Robinson Crusoe. II. Defoe Daniel
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Nous quittâmes l'Irlande le 5 février, à la faveur d'un joli frais qui dura quelques jours. – Autant que je me le rappelle, c'était vers le 20 février, un soir, assez tard, le second, qui était de quart, entra dans la chambre du Conseil, et nous dit qu'il avait vu une flamme et entendu un coup de canon; et tandis qu'il nous parlait de cela, un mouce vint nous avertir que le maître d'équipage en avait entendu un autre. Là-dessus nous courûmes touts sur le gaillard d'arrière, où nous n'entendîmes rien; mais au bout de quelques minutes nous vîmes une grande lueur, et nous reconnûmes qu'il y avait au loin un feu terrible. Immédiatement nous eûmes recours à notre estime, et nous tombâmes touts d'accord que du côté où l'incendie se montrait il ne pouvait y avoir de terre qu'à non moins 500 lieues, car il apparaissait à l'Ouest-Nord-Ouest. Nous conclûmes alors que ce devait être quelque vaisseau incendié en mer, et les coups de canon que nous venions d'entendre nous firent présumer qu'il ne pouvait être loin. Nous fîmes voile directement vers lui, et nous eûmes bientôt la certitude de le découvrir; parce que plus nous cinglions, plus la flamme grandissait, bien que de long-temps, le ciel étant brumeux, nous ne pûmes appercevoir autre chose que cette flamme. – Au bout d'une demi-heure de bon sillage, le vent nous étant devenu favorable, quoique assez faible, et le temps s'éclaircissant un peu, nous distinguâmes pleinement un grand navire en feu au milieu de la mer.
Je fus sensiblement touché de ce désastre, encore que je ne connusse aucunement les personnes qui s'y trouvaient plongées. Je me représentai alors mes anciennes infortunes, l'état où j'étais quand j'avais été recueilli par le capitaine portugais, et combien plus déplorable encore devait être celui des malheureuses gens de ce vaisseau, si quelque autre bâtiment n'allait avec eux de conserve. Sur ce, j'ordonnai immédiatement de tirer cinq coups de canon coup sur coup, à dessein de leur faire savoir, s'il était possible, qu'ils avaient du secours à leur portée, et afin qu'ils tâchassent de se sauver dans leur chaloupe; car, bien que nous pussions voir la flamme dans leur navire, eux cependant, à cause de la nuit, ne pouvaient rien voir de nous.
Nous étions en panne depuis quelque temps, suivant seulement à la dérive le bâtiment embrasé, en attendant le jour quand soudain, à notre grande terreur, quoique nous eussions lieu de nous y attendre, le navire sauta en l'air, et s'engloutit aussitôt. Ce fut terrible, ce fut un douloureux spectacle, par la compassion qu'il nous donna de ces pauvres gens, qui, je le présumais, devaient touts avoir été détruits avec le navire ou se trouver dans la plus profonde détresse, jetés sur leur chaloupe au milieu de l'Océan: alternative d'où je ne pouvais sortir à cause de l'obscurité de la nuit. Toutefois, pour les diriger de mon mieux, je donnai l'ordre de suspendre touts les fanaux que nous avions à bord, et on tira le canon toute la nuit. Par là nous leur faisions connaître qu'il y avait un bâtiment dans ce parage.
Vers huit heures du matin, à l'aide de nos lunettes d'approche, nous découvrîmes les embarcations du navire incendié, et nous reconnûmes qu'il y en avait deux d'entre elles encombrées de monde, et profondément enfoncées dans l'eau. Le vent leur étant contraire, ces pauvres gens ramaient, et, nous ayant vus, ils faisaient touts leurs efforts pour se faire voir aussi de nous.
Nous déployâmes aussitôt notre pavillon pour leur donner à connaître que nous les avions apperçus, et nous leur adressâmes un signal de ralliement; puis nous forçâmes de voile, portant le cap droit sur eux. En un peu plus d'une demi-heure nous les joignîmes, et, bref, nous les accueillîmes touts à bord; ils n'étaient pas moins de soixante-quatre, tant hommes que femmes et enfants; car il y avait un grand nombre de passagers.
Enfin nous apprîmes que c'était un vaisseau marchand français de 300 tonneaux, s'en retournant de Québec, sur la rivière du Canada. Le capitaine nous fit un long récit de la détresse de son navire. Le feu avait commencé à la timonerie, par la négligence du timonier. À son appel au secours il avait été, du moins tout le monde le croyait-il, entièrement éteint. Mais bientôt on s'était apperçu que quelques flammèches avaient gagné certaines parties du bâtiment, où il était si difficile d'arriver, qu'on n'avait pu complètement les éteindre. Ensuite le feu, s'insinuant entre les couples et dans le vaigrage du vaisseau, s'était étendu jusqu'à la cale, et avait bravé touts les efforts et toute l'habileté qu'on avait pu faire éclater.
Ils n'avaient eu alors rien autre à faire qu'à se jeter dans leurs embarcations, qui, fort heureusement pour eux, se trouvaient assez grandes. Ils avaient leur chaloupe, un grand canot et de plus un petit esquif qui ne leur avait servi qu'à recevoir des provisions et de l'eau douce, après qu'ils s'étaient mis en sûreté contre le feu. Toutefois ils n'avaient que peu d'espoir pour leur vie en entrant dans ces barques à une telle distance de toute terre; seulement, comme ils le disaient bien, ils avaient échappé au feu, et il n'était pas impossible qu'un navire les rencontrât et les prit à son bord.
LE VAISSEAU INCENDIÉ
Ils avaient des voiles, des rames et une boussole, et se préparaient à mettre le cap en route sur Terre-Neuve, le vent étant favorable, car il soufflait un joli frais Sud-Est quart-Est. Ils avaient en les ménageant assez de provisions et d'eau pour ne pas mourir de faim pendant environ douze jours, au bout desquels s'ils n'avaient point de mauvais temps et de vents contraires, le capitaine disait qu'il espérait atteindre les bancs de Terre-Neuve, où ils pourraient sans doute pêcher du poisson pour se soutenir jusqu'à ce qu'ils eussent gagné la terre. Mais il y avait dans touts les cas tant de chances contre eux, les tempêtes pour les renverser et les engloutir, les pluies et le froid pour engourdir et geler leurs membres, les vents contraires pour les arrêter et les faire périr par la famine, que s'ils eussent échappé c'eût été presque miraculeux.
Au milieu de leurs délibérations, comme ils étaient touts abattus et prêts à se désespérer, le capitaine me conta, les larmes aux yeux, que soudain ils avaient été surpris joyeusement en entendant un coup de canon, puis quatre autres. C'étaient les cinq coups de canon que j'avais fait tirer aussitôt que nous eûmes apperçu la lueur. Cela les avait rendus à leur courage, et leur avait fait savoir, – ce qui, je l'ai dit précédemment, était mon dessein, – qu'il se trouvait là un bâtiment à portée de les secourir.
En entendant ces coups de canon ils avaient calé leurs mâts et leurs voiles; et, comme le son venait du vent, ils avaient résolu de rester en panne jusqu'au matin. Ensuite, n'entendant plus le canon, ils avaient à de longs intervalles déchargé trois mousquets; mais, comme le vent nous était contraire, la détonation s'était perdue.
Quelque temps après ils avaient été encore plus agréablement surpris par la vue de nos fanaux et par le bruit du canon, que j'avais donné l'ordre de tirer tout le reste de la nuit. À ces signaux ils avaient forcé de rames pour maintenir leurs embarcations debout-au-vent, afin que nous pussions les joindre plus tôt, et enfin, à leur inexprimable joie, ils avaient reconnu que nous les avions découverts.
Il m'est impossible de peindre les différents gestes, les extases étranges, la diversité de postures, par lesquels ces pauvres gens, à une délivrance si inattendue, manifestaient la joie de leurs âmes. L'affliction et la crainte se peuvent décrire aisément: des soupirs, des gémissements et quelques mouvements de tête et de mains en font toute la variété; mais une surprise de joie, mais un excès de joie entraîne à mille extravagances. – Il y en avait en larmes, il y en avait qui faisaient rage et se déchiraient eux-mêmes comme s'ils eussent été dans la plus douloureuse agonie; quelques-uns, tout-à-fait en délire, étaient