Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre страница 19

Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre

Скачать книгу

ce que Scipion avait pu faire pour amuser l'enfant, monter sa garde, fumer sa pipe, marcher sur les pattes de derrière, il l'avait fait. Il en était arrivé non plus à amuser Éva, mais à jouer avec Éva, lisant tous ses caprices dans un regard, jouant avec elle à cache-cache et au colin-maillard, lorsqu'un jour, disons-nous, après avoir traversé un buisson pour obéir au commandement d'Éva, il poussa un cri, alla chercher l'objet qu'Éva lui avait commandé de rapporter, mais revint en tenant en l'air sa patte de derrière.

      Puis, ayant déposé l'objet demandé aux pieds d'Éva, il se coucha, se plaignit douloureusement et se mit à lécher sa patte en essayant d'en extraire quelque chose avec les dents. Éva le regarda avec étonnement d'abord, puis ensuite avec inquiétude; un spectacle nouveau se produisait pour elle.

      C'était celui de la douleur.

      Son instinct la porta à prononcer le nom de Scipion d'une façon plus douce et plus tendre, puis elle souleva la patte de l'animal et chercha la cause de la douleur.

      C'était une épine, qui, en entrant dans les chairs du chien, s'était brisée au ras de la peau.

      Éva essaya plusieurs fois d'arracher l'écharde avec ses doigts, mais, n'ayant pas de prise, elle n'en put venir à bout. Alors, continuant de souffrir, Scipion continua de se plaindre, tirant doucement sa patte à lui quand Éva en approchait sa main.

      Éva reconnut alors qu'elle était impuissante à soulager, et cette idée lui vint à l'esprit ou plutôt au cœur, que ce qu'elle ne pouvait pas faire entrait dans le domaine de ce que pouvait faire Jacques.

      C'était un nouveau progrès de son esprit.

      Elle appela donc d'un ton plein d'angoisse:

      – Jacques! Jacques! Jacques!

      Et chacune de ces appellations était plus pressante et plus triste.

      Dès la première, Jacques s'était mis à la fenêtre de son laboratoire et avait compris ce dont il était question, car Éva lui montrait le chien couché languissamment près d'elle. Jacques descendit vivement.

      Il se coucha à son tour près du chien, et comme Éva lui montrait la patte de l'animal soulevée et saignante, il prit une pince dans sa trousse, et, parvenant à saisir l'épine brisée dans la plaie, il la tira des chairs de la pauvre bête, qui, soulagée aussitôt, se remit à bondir sur ses quatre pieds, et à bondir joyeusement. Aussi joyeuse que lui, Éva se mit à bondir avec lui: comme elle avait partagé ses douleurs, elle partageait sa joie.

      Quelques jours après, la vieille Marthe fit une chute dans l'escalier. Éva était seule à la maison avec elle, elle avait entendu le bruit de cette chute, elle était descendue précipitamment, elle trouva Marthe étendue sur le palier.

      La vieille femme s'était démis le genou dans sa chute. Éva voulut l'aider à se relever, mais c'était impossible, sa force ne lui permettait pas de soulever la vieille servante.

      Elle voulut examiner la plaie, comme elle avait fait pour Scipion, mais il n'y avait pas de plaie; force fut donc d'attendre le docteur, qui, n'étant jamais longtemps dehors, revint quelques minutes après l'accident.

      Dès qu'Éva l'entendit rentrer, elle le reconnut à sa manière d'ouvrir et de fermer la porte. Elle appela de toutes ses forces et d'une voix plus inquiète et plus émue qu'elle n'avait jamais fait pour Scipion.

      Le docteur monta, et, voyant Marthe assise sur l'escalier, il craignit un accident plus grave que celui qui était arrivé, c'est-à-dire une fracture.

      Mais, à la première inspection du genou, il reconnut une simple luxation, prit la vieille dans ses bras, et l'emporta dans sa chambre, suivi d'Éva qui était suivie de Scipion.

      Quant au Président, le bruit de la chute l'avait effrayé, et, abandonnant à son malheureux sort celle qui avait pour lui le cœur et les soins d'une nourrice, il s'était élancé par une fenêtre et avait gagné les toits.

      Pendant toute cette journée, Éva ne joua point et resta dans la chambre de Marthe; mais comme l'indisposition n'était pas grave, dès le lendemain elle se remit à sa vie habituelle.

      Nous avons dit qu'Antoine, en frappant trois fois du pied, en criant sur le seuil de la porte: Cercle de justice!centre de vérité! avait gagné les bonnes grâces d'Éva, qui s'était toujours tenue vis-à-vis de lui néanmoins dans la mesure d'un salut amical.

      Un jour qu'elle était seule avec Scipion dans le laboratoire, Jacques Mérey étant dans le cabinet à côté, le porteur d'eau monta son seau habituel au deuxième étage, frappa du pied, prononça les paroles sacramentelles; et, comme il faisait chaud, que son front ruisselait de sueur et que la jeune fille était seule, il crut pouvoir se permettre, la croyant toujours idiote, de s'écrier devant elle:

      – Sacrisiti! qu'il fait chaud. Je boirais bien un coup.

      Éva le regarda, le vit en effet rouge et couvert de sueur, s'essuyant le front avec sa manche.

      – Attends, lui dit-elle.

      C'était un mot dont elle se servait depuis longtemps, nous l'avons vu, pour commander l'attention.

      Et elle s'élança hors du laboratoire.

      Antoine tout étonné attendit en effet.

      Un instant après, Éva remonta avec un beau verre d'eau claire à la main, et le présenta au journalier.

      – Ah! mademoiselle, dit-il, c'est bien gentil de votre part; mais, comme j'en vends, si j'avais eu soif d'eau, j'aurais pu en boire.

      En ce moment, du cabinet où était Jacques Mérey sortirent ces trois mots:

      – Du vin, Éva!

      Éva savait ce que c'était que du vin, quoiqu'elle n'en eût jamais bu, malgré les instances du docteur, mais elle lui en avait vu boire.

      Elle descendit, en conséquence, et pensant que, quand on offrait du vin à l'homme qui a chaud, il fallait lui en offrir beaucoup et du meilleur, elle lui monta un verre plein de bordeaux.

      En voyant la couleur du breuvage qui lui était offert, Antoine sourit béatifiquement.

      Puis, prenant le verre des mains d'Éva, comme il eût fait d'un verre de vin de Suresnes ou de vin d'Argenteuil, il avala d'un coup, et sans prendre la peine de le déguster, le contenu du verre que lui offrait Éva.

      Éva, joyeuse, le regarda faire.

      Le vin avalé, Antoine cligna de l'œil et fit clapper sa langue.

      – Bon? demanda Éva.

      – Velours! répondit laconiquement Antoine.

      Puis le porteur d'eau vida son seau dans le récipient ordinaire et s'éloigna.

      – Velours? demanda Éva au docteur rentrant dans son laboratoire. Velours?

      Si le docteur n'eût point entendu la demande d'Éva et la réponse d'Antoine, il eût été fort embarrassé pour répondre à la question de son élève.

      Mais il prit dans l'armoire où il enfermait ses effets un habit de velours, fit passer à l'enfant sa main dessus, et, lui faisant le signe d'un homme qui fait glisser lentement sa main sur son estomac, il lui répéta le mot:

      – Velours!

Скачать книгу