Le Chevalier de Maison-Rouge. Dumas Alexandre
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– C'est la proclamation de l'arrêté de la Commune, dit Lorin.
– Je cours à la section, dit Maurice en sautant à bas de son lit et en appelant son officieux pour le venir habiller.
– Et moi, je rentre me coucher, dit Lorin; je n'ai dormi que deux heures cette nuit, grâce à tes enragés volontaires. Si l'on ne se bat qu'un peu, tu me laisseras dormir; si l'on se bat beaucoup, tu viendras me chercher.
– Pourquoi donc t'es-tu fait si beau? demanda Maurice en jetant un coup d'œil sur Lorin, qui se levait pour se retirer.
– Parce que, pour venir chez toi, je suis forcé de passer rue Béthisy, et que, rue Béthisy, au troisième, il y a une fenêtre qui s'ouvre toujours quand je passe.
– Et tu ne crains pas qu'on te prenne pour un muscadin?
– Un muscadin, moi? Ah bien, oui, je suis connu, au contraire, pour un franc sans-culotte. Mais il faut bien faire quelque sacrifice au beau sexe. Le culte de la patrie n'exclut pas celui de l'amour; au contraire, l'un commande l'autre:
La République a décrété
Que des Grecs on suivrait les traces;
Et l'autel de la Liberté
Fait pendant à celui des Grâces.
Ose siffler celui-là, je te dénonce comme aristocrate, et je te fais raser de manière à ce que tu ne portes jamais perruque. Adieu, cher ami.
Lorin tendit cordialement à Maurice une main que le jeune secrétaire serra cordialement, et sortit en ruminant un bouquet à Chloris.
V
Quel homme c'était que le citoyen Maurice Lindey
Tandis que Maurice Lindey, après s'être habillé précipitamment, se rend à la section de la rue Lepelletier, dont il est, comme on le sait, secrétaire, essayons de retracer aux yeux du public les antécédents de cet homme, qui s'est produit sur la scène par un de ces élans de cœur, familiers aux puissantes et généreuses natures.
Le jeune homme avait dit la vérité pleine et entière, lorsque la veille, en répondant de l'inconnue, il avait dit qu'il se nommait Maurice Lindey, demeurant rue du Roule. Il aurait pu ajouter qu'il était enfant de cette demi-aristocratie accordée aux gens de robe. Ses aïeux avaient marqué, depuis deux cents ans, par cette éternelle opposition parlementaire qui a illustré les noms des Molé et des Maupeou. Son père, le bonhomme Lindey, qui avait passé toute sa vie à gémir contre le despotisme, lorsque, le 14 juillet 89, la Bastille était tombé aux mains du peuple, était mort de saisissement et d'épouvante de voir le despotisme remplacé par une liberté militante, laissant son fils unique, indépendant par sa fortune et républicain par sentiment.
La Révolution, qui avait suivi de si près ce grand événement, avait donc trouvé Maurice dans toutes les conditions de vigueur et de maturité virile qui conviennent à l'athlète prêt à entrer en lice, éducation républicaine fortifiée par l'assiduité aux clubs et la lecture de tous les pamphlets de l'époque. Dieu sait combien Maurice avait dû en lire. Mépris profond et raisonné de la hiérarchie, pondération philosophique des éléments qui composent le corps, négation absolue de toute noblesse qui n'est pas personnelle, appréciation impartiale du passé, ardeur pour les idées nouvelles, sympathie pour le peuple, mêlée à la plus aristocratique des organisations, tel était au moral, non pas celui que nous avons choisi, mais celui que le journal où nous puisons ce sujet nous a donné pour héros de cette histoire.
Au physique, Maurice Lindey était un homme de cinq pieds huit pouces, âgé de vingt-cinq ou de vingt-six ans, musculeux comme Hercule, beau de cette beauté française qui accuse dans un Franc une race particulière, c'est-à-dire un front pur, des yeux bleus, des cheveux châtains et bouclés, des joues roses et des dents d'ivoire.
Après le portrait de l'homme, la position du citoyen.
Maurice, sinon riche, du moins indépendant, Maurice portant un nom respecté et surtout populaire, Maurice connu par son éducation libérale et pour ses principes plus libéraux encore que son éducation, Maurice s'était placé pour ainsi dire à la tête d'un parti composé de tous les jeunes bourgeois patriotes. Peut-être bien, près des sans-culottes passait-il pour un peu tiède, et près des sectionnaires pour un peu parfumé. Mais il se faisait pardonner sa tiédeur par les sans-culottes, en brisant comme des roseaux fragiles les gourdins les plus noueux, et son élégance par les sectionnaires, en les envoyant rouler à vingt pas d'un coup de poing entre les deux yeux, quand ces deux yeux regardaient Maurice d'une façon qui ne lui convenait pas.
Maintenant, pour le physique, pour le moral et pour le civisme combinés, Maurice avait assisté à la prise de la Bastille; il avait été de l'expédition de Versailles; il avait combattu comme un lion au 10 août, et, dans cette mémorable journée, c'était une justice à lui rendre, il avait tué autant de patriotes que de Suisses: car il n'avait pas plus voulu souffrir l'assassin sous la carmagnole que l'ennemi de la République sous l'habit rouge.
C'était lui qui, pour exhorter les défenseurs du château à se rendre et pour empêcher le sang de couler, s'était jeté sur la bouche d'un canon auquel un artilleur parisien allait mettre le feu; c'était lui qui était entré le premier au Louvre par une fenêtre, malgré la fusillade de cinquante Suisses et d'autant de gentilshommes embusqués; et déjà, lorsqu'il aperçut les signaux de capitulation, son terrible sabre avait entamé plus de dix uniformes; alors, voyant ses amis massacrer à loisir des prisonniers qui jetaient leurs armes, qui tendaient leurs mains suppliantes et qui demandaient la vie, il s'était mis à hacher furieusement ses amis, ce qui lui avait fait une réputation digne des beaux jours de Rome et de la Grèce.
La guerre déclarée, Maurice s'enrôla et partit pour la frontière, en qualité de lieutenant, avec les quinze cents premiers volontaires que la ville envoyait contre les envahisseurs, et qui chaque jour devaient être suivis de quinze cents autres.
À la première bataille à laquelle il assista, c'est-à-dire à Jemmapes, il reçut une balle qui, après avoir divisé les muscles d'acier de son épaule, alla s'aplatir sur l'os. Le représentant du peuple connaissait Maurice, il le renvoya à Paris pour qu'il se guérît. Un mois entier Maurice, dévoré par la fièvre, se roula sur son lit de douleur; mais janvier le trouva sur pied et commandant, sinon de nom, du moins de fait, le club des Thermopyles, c'est-à-dire cent jeunes gens de la bourgeoisie parisienne, armés pour s'opposer à toute tentative en faveur du tyran Capet; il y a plus: Maurice, le sourcil froncé par une sombre colère, l'œil dilaté, le front pâle, le cœur étreint par un singulier mélange de haine morale et de pitié physique, assista le sabre au poing à l'exécution du roi, et, seul peut-être dans toute cette foule, demeura muet, lorsque tomba la tête de ce fils de saint Louis, dont l'âme montait au ciel; seulement, lorsque cette tête fut tombée, il leva en l'air son redoutable sabre, et tous ses amis crièrent: «Vive la liberté!» sans remarquer que, cette fois par exception, sa voix ne s'était pas mêlée aux leurs.
Voilà quel était l'homme qui s'acheminait, le matin du 11 mars, vers la rue Lepelletier, et auquel notre histoire va donner plus de relief dans les détails d'une vie orageuse, comme on la menait à cette époque.
Vers dix heures, Maurice arriva à la section dont il était le secrétaire.
L'émoi était grand. Il s'agissait de voter une adresse à la Convention pour réprimer les complots des girondins. On attendait impatiemment Maurice.
Il n'était question que du retour du chevalier de Maison-Rouge, de l'audace avec laquelle cet acharné