Contes bruns. Honore de Balzac

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Contes bruns - Honore de Balzac

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couchée, au milieu de la nuit, je fus réveillée par la voix de mon cousin, et – je vis sa tête près de la mienne… Le lit où couchaient mon père et mère était à trois pas du mien; rien ne l'avait arrêté. Si mon père s'était réveillé, il lui aurait brûlé la cervelle… Je l'aimais… – c'est tout vous dire.

      Elle baissa les yeux et soupira. J'ai souvent entendu les sons creux qui sortent de la poitrine des agonisans; mais j'avoue que ce soupir de femmes, ce repentir poignant, mêlé de résignation, cette terreur produite par un moment de plaisir, dont le souvenir semblait briller dans les yeux de la jeune Marseillaise, m'ont pour ainsi dire aguerri tout à coup aux expressions les plus vives de la souffrance. Il y a des jours où j'entends encore ce soupir, et il me donne toujours une sensation de froid intérieur, lorsque ma mémoire est fidèle.

      – Dans trois jours, reprit-elle en levant les yeux sur moi, mon mari revient d'Allemagne. Il me sera impossible de lui cacher l'état dans lequel je suis, et il me tuera, monsieur; il n'hésitera même pas. Mon cousin se brûlera la cervelle ou provoquera mon mari. Je suis dans l'enfer…

      Elle dit cette phrase avec un calme effrayant.

      – Adolphe est tenu fort sévèrement; son père et sa mère lui donnent peu d'argent pour son entretien; ma mère n'a pas la disposition de sa fortune; de mon côté, moi, je ne possède rien; cependant, entre nous trois, nous avons trouvé 4,000 francs…

      – Les voici, dit-elle en tirant de son corset des billets de banque et me les présentant.

      – Eh bien! madame?.. lui demandai-je.

      – Eh bien! monsieur, reprit-elle en paraissant étonnée de ma question, je viens vous supplier de sauver l'honneur de deux familles, la vie de trois personnes et celle de ma mère, aux dépens de mon malheureux enfant…

      – N'achevez pas, lui dis-je avec sang froid.

      J'allai prendre le Code.

      – Voyez, madame, repris-je en montrant une page qu'elle n'avait sans doute pas lue, vous m'enverriez à l'échafaud. Vous me proposez un crime que la loi punit de mort, et vous seriez vous-même condamnée à une peine plus terrible peut-être que ne l'est la mienne… Mais, la justice ne serait pas si sévère, que je ne pratiquerais pas une opération de ce genre; elle est presque toujours un double assassinat; car il est rare que la mère ne périsse pas aussi. Vous pouvez prendre un meilleur parti… Pourquoi ne fuyez-vous pas?.. Allez en pays étranger.

      – Je serais déshonorée…

      Elle me fit encore quelques instances, mais doucement et avec un sourd accent de désespoir. Je la renvoyai…

      Le surlendemain, vers huit heures du matin, elle revint. En la voyant entrer dans mon cabinet, je lui fis un signe de dénégation très-péremptoire; mais elle se jeta si vivement à mes genoux que je ne pus l'en empêcher.

      – Tenez!.. s'écria-t-elle, voici dix mille francs!..

      – Hé! madame, répondis-je, cent mille, un million même, ne me convertiraient pas au crime… Si je vous promettais mon secours dans un moment de faiblesse, plus tard, au moment d'agir, la raison me reviendrait, et je manquerais à ma parole. Ainsi retirez-vous.

      Elle se releva, s'assit, et fondit en larmes.

      – Je suis morte!.. s'écria-t-elle. Mon mari revient demain…

      Elle tomba dans une espèce d'engourdissement; et puis, après sept ou huit minutes de silence, elle me jeta un regard suppliant; je détournai les yeux; elle me dit:

      – Adieu, monsieur!..

      Et disparut.

      Cet horrible poème de mélancolie m'oppressa pendant toute la journée… J'avais toujours devant moi cette femme pâle, et je lisais toujours les pensées écrites dans son dernier regard.

      Le soir, au moment où j'allais me coucher, une vieille femme en haillons, et qui sentait la boue des rues, me remit une lettre écrite sur une feuille de papier gras et jaune; les caractères, mal tracés, se lisaient à peine, et il y avait de l'horreur et dans ce message et dans la messagère.

      «J'ai été massacrée par le chirurgien malhabile d'une maison de prostitution, car je n'ai trouvé de pitié que là; mais je suis perdue. Une hémorragie affreuse a été la suite de cet acte de désespoir. Je suis, sous le nom de Mme Lebrun, à l'hôtel de Picardie, rue de Seine. Le mal est fait. Aurez-vous maintenant le courage de venir me visiter, et de voir s'il y a pour moi quelque chance de conserver la vie?..

      Écouterez-vous mieux une mourante?..

      Un frisson de fièvre passa sur ma colonne vertébrale. Je jetai la lettre au feu, puis me couchai; mais je ne dormis pas; je répétai vingt fois et presque mécaniquement:

      – Ah! la malheureuse…

      Le lendemain, après avoir fait toutes mes visites, j'allai, conduit par une sorte de fascination, jusqu'à l'hôtel que la jeune femme m'avait indiqué. Sous prétexte de chercher quelqu'un dont je ne savais pas exactement l'adresse, je pris avec prudence des informations, et le portier me dit:

      – Non, monsieur, nous n'avons personne de ce nom-là. Hier il est bien venu une jeune femme; mais elle ne restera pas longtemps ici… Elle est morte ce matin à midi…

      Je sortis avec précipitation, et j'emportai dans mon coeur un souvenir éternel de tristesse et de terreur. Je vois passer peu de corbillards seuls et sans parens à travers Paris sans penser à cette aventure, et chaque fois j'y découvre de nouvelles sources d'intérêt. C'est un drame à cinq personnages, dont, pour moi, les destinées inconnues se dénouent de mille manières, et qui m'occupent souvent pendant des heures entières…

      Nous restâmes silencieux. Le docteur avait conté cette histoire avec un accent si pénétrant, ses gestes furent si pittoresques et sa diction si vive, que nous vîmes successivement et l'héroïne et le char des pauvres conduit par les croque-morts, allant au trot vers le cimetière.

      – Pendant la campagne de 1812, nous dit alors un colonel d'artillerie, j'ai été, comme le docteur, le témoin ou plutôt la cause involontaire d'un malheur qui a beaucoup d'analogie avec celui dont il vient de nous parler. Il s'agit aussi d'une femme mariée; mais si le résultat est à peu près le même, il y existe entre les deux faits de notables différences.

      Lorsque nous arrivâmes à la Bérésina, il n'y avait plus, comme vous le savez, ni discipline ni obéissance militaire. Tous les rangs étaient confondus à l'armée; l'armée n'était même plus qu'un ramas d'hommes de toutes nations, qui allait instinctivement du nord au midi… Les soldats chassaient de leurs foyers un général en haillons et pieds nus, quand il n'apportait ni bois ni vivres. Après le passage de cette célèbre rivière, le désordre ne fut pas moindre.

      Je sortais tranquillement, tout seul, sans vivres, sans argent, des marais de Zembin, et j'allais cherchant une maison où l'on voulût bien me recevoir. N'en trouvant pas, ou chassé de celles que je rencontrais, j'aperçus heureusement vers le soir une mauvaise petite ferme de Pologne, dont rien ne pourrait vous donner une idée, à moins que vous n'ayez vu les maisons de bois de la Basse-Normandie ou les plus pauvres métairies de la Bretagne. Ces habitations consistent en une seule chambre partagée dans un bout par une cloison en planches, et la plus petite pièce sert de magasin à fourrages. L'obscurité du crépuscule me permettait de voir de loin une légère fumée qui s'échappait de cette maison.

      Espérant y trouver des camarades

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