Le comte de Moret. Dumas Alexandre

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Le comte de Moret - Dumas Alexandre

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fasse point une condition, de payer les dix ou douze pots de vin que je dois dans ce cabaret; je suis un homme d'ordre, et s'il m'arrivait un accident, dans une de mes expéditions, je serais désolé de laisser derrière moi une dette, si petite qu'elle fût.

      – Qu'à cela ne tienne!

      – Et ce serait, continua le buveur, mettre le comble à votre galanterie, les deux pots que j'ai devant moi sonnant le creux, d'en faire venir, pour les remplacer, deux autres, avec lesquels nous nous gargariserons la gorge, car j'ai le parler sec, et je trouve que les paroles mal humectées écorchent la bouche d'où elles sortent.

      – Maître Soleil! cria l'inconnu en s'enfonçant d'un degré de plus dans son manteau.

      Maître Soleil parut, comme s'il se fût trouvé derrière la porte, prêt à obéir aux ordres qui lui seraient donnés.

      – Le compte de ce gentilhomme et deux pots de vin, du meilleur!

      L'aubergiste de la Barbe Peinte disparut aussi rapidement que le fait de nos jours, à travers une trappe anglaise, un clown du Cirque olympique, et reparut presqu'aussitôt, tenant deux pots de vin qu'il déposa, l'un à la proximité de l'inconnu, l'autre devant maître Etienne Latil.

      – Voilà! dit-il; quant au compte, c'est une pistole, cinq sous, deux deniers.

      – Voici un louis d'or de deux pistoles et demie – dit l'inconnu en jetant sur la table la pièce annoncée; – puis, comme l'aubergiste portait la main à sa poche, sans doute pour y chercher de la monnaie:

      – Inutile que tu me rendes, dit-il, tu porteras la différence à l'avoir de monsieur.

      – A l'avoir– murmura le bravo – voilà un mot qui sent son marchand d'une lieue! Il est vrai que ces Florentins sont tous marchands, et que leurs ducs eux-mêmes font l'usure, ni plus ni moins que des juifs de Francfort ou des Lombards de Milan; mais, comme le disait notre hôte, les temps sont durs, et l'on ne peut pas toujours choisir ses clients.

      Pendant ce temps, maître Soleil se retirait, en faisant révérences sur révérences, et en jetant sur son hôte, qui trouvait des seigneurs payant si largement ses dettes, des regards de profonde admiration.

      CHAPITRE II.

      CE QUI ADVINT DE LA PROPOSITION FAITE PAR L'INCONNU A MAITRE ÉTIENNE LATIL

      L'inconnu suivit maître Soleil des yeux jusqu'à ce que la porte se fût refermée sur lui, et alors, s'assurant qu'il était bien seul avec Etienne Latil:

      – Et maintenant, dit-il, que vous savez n'avoir plus affaire à un croquant, êtes-vous disposé, mon cher monsieur, à aider un cavalier généreux à se débarrasser d'un rival qui l'importune?

      – On vient souvent me faire de pareilles offres, et rarement je les refuse. Mais, avant d'aller plus loin, il me semble qu'il serait bon de vous faire connaître mes prix.

      – Je les connais: deux pistoles pour servir de second dans un duel ordinaire, vingt-cinq pistoles pour appeler directement, sous un prétexte quelconque, quand la partie intéressée ne se bat pas, et cent pistoles pour chercher une querelle, qui amène une rencontre immédiate, avec une personne désignée, laquelle doit mourir sur place.

      – Mourir sur place – répéta le spadassin. – Si elle ne meurt pas, je rends l'argent, nonobstant les blessures faites ou reçues.

      – Je sais cela, et que, non seulement vous êtes une fine lame, mais encore un homme d'honneur.

      Etienne Latil s'inclina légèrement, et comme si l'on ne faisait que lui rendre justice. En effet, il était homme d'honneur à sa façon.

      – Ainsi, continua l'inconnu, je puis compter sur vous?

      – Attendez! n'allons pas si vite en besogne. Puisque vous êtes Italien, vous devez connaître le proverbe: Che va piano va sano. Allons doucement pour aller sûrement. Avant tout, il faut connaître la nature de l'affaire, l'homme dont il s'agit et à laquelle des trois catégories appartient le traité que nous allons passer, lequel, je vous en préviens, se fait toujours au comptant. Je suis trop vieux routier, vous comprenez bien, pour agir à la légère.

      – Voilà les cent pistoles toutes comptées dans cette bourse, vous pouvez vous assurer que la somme y est.

      Et l'inconnu jeta une bourse sur la table.

      Malgré le son tentateur qu'elle rendit, le spadassin ne la toucha point et la regarda à peine.

      – Il paraît que nous voulons ce qu'il y a de plus fin, – dit-il de ce ton railleur, qui avait, nous l'avons dit, donné un pli particulier à sa bouche – nous voulons la rencontre immédiate?

      – Suivie de mort, répondit l'inconnu, sans pouvoir, quelque puissance qu'il eût sur lui-même, dominer le léger tremblement qui agita sa voix.

      – Alors, nous n'avons plus qu'à nous informer du nom, de l'état et des habitudes de notre rival. Je compte agir loyalement, selon ma coutume, et c'est justement à cause de cela que j'ai besoin de connaître à fond la personne à laquelle je m'adresserai. Tout dépend, vous le savez, ou vous ne le savez pas, de la manière dont on engage le fer; or, on n'engage pas le fer avec un provincial nouvellement débarqué comme avec un brave reconnu, avec un godelureau comme avec un garde du roi, ou de M. le cardinal. Si, pas renseigné du tout, ou mal renseigné par vous, j'allais mal engager le fer, et qu'au lieu de tuer votre rival, ce fût votre rival qui me tuât, cela ne ferait ni votre affaire ni la mienne, puis enfin vous êtes trop juste pour ne pas savoir que les risques auxquels on s'expose ne sont pas tous dans la rencontre même, et que ces risques sont d'autant plus grands que l'on s'adresse plus haut. Le moins qui puisse m'arriver, si l'affaire fait un peu de bruit, c'est d'aller passer quelques mois dans une bastille. Or, dans les lieux humides et malsains, où les cordiaux sont chers, vous ne pouvez exiger que je me soigne à mes frais! Toutes ces considérations doivent entrer en ligne de compte. Ah! s'il ne s'agissait que d'être votre second, et si vous courriez les mêmes risques que moi, je serais plus coulant; mais vous ne comptez pas dégainer, n'est-ce pas? poursuivit assez dédaigneusement le spadassin.

      – Non, pour cette fois, cela m'est impossible, et je vous donne ma foi de gentilhomme que j'en suis aux regrets.

      Cette réponse, au reste, fut faite d'un ton si ferme et si calme tout à la fois, si éloigné en même temps de toute faiblesse et de toute forfanterie, que Latil commença de soupçonner qu'il s'était mépris et qu'il conversait avec un homme qui, si chétive que fût sa mine, et si mauvaise que fût son apparence, n'eût point eu, pour se venger, recours à l'épée d'un autre, si de graves considérations n'eussent pas retenu la sienne au fourreau. Cette bonne opinion, que le spadassin commençait à prendre de son interlocuteur, s'augmenta encore lorsqu'à la suite de cette explication, il laissa négligemment tomber ces mots:

      – Quant à la question de vingt, de trente, de cinquante pistoles de plus ou de moins, je sais ce qui est juste et je n'aurai pas de contestation là-dessus.

      – Alors, achevons, dit maître Etienne, quel est votre ennemi? Quand et comment faudra-t-il l'attaquer? – Mais, son nom d'abord?

      – Son nom importe peu, répondit l'homme au manteau, nous irons ce soir ensemble rue de la Cerisaie, je vous montrerai la porte du logis d'où il sortira, vers deux heures après minuit, vous l'attendrez, et comme lui seul pourra sortir à une heure si avancée de la nuit, une méprise est impossible; d'ailleurs je vous indiquerai les signes auxquels vous

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