Contes bruns. Honore de Balzac
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A cet aspect, reprit madame de… dont la voix remonta insensiblement au diapason doux et clair qui avait donné le ton aux juvéniles confidences de ces dames, je manquai de me trouver mal. Je pâlis en regardant mademoiselle de Fiennes que j'aimais beaucoup, et la terreur que j'ai ressentie depuis en pensant au jour où je devais monter sur l'échafaud n'est pas comparable à celle dont je fus la proie en songeant à la première nuit de mes noces. Je croyais être faite autrement que toutes les femmes. Je n'osais parler à ma mère; je regardais le comte avec un curieux effroi, sans en être plus instruite. Je ne vous dirai pas toutes les pensées martyrisantes dont je fus assaillie; l'idée d'un pareil supplice a été jusqu'à me faire rester, la veille de mon mariage, à tenir pendant environ une heure le bouton doré qui servait à ouvrir la porte de la chambre où dormait ma mère, sans pouvoir me décider à entrer, à la réveiller et à lui faire part de l'impossibilité où me mettait la nature d'être femme un jour.
»Bref! je fus menée plus morte que vive dans la chambre nuptiale…»
Ici madame de… ne put s'empêcher de sourire, et elle ajouta, non sans quelque mine de sainte ni-touche:
«Mais j'ai vu que tout ce que Dieu a fait est bien fait, et que la pauvre bécasse de religieuse avait essayé, comme Garo, de mettre des citrouilles à un chêne.»
– Monsieur, dit une jeune dame, si vos histoires gaies commencent ainsi, comment finiront-elles?..
– Oh! monsieur n'a jamais pu rien conter sans y mettre un trait un peu trop vif, et vraiment je le redoute. J'espère toujours qu'il s'est corrigé…
– Mais où est le mal?.. demanda naïvement le narrateur. Aujourd'hui vous voulez rire, et vous nous interdisez toutes les sources de la gaîté franche qui faisait les délices de nos ancêtres. Otez les tromperies de femmes, les ruses de moines, les aventures un peu breneuses de Verville et de Rabelais, où sera le rire?.. Vous avez remplacé cette poétique par celle des calembours d'Odry!.. Est-ce un progrès?.. Aujourd'hui nous n'osons plus rien!.. A peine une honnête femme permettrait-elle à son amant de lui raconter la bonne histoire du cocher de fiacre disant à une dame: Voulez-vous trinquer?… Il n'y a rien de possible avec des moeurs aussi tacitement libertines; car je trouve vos pièces de théâtre et vos romans plus gravement indécens que la crudité de Brantôme, chez lequel il n'y a ni arrière-pensée ni préméditation. Le jour où nous avons donné de la chasteté au langage, les moeurs avaient perdu la leur.
– La philanthropie a ruiné le conte!.. reprit un vieillard.
– Comment?.. dit la femme d'un peintre.
– Pour qu'un conte soit bon, il faut toujours qu'il vous fasse rire d'un malheur, répondit-il.
– Paradoxe!.. s'écria un journaliste.
– Aujourd'hui, reprit le vieillard en souriant, les sots se servent trop souvent de ce mot-là, quand ils ne peuvent pas répondre, pour qu'un homme d'esprit l'emploie.
Il y eut un moment de silence.
– Autrefois, dit le vieillard, les gens riches se faisaient enterrer dans les églises. Alors il y avait un intervalle entre l'enterrement réel et le convoi, parce que la tombe n'était pas toujours prête à recevoir le mort. Cet inconvénient avait obligé les curés de Paris à faire garder pendant un certain laps de temps les cercueils dans une chapelle où se trouvait un sépulcre postiche. C'était en quelque sorte un vestibule où les morts attendaient. Il y avait un prêtre de garde près de la chapelle mortuaire, et les familles payaient les prières de surérogation qui se disaient pendant la nuit ou pendant le jour qui s'écoulait entre l'enterrement factice et l'inhumation définitive. Excusez-moi de vous donner ces détails; mais aujourd'hui, pour beaucoup de personnes, ils sont de l'histoire…
Un pauvre prêtre, nouveau venu à Saint-Sulpice, débuta dans l'emploi de garder les morts… Un vieux maître des requêtes de l'hôtel avait été enterré la matin. Au commencement de la nuit, le prêtre de province fut installé dans la chapelle, et chargé de dire les prières à la lueur des cierges. Le voilà seul, au coin d'un pilier, dans cette grande église. Il dit un psaume, et quand le psaume est fini:
– Pan! pan!..
Il entend trois petits coups frappés faiblement.
Les oreilles lui tintent; il regarde la voûte, les dalles, les piliers… et finit par croire que ses confrères veulent lui jouer quelque tour, comme cela se fait dans les couvens pour les novices. Alors il se remet à dépêcher un autre psaume; et de verset en verset:
– Pan! pan! pan!
La prêtre répondit:
– Oui! oui! frappe!.. Je t'en casse!..
Enfin les coups diminuèrent, et ne se firent plus entendre que de loin à loin.
Vers le matin, un vieux prêtre vint relever de faction le débutant. Celui-ci lui donne le livre, la chaise, et s'en va.
– Pan! pan! pan!
– Qu'est-ce que c'est que ça?.. demanda le vieux prêtre.
– Oh! ce n'est rien, répondit le nouveau; c'est le mort qui a un tic…
– Je croirais volontiers que ce mot est vrai… dit un professeur d'histoire. Il est saturé de cet esprit rustique si précieux chez les vieux auteurs, et qui se retrouve souvent peut-être chez le paysan. Ce prêtre venait d'en-deçà la Loire… Le villageois est une nature admirable. Quand il est bête, il va de pair avec l'animal; mais quand il a des qualités, elles sont exquises; malheureusement personne ne l'observe. Il a fallu je ne sais quel hasard pour que Goldsmith ait fait le Vicaire de Vakefield. Aussi la vie campagnarde et paysanne attend un historien.
– Votre observation me rappelle, dit un ancien fonctionnaire impérial, un trait qui peut servir de preuve à votre opinion. Il donne tout-à-fait l'idée d'un homme trempé comme devait l'être le paysan du Danube.
En 1813, lors des dernières levées d'hommes dont Napoléon eut besoin, et que les préfets firent avec une rigueur qui contribua peut-être à la première chute de l'empire, le fils d'un pauvre métayer des environs d'une ville que je ne vous nommerai pas, car ce serait vous désigner le préfet, refusa de partir, et disparut.
Les premières sommations exécutées, l'on en vint aux mesures de rigueur contre le père et la mère. Enfin un matin, le préfet, ennuyé de voir cette affaire traîner en longueur, mande le père devant lui.
Le paysan vint à la préfecture; et là, le secrétaire général d'abord, puis le préfet lui-même, essayèrent par des paroles de persuasion de convertir à l'évangile impérial le père du réfractaire, et de lui arracher le secret de la retraite où son fils était caché.
Ils échouèrent contre le système de dénégation dans lesquels les paysans se renferment avec l'instinct de l'huître, qui défie ses agresseurs à l'abri de sa rude écaille. Des douceurs, le préfet et son secrétaire passèrent aux menaces, et ils se mirent très-sérieusement en colère, et rudoyèrent le pauvre homme, qui les regardait avec un grand flegme, en tortillant son chapeau à bords rabattus.
– Nous