Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre страница 21

Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre

Скачать книгу

musiciens, des dessinateurs, des peintres.

      En peinture, Giotto et Corrège avaient donné un exemple, dont les autres, plus tard, donnèrent la preuve.

      Un des hommes qui ont le mieux et le plus étudié la folie et surtout l'idiotisme, M. Morel, de Rouen, me racontait avoir connu des imbéciles, des idiots véritables, qui exécutaient à première vue la musique la plus difficile, mais qui ne jouaient pas avec plus de compréhension, plus de sentiment, plus d'âme, ce morceau la centième fois que la première; leur talent était le résultat d'un instinct inné, d'une aptitude naturelle, d'une certaine disposition artistique qui doit faire admettre les localisations cérébrales, sans que l'on puisse dire au juste dans quelle case du cerveau est nichée telle ou telle faculté; et la preuve que tout cela n'est qu'instinct, c'est que, comme nous l'avons dit, ces individus-là ne progressent point et restent toujours au même degré, ne peuvent rien inventer et rien perfectionner.

      C'est un pur instinct qui naît et qui meurt avec eux.

      Il y a parmi les hommes les mêmes dispositions qu'entre les animaux, et c'est une conséquence de cette logique absolue de la nature, qui ne laisse pas plus d'intervalle dans la chaîne physique des corps que dans l'échelle des intelligences.

      L'abeille et le castor sont certainement les plus instinctifs des animaux, mais ils sont bien moins intelligents que le chien, qui est capable d'une certaine éducation et chez lequel existent des facultés affectives susceptibles d'être développées.

      Parfois certaines facultés instinctives chez les individus sont le résultat d'une maladie. Mondheux, le célèbre calculateur, était épileptique; il possédait, et cela à la plus haute puissance, la table des logarithmes, mais il eût été incapable de raisonner un problème de simple arithmétique.

      M. Morel, que je ne saurais trop citer, dont j'ai profondément étudié le livre, et dont j'ai avidement écouté les avis lorsque j'ai entrepris l'histoire si simple et en même temps si pleine de difficultés que je mets sous les yeux de mes lecteurs, me racontait encore, lorsque je l'eus consulté sur la possibilité de facultés développées par l'orage chez une jeune fille devenant adulte, qu'il avait soigné un jeune instinctif qui jouait à première vue les morceaux des plus grands maîtres, et cela mieux que n'eût fait son professeur; mais il n'avait jamais pu acquérir la moindre notion de composition musicale, et il était incapable de perfectionnement.

      – Mais, ajoutait M. Morel, le plus étonnant de tous les idiots que j'ai connus, celui que je me plaisais à présenter aux médecins qui nous visitaient, c'était un nommé Perrin, né dans un village près de Nancy, où le crétinisme est endémique. Celui-là était un idiot dans la pure acception du mot, sourd et muet, ne poussant que des cris inarticulés. On l'occupait à soigner les vaches. Un jour qu'il passait au moment où le tambour du village faisait une annonce, on le vit tourner comme un furieux autour du musicien officiel, lui arracher son tambour, lui prendre ses baguettes, et se mettre à battre une marche des plus ronflantes et des plus justes.

      M. Morel le demanda à sa commune. On le lui accorda, et il devint dans son hôpital le tambour en chef de la section des imbéciles. C'était lui qui dirigeait la promenade quand les malades sortaient.

      Jacques Mérey ne connaissait point tous ces exemples, qui furent le résultat des observations faites depuis les événements dont il fut le principal héros; aussi fut-il prodigieusement étonné en voyant le fait qui s'accomplissait sous ses yeux, et auquel il n'eût certes pas cru s'il l'eût lu dans un livre ou s'il lui eût été raconté par un de ses confrères. Il résolut de ne pas perdre un instant pour mettre Éva à la musique comme il l'avait mise à la lecture.

      Mais Éva refusa toutes ces précautions dont Jacques avait entouré ses études alphabétiques; elle prit le solfège, l'ouvrit à la première page, et dit de sa voix la plus caressante:

      – Montrer à moi, cher Jacques!

      Et Jacques commença sa leçon à l'instant même, et huit jours après, Éva connaissait les notes, leur valeur, les signes qui, ajoutés à la clef, haussent ou abaissent les tons.

      Un mois après, elle jouait à livre ouvert tous les morceaux transcrits pour l'orgue qu'on lui présentait.

      Nous l'avons vu, Jacques Mérey s'était emparé de tous les moyens capables d'agir sur cette intelligence assoupie, sur cette Belle au bois dormant qui avait attendu si longtemps que l'on eût rompu le charme dont une des mauvaises fées de la nature l'avait affligée dans son berceau.

      Nous l'avons vu successivement employer la science occulte, la science réelle, les mystérieuses révélations de la nature. Nous l'avons vu recourir à Albert le Grand, à Hermès, à Raymond Lulle, à Cornélius Agrippa, à la Bible. Un jour, il avait lu dans le livre du Seigneur un passage qui exprime hardiment l'action d'un être sur un autre être, l'omnipotence de la volonté, la force magnétique du regard, l'irrésistible commandement du fort au faible.

      C'est quand Jéhovah envoie Moïse au pharaon et lui dit: «Tu seras le dieu de cet homme.»

      Envoyé par la science auprès d'une idiote qui s'opiniâtrait à ne pas laisser sortir les forces de son intelligence captive, Jacques Mérey suivit le précepte donné à Moïse, et se fit le dieu de cette enfant.

      Ses agents extérieurs étaient autant d'intermédiaires par lesquels il faisait parvenir ses ordres jusqu'à elle: le Président, Scipion, la vieille Marthe, Antoine, Basile, les étoffes qui récréaient sa vue, les fleurs qui charmaient son odorat, les pelouses sur lesquelles elle se roulait, l'eau de la source qu'elle buvait à même le réservoir, tout dans la nature devenait ainsi à son caprice une vaste machine électrique qu'il chargeait, si on ose dire ainsi, de l'irrésistible fluide de sa volonté.

      Éva commençait à être femme physiquement et moralement, mais elle ne connaissait pas encore son sexe.

      Élevée par le braconnier et par sa mère, elle n'éprouvait aucun embarras à demeurer nue devant eux.

      Depuis qu'elle avait été transportée chez le docteur, depuis qu'elle avait été baptisée du nom d'Éva et qu'elle était devenue la reine de son Éden, elle courait revêtue d'une simple chemise tantôt rouge (nous avons vu l'effet que cette couleur produisait sur elle), tantôt bleue, toujours d'une couleur voyante, avec l'innocence de celle dont elle portait le nom.

      Il est vrai qu'Ève, supériorité ou infériorité sur Éva, n'avait pas même la chemise.

      Lorsque le docteur avait pris cette décision de n'enfermer le corps de l'enfant dans aucun lien, lorsqu'il l'avait revêtue du plus simple de tous les vêtements, il s'était assuré qu'aucun œil profane ne pouvait pénétrer sous l'épaisseur des ombrages de son jardin.

      D'ailleurs, Éva était très obéissante; le docteur lui avait indiqué son domaine, et elle s'y était toujours enfermée scrupuleusement.

      Éva n'avait pas été vue même par le serpent.

      On était arrivé à l'automne de l'année 1791; depuis six ans, le docteur poursuivait son œuvre.

      Éva allait avoir quatorze ans.

      Il y avait, au centre du jardin, sur le plateau au pied duquel jaillissait la source, il y avait, nous l'avons dit, un superbe pommier tout chargé de fleurs en avril, tout chargé de fruits en septembre. Éva, comme son aïeule, aimait beaucoup les fruits, et surtout les pommes.

      Jacques Mérey fit sur cet arbre ce qu'il avait déjà fait sur le miroir; il aimanta pour ainsi dire le feuillage d'une force d'attraction et de volonté; les arbres jouent un rôle

Скачать книгу