Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre
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Jacques Mérey, qui était dans le cabinet voisin, accourut tout joyeux; c'était la première fois qu'Éva donnait une attention quelconque à la voix humaine.
Le docteur la prit dans ses bras, l'approcha d'Antoine, et son regard, en s'approchant de lui, exprima une certaine terreur.
C'était assez pour un jour de cette nouvelle sensation de crainte; le docteur fit signe à Antoine de s'éloigner; mais il lui recommanda de venir tous les jours afin que l'enfant s'habituât à lui; et, en effet, au bout de quelques jours, l'enfant semblait attendre l'arrivée d'Antoine, dont le manège l'amusait, et dont la grosse voix maintenant la faisait rire.
Un jour, Antoine reçut la recommandation de ne pas venir le lendemain. Le lendemain, à l'heure habituelle, Éva donna quelques signes d'impatience; elle se leva, alla jusqu'à la porte, devant laquelle elle resta debout, le mécanisme lui étant inconnu. Elle revint alors avec impatience vers le docteur; mais, sa vue ayant été attirée par un foulard rouge qu'il avait autour du cou, elle oublia Antoine pour tirer de toute sa force le foulard, que le docteur tira lui-même doucement et laissa tomber entre ses mains.
Alors, elle le secoua avec des rires bruyants, comme elle eût fait d'un étendard; puis, de même qu'elle l'avait vu autour du cou de Jacques Mérey, elle essaya de le mettre au sien; ce fut un nouveau trait de lumière pour le docteur. Il se demanda si la coquetterie ne serait point un mobile capable d'éveiller dans son cerveau un nouvel ordre de sensations et d'idées; il avait cru reconnaître que, malgré son indifférence, elle promenait volontiers ses yeux sur les fleurs d'une couleur vive.
C'était l'heure où l'on descendait l'enfant dans le jardin.
Depuis longtemps, le rossignol avait un nid, des petits, une famille, et par conséquent avait cessé de chanter, car on sait que les soucis de la paternité vont chez lui jusqu'à lui imposer pendant les trois couvées que fait sa femelle le silence le plus complet.
Jacques Mérey, qui avait à réfléchir sur l'incident du foulard et qui voulait en tirer parti, s'assit sur un banc. Scipion et Éva jouaient sur la pelouse que baignait le bassin fermé par une grille. Le petit ruisselet qui s'en échappait était trop peu profond pour donner la crainte que l'enfant ne s'y noyât; d'ailleurs, y fût-elle tombée, Scipion l'en eût tirée à l'instant même. Le docteur, sans rien suivre des yeux que sa pensée, voyait vaguement errer sur le gazon l'enfant et le chien; tous deux cessèrent à l'instant de se mouvoir et par leur immobilité fixèrent le regard du docteur.
Le chien et la jeune fille étaient couchés l'un à côté de l'autre à la marge du ruisseau.
Le chien buvait; l'enfant, qui était parvenue à fixer le mouchoir sur sa tête, se regardait.
Elle se leva sur ses genoux, et agenouillée regarda encore.
Il y avait déjà quelque temps, on a pu le voir, que le docteur, abandonnant peu à peu le traitement physique, s'occupait du moral et de l'intelligence, et, comme les sciences occultes étaient en grand honneur à cette époque, il ne négligeait pas une occasion d'appliquer leurs secrets les plus cachés au double traitement qu'il faisait suivre à sa pupille avec tous les mystérieux procédés de la cabale.
Jusqu'à l'âge de sept ans, nous l'avons vu, la pauvre enfant avait été couverte de vêtements grossiers, que les soins assidus de la grand-mère avaient eu toutes les peines du monde, comme elle l'avait dit, à maintenir propres.
La vieille n'avait que faire d'orner un enfant que personne ne voyait et qui ne se connaissait pas elle-même.
Quant au docteur, il avait, dans l'absence de vêtements, cherché à développer, par le contact de l'air, de la brise et du soleil, toutes les parties vitales de ce corps et de ces membres, qui devraient à l'absence de la compression un développement toujours si chétif et si lent chez les lymphatiques et les scrofuleux.
À son réveil, le lendemain, Éva trouva une robe ponceau brodée d'or sur la chaise la plus proche de son lit; la robe fixa ses yeux dès que ses yeux furent ouverts, et, lorsque Marthe la bossue la descendit de son lit, maintenant qu'elle marchait sans appui, elle alla droit à la robe.
Marthe lui fit entendre comme elle put, ou plutôt ne put pas lui faire entendre, que cette robe était pour elle, autrement qu'en la lui passant sur le corps. Elle s'y était cramponnée de toutes ses forces quand elle avait cru qu'on allait la lui ôter; mais, du moment qu'elle vit faire le même mouvement pour lui passer la robe que l'on faisait pour lui passer la chemise, quand elle vit qu'on ajustait à son corps ces riches étoffes, elle se laissa faire en joignant les mains et laissa – opération qui ne se passait pas toujours sans larmes – peigner ses cheveux blonds, qui commençaient non seulement à épaissir, mais à s'allonger, et qui tombaient sur ses épaules.
La toilette fut longue, minutieuse et conforme aux indications qu'avait en sortant laissées le docteur.
Jacques Mérey arriva une heure environ après la toilette faite. Il apportait avec lui un miroir, meuble inconnu jusqu'alors dans la cabane des braconniers, et placé trop haut dans le laboratoire du docteur pour que la petite Éva eût jamais pu se rendre compte de l'utilité de ce meuble, auquel elle n'avait au reste fait aucune attention.
C'était un de ces miroirs magnétiques dont l'usage paraît remonter aux temps les plus fabuleux de l'Orient, un miroir comme ceux où se regardaient les reines de Saba et de Babylone, les Nicaulis et les Sémiramis, et à l'aide desquels les cabalistes prétendent transmettre aux initiés les privilèges de la seconde vue. Ce miroir avait été, si on ose parler ainsi à des lecteurs qui ne sont point familiers avec les sciences occultes, ce miroir avait été animé par Jacques Mérey, qui, à l'aide de signes, lui avait pour ainsi dire communiqué ses intentions, sa volonté, son but.
Humaniser la matière, la charger de transmettre le fluide électrique d'une pensée, tous les actes que la science relègue encore aujourd'hui parmi les chimères, le Dr Jacques Mérey les expliquait au moyen de la sympathie universelle. J'en demande humblement pardon à messieurs de l'Académie de médecine en particulier, mais Jacques Mérey était de l'école des philosophes péripatéticiens.
Il croyait avec eux à une âme divine et universelle qui anime et met en mouvement toutes les choses sensibles, mais à l'extinction de laquelle le grand tout ne fait pas plus attention qu'à la flamme d'une luciole errante qui replie ses ailes et cesse tout à coup de briller.
Suivant lui, tout s'enchaînait dans la Création: les plantes, les métaux, les êtres vivants, le bois même, travaillaient, exerçaient les uns sur les autres des actions et des réactions dont les spirites, à l'heure qu'il est, développent la théorie et cherchent le secret. Pourquoi le fer et l'aimant seraient-ils les seuls éléments sensibles l'un à l'autre, et quel est le savant qui donnera une définition plus claire de l'aimant appelant le fer à lui, que d'un spirite vivant attirant à lui l'âme d'un mort? La base de ces influences constituait, disait-il, le mécanisme de la physique occulte à laquelle Cornélius Agrippa, Cardan, Porta, Zikker, Bayle et tant d'autres ont rapporté les effets magiques de la baguette divinatoire et généralement les phénomènes si nombreux de l'attraction des corps.
Toute la nature se résumait pour Jacques Mérey dans ces deux mots agir et subir.
À l'en croire, tous les corps vivants exhalaient de petits tourbillons de matière subtile. L'air, ce grand océan des fluides respirables, est le conducteur de ces atomes suspendus dans l'air.
Ces corpuscules gardent la nature du tout dont ils sont séparés; ils produisent sur certains corps les mêmes effets que produirait la masse entière de la substance