Voyage en Espagne. Gautier Théophile

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Voyage en Espagne - Gautier Théophile

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la Vieille-Castille; au delà, c'est la Castille-Nouvelle.

      La fantaisie de cueillir une délicieuse fleur rose dont j'ignore l'appellation botanique et qui croît dans les fentes du grès, nous fit monter sur une roche qu'on nous dit être l'endroit où s'asseyait Philippe II pour regarder à quel point en étaient les travaux de l'Escurial. Ou la tradition est apocryphe, ou Philippe avait des yeux diablement bons.

      La voiture qui rampait péniblement le long des pentes escarpées nous rejoignit enfin. L'on détela les bœufs et l'on descendit le versant au galop: on s'arrêta pour dîner à Guadarrama, petit village accroupi au pied de la montagne, qui n'a pour tout monument qu'une fontaine de granit érigée par Philippe II. À Guadarrama, par un renversement bizarre de l'ordre naturel des plats, on nous servit pour dessert une soupe au lait de chèvre.

      Madrid est, comme Rome, entouré d'une campagne déserte, d'une aridité, d'une sécheresse et d'une désolation dont rien ne peut donner l'idée: pas un arbre, pas une goutte d'eau, pas une plante verte, pas une apparence d'humidité, rien que du sable jaune et des roches gris de fer. En s'éloignant de la montagne, ce ne sont plus même des roches, mais de grosses pierres; de loin en loin une venta poussiéreuse, un clocher couleur de liège qui montre son nez au bord de l'horizon, de grands bœufs à l'air mélancolique traînant de ces chariots dont nous avons déjà donné la description; un paysan à cheval ou à mule, avec sa carabine à l'arçon, le sombrero sur les yeux et la mine farouche; ou bien encore de longues files d'ânes blanchâtres portant de la paille hachée, ficelée avec des résilles de cordelettes; et c'est tout: l'âne qui marche en tête, l'âne coronel, a toujours un petit plumet ou un pompon qui marque sa supériorité dans la hiérarchie de la gent à longues oreilles.

      Au bout de quelques heures, que l'impatience d'arriver rendait plus longues encore, nous aperçûmes enfin Madrid assez distinctement. Quelques minutes après, nous entrions dans la capitale de l'Espagne par la puerta de Hierro: la voiture suivit d'abord une avenue plantée d'arbres écimés et trapus, et côtoyée de tourelles de briques qui servent à élever l'eau. À propos d'eau, quoique cette transition ne soit pas heureuse, j'oubliais de vous dire que nous avions traversé le Manzanarès sur un pont digne d'une rivière plus sérieuse; puis nous longeâmes le palais de la reine, qui est un de ces édifices que l'on est convenu d'appeler de bon goût. Les immenses terrasses qui l'exhaussent lui donnent une apparence assez grandiose.

      Après avoir subi la visite de la douane, nous allâmes nous installer tout près de la calle d'Alcala et du Prado, calle del Caballero de Gracia, dans la fonda de la Amistad, où logeait précisément madame Espartero, duchesse de la Victoire, et nous n'eûmes rien de plus pressé que d'envoyer Manuel, notre domestique de place, aficionado et tauromaquiste consommé, nous prendre des billets pour la prochaine course aux taureaux.

      VII.

      COURSES DE TAUREAUX. – SEVILLA LE PICADOR. – LA ESTOCADA À VUELA PIÉS

      Il fallait encore attendre deux jours. Jamais jours ne me semblèrent plus longs, et je relus plus de dix fois, pour tromper mon impatience, l'affiche apposée au coin des principales rues; l'affiche promettait monts et merveilles: huit taureaux des plus fameux pâturages; Sevilla et Antonio Rodriguez, picadores; Juan Pastor, qu'on appelle aussi el Barbero, et Guillen, espadas; le tout avec défense au public de jeter dans l'arène des écorces d'orange et autres projectiles capables de nuire aux combattants.

      On n'emploie guère en Espagne le mot matador pour désigner celui qui tue le taureau, on l'appelle espada (épée), ce qui est plus noble et a plus de caractère; l'on ne dit pas non plus toreador, mais bien torero. Je donne, en passant, cet utile renseignement à ceux qui font de la couleur locale dans les romances et dans les opéras-comiques. La course se nomme media corrida, demi-course, parce qu'autrefois il y en avait deux tous les lundis, l'une le matin, l'autre à cinq heures du soir, ce qui faisait la course entière: la course du soir est seule conservée.

      L'on a dit et répété de toutes parts que le goût des courses de taureaux se perdait en Espagne, et que la civilisation les ferait bientôt disparaître; si la civilisation fait cela, ce sera tant pis pour elle, car une course de taureaux est un des plus beaux spectacles que l'homme puisse imaginer; mais ce jour-là n'est pas encore arrivé, et les écrivains sensibles qui disent le contraire n'ont qu'à se transporter un lundi, entre quatre et cinq heures, à la porte d'Alcala, pour se convaincre que le goût de ce féroce divertissement n'est pas encore près de se perdre.

      Le lundi, jour de taureaux, dia de toros, est un jour férié; personne ne travaille, toute la ville est en rumeur; ceux qui n'ont pas encore pris leurs billets marchent à grands pas vers la calle de Carretas, où est situé le bureau de location, dans l'espoir de trouver quelque place vacante; car, disposition qu'on ne saurait trop louer, cet énorme amphithéâtre est entièrement numéroté et divisé en stalles, usage que l'on devrait bien imiter dans les théâtres de France. La calle de Alcala, qui est l'artère où viennent se dégorger les rues populeuses de la ville, est pleine de piétons, de cavaliers et de voitures; c'est pour cette solennité que sortent de leurs remises poudreuses les calessines et les carrioles les plus baroques et les plus extravagantes, et que se produisent au jour les attelages les plus fantastiques, les mules les plus phénoménales. Les calessines rappellent les corricoli de Naples: de grandes roues rouges, une caisse sans ressorts, ornée de peintures plus ou moins allégoriques, et doublée de vieux damas ou de serge passée avec des franges et des effilés de soie et par là-dessus un certain air rococo de l'effet le plus amusant; le conducteur est assis sur le brancard, d'où il peut haranguer et bâtonner sa mule tout à son aise, et laisse ainsi une place de plus à ses pratiques. La mule est enjolivée d'autant de plumets, de pompons, de houppes, de franges et de grelots qu'il est possible d'en accrocher aux harnais d'un quadrupède quelconque. Un calessin contient ordinairement une manola et son amie, avec son manolo, sans préjudice d'une grappe de muchachos pendue à l'arrière-train. Tout cela va comme le vent dans un tourbillon de cris et de poussière. Il y a aussi des carrosses à quatre ou cinq mules dont on ne trouve plus les équivalents que dans les tableaux de Van der Meulen représentant les conquêtes et les chasses de Louis XIV. Tous les véhicules sont mis à contribution, car le grand genre parmi les manolas, qui sont les grisettes de Madrid, est d'aller en calessine à la plaza de Toros; elles mettent leur matelas en gage pour avoir de l'argent ce jour-là, et, sans être précisément vertueuses le reste de la semaine, elles le sont à coup sûr beaucoup moins le dimanche et le lundi. On voit aussi des gens de la campagne qui arrivent à cheval, la carabine à l'arçon de la selle; d'autres sur des ânes, seuls ou avec leurs femmes; tout cela sans compter les calèches des gens du grand monde, et une foule d'honnêtes citadins et de señoras en mantille qui se hâtent et pressent le pas; car voici le détachement de garde nationale à cheval qui s'avance, trompettes en tête, pour faire évacuer l'arène, et, pour rien au monde, on ne voudrait manquer l'évacuation de l'arène et la fuite précipitée de l'alguazil, quand il a jeté au garçon de combat la clef du toril où sont enfermés les gladiateurs à cornes. Le toril fait face au matadero, où l'on écorche les bêtes abattues. Les taureaux sont amenés de la veille et nuitamment dans un pré voisin de Madrid, que l'on nomme el arroyo, but de promenade pour les aficionados, promenade qui n'est pas sans quelque danger, car les taureaux sont en liberté, et leurs conducteurs ont fort à faire de les garder. Ensuite on les fait entrer dans l'encierro (l'étable du cirque), au moyen de vieux bœufs habitués à cette fonction et que l'on mêle au troupeau farouche.

      La plaza de Toros est située à main gauche en dehors de la porte d'Alcala qui, par parenthèse, est une assez belle porte, en manière d'arc de triomphe, avec des trophées et d'autres ornements héroïques; c'est un cirque énorme qui n'a rien de remarquable à l'extérieur et dont les murailles sont blanchies à la chaux; comme tout le monde a son billet pris d'avance, l'entrée s'effectue sans le moindre désordre. Chacun grimpe à sa place

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