Le comte de Moret. Dumas Alexandre
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Ce fut au tour des hommes de sourire, moitié d'incrédulité, moitié de dédain. Les femmes regardèrent avec une curiosité plus grande celui que Rotrou présentait avec une si brillante promesse.
Malgré sa grande jeunesse, il était remarquable par son visage austère, par la ride transversale de son front qui semblait creusée par le soc de la pensée, et par des yeux pleins de flammes.
Le reste du visage était vulgaire, le nez gros, la lèvre épaisse, quoiqu'on la vît mal, perdue qu'elle était sous une moustache naissante.
Rotrou pensa qu'il était temps de satisfaire la curiosité générale et continua:
– Madame la marquise, permettez-moi de vous présenter mon cher compatriote, Pierre Corneille, fils d'un avocat-général de Rouen, et qui bientôt sera fils de son génie.
– Corneille, répéta Scudéri, ce nom est celui d'un oiseau de mauvais augure.
– Oui, pour ses rivaux, monsieur Scudéri, répondit Rotrou.
– Corneille? répéta la marquise à son tour, mais avec bienveillance.
– Ab illice cornix, souffla Chapelain à l'évêque de Vence, M. Godeau, prélat de si petite taille qu'on l'appelait le nain de la princesse Julie.
– Bon! dit Rotrou à Mme de Rambouillet, vous cherchez au frontispice de quel poëme, à la tête de quelle tragédie vous avez lu ce nom-là. Sur aucun, madame la marquise; il n'est encore inscrit qu'à la tête d'une comédie dont ce bon compagnon arrivé hier de Rouen, a payé cette nuit mon hospitalité. Je le conduis demain à l'hôtel de Bourgogne, je le présente à Mondory, et dans un mois nous l'applaudissons.
Le jeune homme leva les yeux au ciel en poëte qui dit: Dieu le veuille!
On se rapprocha des deux amis avec plus de curiosité. Mme la princesse surtout, nature avide de louanges, voyant dans tout poëte un panégyriste de sa beauté qui commençait à pâlir, Mme la princesse paraissait on ne peut plus curieuse; elle fit rouler son fauteuil du côté du groupe qui se formait autour de Rotrou et de son compagnon, et tandis que les hommes, et particulièrement les poëtes, se tenaient dédaigneusement à leur place:
– Eh! monsieur Corneille, demanda-t-elle, peut-on s'informer quel est le titre de votre comédie?
Corneille se retourna à cette interpellation faite d'une voix quelque peu hautaine. Tandis qu'il se retournait, Rotrou lui souffla un mot à l'oreille.
– Elle s'appelle Mélite, répondit-il, à moins toutefois que Votre Altesse ne daigne la baptiser d'un meilleur nom.
– Mélite! Mélite! répéta la princesse; non, il faut le laisser ainsi, Mélite est charmant, et si la fable y correspond…
– Ah voilà ce qu'il y a de charmant surtout, madame la princesse, dit Rotrou, c'est que ce n'est point une fable, c'est une histoire.
– Comment, une histoire? demanda Mlle Paulet, l'argument en serait-il vrai?
– Voyons, raconte la chose à ces dames, mauvais sujet, dit Rotrou à son compagnon.
Corneille rougit jusqu'aux oreilles; nul n'avait moins l'air d'un mauvais sujet que lui.
– Reste à savoir si l'histoire peut se raconter en prose, dit Mme de Combalet, se couvrant d'avance, et pour le cas où Corneille raconterait l'histoire, le visage de son éventail.
Mme de Combalet, nièce bien-aimée du cardinal, était une habituée du salon de Mme de Rambouillet.
– J'aimerais mieux, dit timidement Corneille, en réciter quelques vers qu'en raconter l'argument.
– Bah! dit Rotrou, voilà bien de l'embarras pour une galanterie. Je vais vous la dire en deux mots, moi l'histoire. Mais ce n'est point là qu'est le mérite, puisque l'histoire est vraie, et que mon ami en étant le héros n'a pas même le mérite de l'invention. Imaginez-vous, madame, qu'un ami de ce libertin…
– Rotrou! Rotrou! interrompit Corneille.
– Je reprends, malgré l'interruption, continua Rotrou; imaginez-vous qu'un ami de ce libertin le présente dans une honnête maison de Rouen, où tout était arrêté pour son mariage avec une fille charmante… Que pensez-vous que fasse M. Corneille? Qu'il attendra que la noce s'accomplisse, et que momentanément il lui suffira d'être garçon d'honneur, quitte plus tard à… Vous comprenez bien, n'est-ce pas?
– M. Rotrou! fit Mme Combalet en tirant sur ses yeux sa coiffe de carmélite.
– Quitte plus tard à quoi faire? répéta Mlle de Scudéri d'un air rogue. Si les autres ont compris, je vous préviens, M. de Rotrou, que je n'ai pas compris, moi.
– Je l'espère bien, belle Sapho – c'était le nom que l'on donnait à Mlle Scudéri dans le dictionnaire des ridicules – je parle pour M. l'évêque de Vence et Mlle Paulet, qui ont compris, eux, n'est-ce pas?
Mlle Paulet donna avec une grâce des plus provocantes un petit coup d'éventail sur les doigts de Rotrou, en disant:
– Continuez, vaurien, plus vite vous aurez fini, mieux sera.
– Oui, ad eventum festina, selon le précepte d'Horace. Eh bien! M. Corneille, en sa qualité de poète, suivit les conseils de l'ami de Mécène, il ne prit pas la peine d'attendre: il revient seul chez la demoiselle, bat en brèche la place, qui ne s'appelait pas Fidélité, à ce qu'il paraît, et des ruines du bonheur de son ami, bâtit son propre bonheur; et ce bonheur est si grand, que tout à coup il fait jaillir du cœur de monsieur une source de poésie qui n'est autre que celle à laquelle se désaltèrent Pégase et ces neuf pucelles qu'on appelle les Muses.
– Voyez un peu, dit Mme la princesse, où l'hypocrène va se nicher, dans le cœur d'un clerc de procureur! En vérité, c'est à n'y pas croire.
– Jusqu'à preuve du contraire, n'est-ce pas, madame la princesse? Cette preuve, mon ami Corneille vous la donnera.
– Voilà une dame bien heureuse, dit mademoiselle Paulet. Si la comédie de Corneille a le succès que lui prédit M. de Rotrou, elle est immortalisée.
– Oui, répéta Mlle de Scudéri avec sa sécheresse ordinaire, mais je doute que pendant cette immortalité, durât-elle autant que celle de la sibylle de Cumes, une pareille célébrité lui procure un mari.
– Eh! trouvez-vous, mon Dieu, dit Mlle Paulet, que ce soit un si grand malheur de rester fille? Ah! quand on est jolie, bien entendu. Demandez à Mme de Combalet, si c'est une si divine joie que d'être mariée.
Mme de Combalet se contenta de pousser un soupir, en levant les yeux au ciel et en hochant tristement la tête.
– Avec tout cela, dit Mme la princesse, M. Corneille nous avait offert de nous réciter des rimes de sa comédie.
– Oh! il est tout prêt, dit Rotrou; demander des vers à un poëte, c'est demander de l'eau à une source. Allons, Corneille, allons, mon ami.
Corneille rougit, balbutia, appuya la main sur son front, et, d'une voix qui semblait plutôt faite pour la tragédie que pour la comédie, il récita les vers suivants: