La dame de Monsoreau — Tome 2. Dumas Alexandre
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— Nous n'allons pas, compère, nous n'allons pas, dit Chicot en piquant son cheval.
— Comment! nous n'allons pas! s'écria le moine; mais nous ne quittons pas le trot!
— Au galop! au galop! dit le Gascon en faisant prendre cette allure à son cheval.
Panurge, entraîné par l'exemple, prit le galop, mais avec une rage mal déguisée, qui ne promettait rien de bon à son cavalier.
Les suffocations de Gorenflot redoublèrent.
— Dites donc, dites donc, monsieur Chicot, s'écria-t-il aussitôt qu'il put parler, vous appelez cela un voyage d'agrément; mais je ne m'amuse pas du tout, moi.
— En avant! en avant! répondit Chicot.
— Mais la côte est dure.
— Les bons cavaliers ne galopent qu'en montant.
— Oui, mais moi, je n'ai pas la prétention d'être un bon cavalier.
— Alors, restez en arrière.
— Non pas, ventrebleu! s'écria Gorenflot, pour rien au monde.
— Eh bien, alors, comme je vous le disais, en avant! en avant!
Et Chicot imprima à son cheval un degré de rapidité de plus.
— Voilà Panurge qui râle, cria Gorenflot, voilà Panurge qui s'arrête.
— Alors, adieu, compère, fit Chicot.
Gorenflot eut un instant envie de répondre de la même façon; mais il se rappela que ce cheval qu'il maudissait au fond du coeur et qui portait un homme si fantasque portait aussi la bourse qui était dans la poche de cet homme. Il se résigna donc, et, battant avec ses sandales les flancs de l'âne en fureur, il le força de reprendre le galop.
— Je tuerai mon pauvre Panurge, s'écria lamentablement le moine pour porter un coup décisif à l'intérêt de Chicot, puisqu'il ne paraissait avoir aucune influence sur sa sensibilité. Je le tuerai, bien sûr.
— Eh bien, tuez-le, compère, tuez-le, répondit Chicot, sans que cette observation, si importante que la jugeait Gorenflot, lui fît en aucune façon ralentir sa marche; tuez-le, nous achèterons une mule.
Comme s'il eût compris ces paroles menaçantes, l'âne quitta le milieu de la route, et vola dans un petit chemin latéral bien sec, où Gorenflot ne se fût point hasardé à marcher à pied.
— A moi, criait le moine, à moi, je vais rouler dans la rivière.
— Il n'y a aucun danger, dit Chicot: si vous tombez dans la rivière, je vous garantis que vous nagerez tout seul.
— Oh! murmura Gorenflot, j'en mourrai, c'est sûr. Et quand on pense que tout cela m'arrive parce que je suis somnambule!
Et le moine leva au ciel un regard qui voulait dire:
— Seigneur! Seigneur! quel crime ai-je donc commis pour que vous m'affligiez de cette infirmité?
Tout à coup Chicot, arrivé au sommet de la montée, arrêta son cheval d'un temps si court et si saccadé, que l'animal, surpris, plia sur ses jarrets de derrière au point que sa croupe toucha presque le sol.
Gorenflot, moins bon cavalier que Chicot, et qui, d'ailleurs, au lieu de bride, n'avait qu'une longe, Gorenflot, disons-nous, continua son chemin.
— Arrête, corboeuf! arrête, cria Chicot.
Mais l'âne s'était fait à l'idée de galoper, et l'idée d'un âne est chose tenace.
— Arrêteras-tu? cria Chicot, ou, foi de gentilhomme, je t'envoie une balle de pistolet.
— Quel diable d'homme est-ce là! se dit Gorenflot, et par quel animal a-t-il été mordu?
Puis, comme la voix de Chicot retentissait de plus en plus terrible, et que le moine croyait déjà entendre siffler la balle dont il était menacé, il exécuta une manoeuvre pour laquelle la manière dont il était placé lui donnait la plus grande facilité, ce fut de se laisser glisser de sa monture à terre.
— Voilà! dit-il en se laissant bravement tomber sur son derrière et en se cramponnant des deux mains à la longe de son âne, qui lui fit faire quelques pas ainsi, mais qui finit enfin par s'arrêter.
Alors Gorenflot chercha Chicot pour recueillir sur son visage les marques de satisfaction qui ne pouvaient manquer de s'y peindre, à la vue d'une manoeuvre si habilement exécutée.
Chicot était caché derrière une roche, et continuait de là ses signaux et ses menaces.
Cette précaution fit comprendre au moine qu'il y avait quelque chose sous jeu. Il regarda en avant et aperçut à cinq cents pas sur la route trois hommes qui cheminaient tranquillement sur leurs mules. Au premier coup d'oeil, il reconnut les voyageurs qui étaient sortis le matin de Paris par la porte Bordelle, et que Chicot, à l'affût derrière son arbre, avait si ardemment suivis des yeux.
Chicot attendit dans la même posture que les trois voyageurs fussent hors de vue; puis, alors seulement, il rejoignit son compagnon, qui était resté assis à la même place où il était tombé, tenant toujours la longe de Panurge entre les mains.
— Ah çà! dit Gorenflot, qui commençait à perdre patience, expliquez-moi un peu, cher monsieur Chicot, le commerce que nous faisons: tout à l'heure il fallait courir ventre à terre, maintenant il faut demeurer court à l'endroit où nous sommes.
— Mon bon ami, dit Chicot, je voulais savoir si votre âne était de bonne race et si je n'avais pas été volé en le payant vingt-deux livres; maintenant l'expérience est faite, et je suis on ne peut plus satisfait.
Le moine ne fut pas dupe, comme on le comprend bien, d'une pareille réponse, et il se préparait à le faire voir à son compagnon, lorsque sa paresse naturelle l'emporta, lui soufflant à l'oreille de n'entrer dans aucune discussion.
Il se contenta donc de répondre, sans même cacher sa mauvaise humeur:
— N'importe, je suis fort las, et j'ai très-faim.
— Eh bien, qu'à cela ne tienne, reprit Chicot en frappant gaillardement sur l'épaule du frocard, moi aussi je suis las, moi aussi j'ai faim, et à la première hôtellerie que nous trouverons sur notre...
— Eh bien, demanda Gorenflot, qui avait peine à croire au retour qu'annonçaient les premières paroles du Gascon.
— Eh bien, dit celui-ci, nous commanderons une grillade de porc, un ou deux poulets fricassés et un broc du meilleur vin de la cave.
— Vraiment! reprit Gorenflot; est-ce bien sûr, cette fois? voyons.
— Je vous le promets, compère.
— Eh bien! alors, dit le moine