Voyage en Espagne. Gautier Théophile

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Voyage en Espagne - Gautier Théophile

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une espèce d'instrument appelé media luna (demi-lune), qui lui coupe les jarrets de derrière et le rend incapable de toute résistance; alors ce n'est plus un combat, mais une boucherie dégoûtante. Il arrive souvent que le matador manque son coup: l'épée rencontre un os et rejaillit, ou bien elle pénètre dans le gosier et fait vomir au taureau le sang à gros bouillons, ce qui est une faute grave selon les lois de la tauromaquia. Si au second coup la bête n'est pas achevée, l'espada est couvert de huées, de sifflets et d'injures, car le public espagnol est impartial; il applaudit le taureau et l'homme selon leurs mérites réciproques. Si le taureau éventre un cheval et renverse un homme: Bravo toro! si c'est l'homme qui blesse le taureau: Bravo torero! mais il ne souffre la lâcheté ni dans l'homme ni dans la bête. Un pauvre diable, qui n'osait pas aller poser les banderillas à un taureau, extrêmement féroce, excita un tel tumulte qu'il fallut que l'alcade promît de le faire mettre en prison pour que l'ordre se rétablît.

      Dans cette même course, Sevilla, qui est un écuyer admirable, fut très-applaudi pour le trait suivant: un taureau d'une force extraordinaire prit son cheval sous le ventre, et, relevant la tête, lui fit quitter terre complètement. Sevilla, dans cette position périlleuse, ne vacilla même pas sur sa selle, ne perdit pas les étriers, et tint si bien son cheval qu'il retomba sur les quatre pieds.

      La course avait été bonne: huit taureaux, quatorze chevaux tués, un chulo blessé légèrement; on ne pouvait souhaiter rien de mieux. Chaque course doit rapporter vingt ou vingt-cinq mille francs; c'est une concession faite par la reine au grand hôpital, où les toreros blessés trouvent tous les secours imaginables; un prêtre et un médecin se tiennent dans une chambre à la plaza de Toros, prêts à administrer, l'un les remèdes de l'âme, l'autre les remèdes du corps; l'on disait autrefois, et je crois bien que l'on dit encore une messe à leur intention pendant la course. Vous voyez bien que rien n'est négligé, et que les impresarios sont gens de prévoyance. Le dernier taureau tué, tout le monde saute dans l'arène pour le voir de plus près, et les spectateurs se retirent en dissertant sur le mérite des différents suertes ou cogidas qui les ont le plus frappés. Et les femmes, me direz-vous, comment sont-elles? car c'est là une des premières questions que l'on adresse à un voyageur. Je vous avoue que je n'en sais rien. Il me semble vaguement qu'il y en avait de fort jolies auprès de moi, mais je ne l'affirmerai pas.

      Allons au Prado pour éclaircir ce point important.

      VIII.

      LE PRADO. – LA MANTILLE ET L'ÉVENTAIL. – TYPE ESPAGNOL. – MARCHANDS D'EAU; CAFÉS DE MADRID. – JOURNAUX. – LES POLITIQUES DE LA PUERTA DEL SOL. – HÔTEL DES POSTES. – LES MAISONS DE MADRID. – TERTULIAS; SOCIÉTÉ ESPAGNOLE. – LE THÉÂTRE DEL PRINCIPE. – PALAIS DE LA REINE, DES CORTES, ET MONUMENT DU DOS DE MAYO. – L'ARMERIA, LE BUEN RETIRO

      Quand on parle de Madrid, les deux premières idées que ce mot éveille dans l'imagination sont le Prado et la Puerta del Sol: puisque nous sommes tout portés, allons au Prado, c'est l'heure où la promenade commence. Le Prado, composé de plusieurs allées et contre-allées, avec une chaussée au milieu pour les voitures, est ombragé par des arbres écimés et trapus, dont le pied baigne dans un petit bassin entouré de briques où des rigoles amènent l'eau aux heures de l'arrosement; sans cette précaution ils seraient bientôt dévorés par la poussière et grillés par le soleil. La promenade commence au couvent d'Atocha, passe devant la porte de ce nom, la porte d'Alcala, et se termine à la porte des Récollets. Mais le beau monde se tient dans un espace circonscrit par la fontaine de Cybèle et celle de Neptune, depuis la porte d'Alcala jusqu'à la Carrera de San-Jeronimo. C'est là que se trouve un grand espace appelé salon, tout bordé de chaises, comme la grande allée des Tuileries; du côté du salon, il y a une contre-allée qui porte le nom de Paris; c'est le boulevard de Gand du lieu, le rendez-vous de la fashion de Madrid; et, comme l'imagination des fashionables ne brille pas précisément par le pittoresque, ils ont choisi l'endroit le plus poussiéreux, le moins ombragé, le moins commode de toute la promenade. La foule est si grande dans cet étroit espace, resserré entre le salon et la chaussée des voitures, qu'on a souvent peine à porter la main à sa poche pour prendre son mouchoir; il faut emboîter le pas et suivre la file comme à une queue de théâtre (au temps où les théâtres avaient des queues). La seule raison qui puisse avoir fait adopter cette place, c'est qu'on y peut voir et saluer les gens qui passent en calèche sur la chaussée (il est toujours honorable pour un piéton de saluer une voiture). Les équipages ne sont pas très-brillants; la plupart sont traînés par des mules dont le poil noirâtre, le gros ventre et les oreilles pointues sont de l'effet le plus disgracieux; on dirait les voitures de deuil qui suivent les corbillards: le carrosse de la reine elle-même n'a rien que de très-simple et de très-bourgeois. Un Anglais un peu millionnaire le dédaignerait assurément; sans doute, il y a quelques exceptions, mais elles sont rares. Ce qui est charmant, ce sont les beaux chevaux de selle andalous, sur lesquels se pavanent les merveilleux de Madrid. Il est impossible de voir quelque chose de plus élégant, de plus noble et de plus gracieux qu'un étalon andalou avec sa belle crinière dressée, sa longue queue bien fournie qui descend jusqu'à terre, son harnais orné de houppes rouges, sa tête busquée, son œil étincelant et son cou renflé en gorge de pigeon. J'en ai vu un monté par une femme qui était rose (le cheval et non la femme) comme une rose du Bengale glacée d'argent, et d'une beauté merveilleuse. Quelle différence entre ces nobles bêtes qui ont conservé leur belle forme primitive et ces machines locomotives en muscles et en os, qu'on appelle des coureurs anglais, et qui n'ont plus du cheval que quatre jambes et une épine dorsale pour poser un jockey!

      Le coup d'œil du Prado est réellement un des plus animés qui se puissent voir, et c'est une des plus belles promenades du monde, non pour le site qui est des plus ordinaires, malgré tous les efforts que Charles III a pu faire pour en corriger la défectuosité, mais à cause de l'affluence étonnante qui s'y porte tous les soirs, de sept heures et demie à dix heures.

      On voit très-peu de chapeaux de femme au Prado; à l'exception de quelques galettes jaune soufre, qui ont dû orner autrefois des ânes instruits, il n'y a que des mantilles. La mantille espagnole est donc une vérité; j'avais pensé qu'elle n'existait plus que dans les romances de M. Crevel de Charlemagne: elle est en dentelles noires ou blanches, plus habituellement noires, et se pose à l'arrière de la tête sur le haut du peigne; quelques fleurs placées sur les tempes complètent cette coiffure qui est la plus charmante qui se puisse imaginer. Avec une mantille, il faut qu'une femme soit laide comme les trois vertus théologales pour ne pas paraître jolie; malheureusement c'est la seule partie du costume espagnol que l'on ait conservée: le reste est à la française. Les derniers plis de la mantille flottent sur un châle, un odieux châle, et le châle lui-même est accompagné d'une robe d'étoffe quelconque, qui ne rappelle en rien la basquine. Je ne puis m'empêcher d'être étonné d'un pareil aveuglement, et je ne comprends pas que les femmes, ordinairement clairvoyantes en ce qui concerne leur beauté, ne s'aperçoivent pas que leur suprême effort d'élégance arrive tout au plus à les faire ressembler à une merveilleuse de province, résultat médiocre. L'ancien costume est si parfaitement approprié au caractère de beauté, aux proportions et aux habitudes des Espagnoles, qu'il est vraiment le seul possible. L'éventail corrige un peu cette prétention au parisianisme. Une femme sans éventail est une chose que je n'ai pas encore vue en ce bienheureux pays; j'en ai vu qui avaient des souliers de satin sans bas, mais elles avaient un éventail; l'éventail les suit partout, même à l'église où vous rencontrez des groupes de femmes de tout âge, agenouillées ou accroupies sur leurs talons, qui prient et s'éventent avec ferveur, entremêlant le tout de signes de croix espagnols qui sont beaucoup plus compliqués que les nôtres, et qu'elles exécutent avec une précision et une rapidité dignes de soldats prussiens. Manœuvrer l'éventail est un art totalement inconnu en France. Les Espagnoles y excellent; l'éventail s'ouvre, se ferme, se retourne dans leurs doigts si vivement, si légèrement, qu'un prestidigitateur ne ferait pas mieux. Quelques élégantes en forment des collections du plus grand prix; nous en avons vu une qui en comptait plus de cent de différents styles; il y en avait

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