageait en Ecosse. En voyant ce joli ouvrage fait avec amour pendant les heures perdues pour l'amour, Eugénie regarda son cousin pour savoir s'il allait bien réellement s'en servir. Les maničres de Charles, ses gestes, la façon dont il prenait son lorgnon, son impertinence affectée, son mépris pour le coffret qui venait de faire tant de plaisir ŕ la riche héritičre et qu'il trouvait évidemment ou sans valeur ou ridicule; enfin, tout ce qui choquait les Cruchot et les des Grassins lui plaisait si fort qu'avant de s'endormir elle dűt ręver longtemps ŕ ce phénix des cousins.

      Les numéros se tiraient fort lentement, mais bientôt le loto fut arręté.

      La grande Nanon entra et dit tout haut:

      – Madame, va falloir me donner des draps pour faire le lit ŕ ce monsieur.

      Madame Grandet suivit Nanon. Madame des Grassins dit alors ŕ voix basse:

      – Gardons nos sous et laissons le loto. Chacun reprit ses deux sous dans la vieille soucoupe écornée oů il les avait mis. Puis l'assemblée se remua en masse et fit un quart de conversion vers le feu.

      – Vous avez donc fini? dit Grandet sans quitter sa lettre.

      – Oui, oui, répondit madame des Grassins en venant prendre place prčs de Charles.

      Eugénie, mue par une de ces pensées qui naissent au coeur des jeunes filles quand un sentiment s'y loge pour la premičre fois, quitta la salle pour aller aider sa mčre et Nanon. Si elle avait été questionnée par un confesseur habile, elle lui eűt sans doute avoué qu'elle ne songeait ni ŕ sa mčre ni ŕ Nanon, mais qu'elle était travaillée par un poignant désir d'inspecter la chambre de son cousin pour s'y occuper de son cousin, pour y placer quoi que ce fűt, pour obvier ŕ un oubli, pour y tout prévoir, afin de la rendre, autant que possible, élégante et propre. Eugénie se croyait déjŕ seule capable de comprendre les goűts et les idées de son cousin. En effet, elle arriva fort heureusement pour prouver ŕ sa mčre et ŕ Nanon, qui revenaient pensant avoir tout fait, que tout était ŕ faire. Elle donna l'idée ŕ la grande Nanon de bassiner les draps avec la braise du feu, elle couvrit elle-męme la vieille table d'un napperon, et recommanda bien ŕ Nanon de changer le napperon tous les matins. Elle convainquit sa mčre de la nécessité d'allumer un bon feu dans la cheminée, et détermina Nanon ŕ monter, sans en rien dire ŕ son pčre, un gros tas de bois dans le corridor. Elle courut chercher dans une des encoignures de la salle un plateau de vieux laque qui venait de la succession de feu le vieux monsieur de La Bertelličre, y prit également un verre de cristal ŕ six pans, une petite cuiller dédorée, un flacon antique oů étaient gravés des amours, et mit triomphalement le tout sur un coin de la cheminée. Il lui avait plus surgi d'idées en un quart d'heure qu'elle n'en avait eu depuis qu'elle était au monde.

      – Maman, dit-elle, jamais mon cousin ne supportera l'odeur d'une chandelle. Si nous achetions de la bougie?.. Elle alla, légčre comme un oiseau, tirer de sa bourse l'écu de cent sous qu'elle avait reçu pour ses dépenses du mois.

      – Tiens, Nanon, dit-elle, va vite.

      – Mais, que dira ton pčre? Cette objection terrible fut proposée par madame Grandet en voyant sa fille armée d'un sucrier de vieux Sčvres rapporté du château de Froidfond par Grandet.

      – Et oů prendras-tu donc du sucre? es-tu folle?

      – Maman, Nanon achčtera aussi bien du sucre que de la bougie.

      – Mais ton pčre?

      – Serait-il convenable que son neveu ne put boire un verre d'eau sucrée? D'ailleurs, il n'y fera pas attention.

      – Ton pčre voit tout, dit madame Grandet en hochant la tęte.

      Nanon hésitait, elle connaissait son maître.

      – Mais va donc, Nanon, puisque c'est ma fęte!

      Nanon

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