Robinson Crusoe. II. Defoe Daniel

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Robinson Crusoe. II - Defoe Daniel

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qu'ils venaient d'accomplir, ils abordèrent les Espagnols par manière de bravade et comme pour les narguer, et ils leur dirent ce qu'ils avaient fait; l'un d'entre eux même, s'approchant de l'un des Espagnols, comme un polisson qui jouerait avec un autre, lui ôta son chapeau de dessus la tête, et, le faisant pirouetter, lui dit en lui riant au nez: – «Et vous aussi, señor Jack Espagnol, nous vous mettrons à la même sauce si vous ne réformez pas vos manières.» – L'Espagnol, qui, quoique doux et pacifique, était aussi brave qu'un homme peut désirer de l'être, et, d'ailleurs, fortement constitué, le regarda fixement pendant quelques minutes; puis, n'ayant à la main aucune arme, il s'approcha gravement de lui, et d'un coup du poing l'étendit par terre comme un boucher abat un bœuf; sur quoi l'un des bandits, aussi scélérat que le premier, fit feu de son pistolet sur l'Espagnol. Il le manqua, il est vrai, car les balles passèrent dans ses cheveux; mais il y en eut une qui lui toucha le bout de l'oreille et le fit beaucoup saigner. La vue de son sang fit croire à l'Espagnol qu'il avait plus de mal qu'il n'en avait effectivement; et il commença à s'échauffer, car jusque là il avait agi avec le plus grand sang-froid; mais, déterminé d'en finir, il se baissa, et, ramassant le mousquet de celui qu'il avait étendu par terre, il allait coucher en joue l'homme qui avait fait feu sur lui, quand le reste des Espagnols qui se trouvaient dans la grotte sortirent, lui crièrent de ne pas tirer, et, s'étant avancés, s'assurèrent des deux autres Anglais en leur arrachant leurs armes.

      Quand ils furent ainsi désarmés, et lorsqu'ils se furent apperçus qu'ils s'étaient fait des ennemis de touts les Espagnols, comme ils s'en étaient fait de leurs propres compatriotes, ils commencèrent dès lors à se calmer, et, baissant le ton, demandèrent qu'on leur rendit leurs armes; mais les Espagnols, considérant l'inimitié qui régnait entre eux et les deux autres Anglais, et pensant que ce qu'il y aurait de mieux à faire serait de les séparer les uns des autres, leur dirent qu'on ne leur ferait point de mal et que s'ils voulaient vivre paisiblement ils ne demandaient pas mieux que de les aider et d'avoir des rapports avec eux comme auparavant; mais qu'on ne pouvait penser à leur rendre leurs armes lorsqu'ils étaient résolus à s'en servir contre leurs compatriotes, et les avaient même menacés de faire d'eux touts des esclaves.

      Les coquins n'étaient pas alors plus en état d'entendre raison que d'agir raisonnablement; mais, voyant qu'on leur refusait leurs armes, ils s'en allèrent en faisant des gestes extravagants, et comme fous de rage, menaçant, bien que sans armes à feu, de faire tout le mal en leur pouvoir. Les Espagnols, méprisant leurs menaces, leur dirent de se bien garder de causer le moindre dommage à leurs plantations ou à leur bétail; que s'ils s'avisaient de le faire ils les tueraient à coups de fusil comme des bêtes féroces partout où ils les trouveraient; et que s'ils tombaient vivants entre leurs mains, ils pouvaient être sûrs d'être pendus. Il s'en fallut toutefois que cela les calmât, et ils s'éloignèrent en jurant et sacrant comme des échappés de l'enfer. Aussitôt qu'ils furent partis, vinrent les deux autres, enflammés d'une colère et possédés d'une rage aussi grandes, quoique d'une autre nature: ce n'était pas sans motif, car, ayant été à leur plantation, ils l'avaient trouvée toute démolie et détruite; à peine eurent-ils articulé leurs griefs, que les Espagnols leur dirent les leurs, et touts s'étonnèrent que trois hommes en bravassent ainsi dix-neuf impunément.

      Les Espagnols les méprisaient, et, après les avoir ainsi désarmés, firent peu de cas de leurs menaces; mais les deux Anglais résolurent de se venger, quoi qu'il pût leur en coûter pour les trouver.

      Ici les Espagnols s'interposèrent également, et leur dirent que leurs adversaires étant déjà désarmés, ils ne pouvaient consentir à ce qu'ils les attaquassent avec des armes à feu et les tuassent peut-être. – «Mais, dit le grave Espagnol qui était leur gouverneur, nous ferons en sorte de vous faire rendre justice si vous voulez vous en rapporter à nous; il n'est pas douteux que lorsque leur colère sera appaisée ils reviendront vers nous, incapables qu'ils sont de subsister sans notre aide; nous vous promettons alors de ne faire avec eux ni paix ni trêve qu'ils ne vous aient donné pleine satisfaction; à cette condition, nous espérons que vous nous promettrez de votre côté de ne point user de violence à leur égard, si ce n'est dans le cas de légitime défense.

      Les deux Anglais cédèrent à cette invitation de mauvaise grâce et avec beaucoup de répugnance; mais les Espagnols protestèrent qu'en agissant ainsi ils n'avaient d'autre but que d'empêcher l'effusion du sang, et de rétablir l'harmonie parmi eux: – «Nous sommes bien peu nombreux ici, dirent-ils, il y a place pour nous touts, et il serait dommage que nous ne fussions pas touts bons amis.» – À la fin les Anglais consentirent, et en attendant le résultat, demeurèrent quelques jours avec les Espagnols, leur propre habitation étant détruite.

      Au bout d'environ trois jours les trois exilés, fatigués d'errer çà et là et mourant presque de faim, – car ils n'avaient guère vécu dans cet intervalle que d'œufs de tortues, – retournèrent au bocage. Ayant trouvé mon Espagnol qui, comme je l'ai dit, était le gouverneur, se promenant avec deux autres sur le rivage, ils l'abordèrent d'un air humble et soumis, et demandèrent en grâce d'être de nouveau admis dans la famille. Les Espagnols les accueillirent avec politesse; mais leur déclarèrent qu'ils avaient agi d'une manière si dénaturée envers les Anglais leurs compatriotes, et d'une façon si incivile envers eux, – les Espagnols – , qu'ils ne pouvaient rien conclure sans avoir préalablement consulté les deux Anglais et le reste de la troupe; qu'ils allaient les trouver, leur en parler, et que dans une demi-heure ils leur feraient connaître le résultat de leur démarche. Il fallait que les trois coupables fussent réduits à une bien rude extrémité, puisque, obligés d'attendre la réponse pendant une demi-heure, ils demandèrent qu'on voulût bien dans cet intervalle leur faire donner du pain; ce qui fut fait: on y ajouta même un gros morceau du chevreau et un perroquet bouilli, qu'ils mangèrent de bon appétit, car ils étaient mourants de faim.

      SOUMISSION DES TROIS VAURIENS

      Après avoir tenu conseil une demi-heure, on les fit entrer, et il s'engagea à leur sujet un long débat: leurs deux compatriotes les accusèrent d'avoir anéanti le fruit de leur travail et formé le dessein de les assassiner: toutes choses qu'ils avaient avouées auparavant et que par conséquent ils ne pouvaient nier actuellement; alors les Espagnols intervinrent comme modérateurs; et, de même qu'ils avaient obligé les deux Anglais à ne point faire de mal aux trois autres pendant que ceux-ci étaient nus et désarmés, de même maintenant ils obligèrent ces derniers à aller rebâtir à leurs compatriotes deux huttes, l'une devant être de la même dimension, et l'autre plus vaste que les premières; comme aussi à rétablir les clôtures qu'ils avaient arrachées, à planter des arbres à la place de ceux qu'ils avaient déracinés, à bêcher le sol pour y semer du blé là où ils avaient endommagé la culture; en un mot, à rétablir toutes choses en l'état où ils les avaient trouvées, autant du moins que cela se pouvait; car ce n'était pas complètement possible: on ne pouvait réparer le temps perdu dans la saison du blé, non plus que rendre les arbres et les haies ce qu'ils étaient.

      Ils se soumirent à toutes ces conditions; et, comme pendant ce temps on leur fournit des provisions en abondance, ils devinrent très-paisibles, et la bonne intelligence régna de nouveau dans la société; seulement on ne put jamais obtenir de ces trois hommes de travailler pour eux-mêmes, si ce n'est un peu par ci, par là, et selon leur caprice. Toutefois les Espagnols leur dirent franchement que, pourvu qu'ils consentissent à vivre avec eux d'une manière sociable et amicale, et à prendre en général le bien de la plantation à cœur, on travaillerait pour eux, en sorte qu'ils pourraient se promener et être oisifs tout à leur aise. Ayant donc vécu en paix pendant un mois ou deux, les Espagnols leur rendirent leurs armes, et leur donnèrent la permission de les porter dans leurs excursions comme par le passé.

      Une semaine s'était à peine écoulée depuis qu'ils avaient repris possession de leurs armes et recommencé leurs courses, que ces hommes ingrats se montrèrent aussi insolents et aussi peu supportables qu'auparavant; mais sur ces entrefaites un incident survint qui mit en péril la vie de tout le monde, et qui les força de déposer tout ressentiment particulier,

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