Contes bruns. Honore de Balzac
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Tout alla bien. Il était arrivé à l'avant-dernier noeud, lorsque près de se laisser couler à terre, il s'avisa, par une pensée prudente, de chercher le sol avec ses pieds, et – il ne trouva pas de sol… Diable! c'était un cas assez embarrassant. Il était en sueur, fatigué, perplexe, et dans cette situation où l'on joue sa vie à pair ou non. Il allait s'élancer par une raison frivole; son chapeau venait de tomber. Heureusement il écouta le bruit que la chute devait produire, et n'entendant rien, il conçut de vagues soupçons sur sa situation; et commença à croire qu'on pouvait lui avoir tendu quelque piége; mais dans quel intérêt?..
En proie à ces incertitudes, il songea presque à remettre la partie à une autre nuit; et provisoirement, il résolut d'attendre les clartés indécises du crépuscule, heure qui ne serait peut-être pas tout-à-fait défavorable à sa fuite. Sa force prodigieuse lui permit de grimper vers le donjon; mais il était presque épuisé au moment où il se remit sur le support extérieur, guettant tout comme un chat sur le bord de sa gouttière.
Bientôt, à la faible clarté de l'aurore, il aperçut, en faisant flotter sa corde, une petite distance de cent cinquante pieds entre le dernier noeud et les rochers pointus du précipice.
– Merci, commandant! dit-il avec le sang froid qui le caractérisait.
Puis, après avoir quelque peu réfléchi à cette habile vengeance, il jugea nécessaire de rentrer dans son cachot. Il mit toute sa défroque en évidence sur son lit, laissa la corde en dehors pour faire croire à sa chute; et, tranquillement tapi derrière la porte, il attendit l'arrivée du perfide guichetier, en tenant à la main une des barres de fer qu'il avait sciées.
Le guichetier ne manqua pas de venir, et plus tôt qu'à l'ordinaire, pour recueillir la succession du mort; il ouvrit la porte en sifflant; mais quand il fut à une distance convenable, Beauvoir lui asséna sur le crâne un si furieux coup de barre que le traître tomba comme une masse, sans jeter un cri; la barre lui avait brisé la tête. Le chevalier déshabilla promptement le mort, prit ses habits, imita son allure, et, grâces à l'heure matinale et au peu de défiance des sentinelles de la porte principale, il s'évada.
– Il faut des guerres civiles pour faire éclore des caractères semblables!.. s'écria un avocat célèbre. Ces aventures où l'ame se déploie dans toute sa vigueur ne se rencontrent jamais dans la vie tranquille telle que la constitue notre civilisation actuelle, si pâle, si décrépite.
– Encore la civilisation!.. répliqua un médecin, votre mot est placé!.. Depuis quelque temps, poètes, écrivains, peintres, tout le monde est possédé d'une singulière manie. Notre société, selon ces gens-là, nos moeurs, tout se décompose et rend le dernier soupir. Nous vivons morts; nous nous portons à merveille dans une agonie perpétuelle, et sans nous apercevoir que nous sommes en putréfaction. Enfin, à les entendre, nous n'avons ni lois, ni moeurs, ni physionomie, parce que nous sommes sans croyances. Il me semble cependant que, d'abord, nous avons tous foi en l'argent, et depuis que les hommes se sont attroupés en nations, l'argent a été une religion universelle, un culte éternel; ensuite, le monde actuel ne va pas mal du tout. Pour quelques gens blasés qui regrettent de ne pas avoir tué une femme ou deux, il se rencontre bon nombre de gens passionnés qui aiment sincèrement. Pour n'être pas scandaleux, l'amour se continue assez bien, et ne laisse guère chômer que les vieilles filles… encore!.. Bref! les existences sont tout aussi dramatiques en temps de paix qu'en temps de troubles… Je vous remercie de votre guerre civile. Moi! j'ai précisément assez de rentes sur le grand-livre pour aimer cette vie étroite, l'existence avec les soies, les cachemires, les tilburys, les peintures sur verres, les porcelaines, et toutes ces petites merveilles qui annoncent la dégénérescence d'une civilisation…
– Le docteur a raison… dit une dame. Il y a des situations secrètes de la vie la plus vulgaire en apparence qui peuvent comporter des aventures tout aussi intéressantes que celles de l'évasion.
– Certes, reprit le docteur. Et, si je vous racontais une des premières consultations que…
– Racontez!..
– Racontez!..
Ce fut un cri général, dont le docteur fut très flatté.
– Je n'ai pas la prétention de vous intéresser autant que monsieur…
– Connu!.. dit un peintre.
– Assez… Dites, cria-t-on de toutes parts.
– Un soir, dit-il, après avoir laissé échapper un geste de modestie et un sourire, j'allais me coucher, fatigué de ces courses énormes que nous autres, pauvres médecins, faisons à pied, presque pour l'amour de Dieu, pendant les premiers jours de notre carrière, lorsque ma vieille servante vint me dire qu'une dame désirait me parler. Je répondis par un signe, et sur-le-champ l'inconnue entra dans mon cabinet. Je la fis asseoir au coin de ma cheminée, et restai vis-à-vis d'elle, à l'autre coin, en l'examinant avec cette curiosité physiologique particulière aux gens de notre profession, quand ils prennent la science en amour. Je n'ai pas souvenance d'avoir rencontré dans le cours de ma vie une femme qui m'ait aussi fortement impressionné que je le fus par cette dame. Elle était jeune, simplement mise, médiocrement belle cependant, mais admirablement bien faite. Elle avait une taille très cambrée, un teint à éblouir et des cheveux noirs très-abondans. C'était une figure méridionale, tout empreinte de passions, dont les traits avaient peu de régularité, beaucoup de bizarrerie même, et qui tirait son plus grand charme de la physionomie; néanmoins, ses yeux vifs avaient une expression de tristesse, qui en détruisait l'éclat.
Elle me regardait avec une sorte d'inquiétude, et je fus extrêmement intéressé par l'hésitation que trahirent ses premières paroles et ses manières. Elle allait faire violence à sa pudeur, et j'attendais une de ces confidences vulgaires, auxquelles nous sommes habitués, mais qui n'en sont pas moins honteuses pour les malades, lorsque, se levant avec brusquerie, elle me dit:
– Monsieur, il est fort inutile que je vous instruise du hasard auquel j'ai du de connaître votre nom, votre caractère et votre talent.
A son accent, je reconnus une Marseillaise.
– Je suis, reprit-elle, mariée depuis trois mois à Monsieur de… chef d'escadron dans les grenadiers de la garde; c'est un homme violent et d'une jalousie de tigre. Depuis six mois je suis grosse…
En prononçant cette phrase à voix basse, elle eut peine à dissimuler une contraction nerveuse qui crispa son larynx.
– J'appartiens, reprit-elle en continuant, à l'une des premières familles de Marseille; ma mère est madame de…
– Vous comprenez, dit le docteur en s'interrompant et nous regardant à la ronde, que je ne puis pas vous dire les noms…
– J'ai dix-huit ans, monsieur, dit-elle; j'étais promise depuis deux ans à l'un de mes cousins, jeune homme riche et fort aimable, mais appartenant à une famille exclusivement commerçante, la famille de ma mère. Nous nous aimions beaucoup… Il y a huit mois, M. de… mon mari, vint à Marseille; il est neveu de l'ancienne duchesse de… et, favori de l'empereur, il est promis à quelque haute fortune militaire: tout cela séduisit mon père. Malgré mon inclination connue, mon mariage avec le comte de… fut décidé. Ce manque de foi brouilla les deux