Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre

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Le Collier de la Reine, Tome I - Dumas Alexandre

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ces obstacles, inertes ou vivants, qui sont à la fois le désespoir ou le triomphe du cocher de Paris.

      Quant à Bélus, solide sur ses jarrets d'acier, il n'avait pas même glissé une fois, tant la main qui soutenait la bouche savait prévoir pour lui les pentes et les accidents du terrain.

      On ne murmurait plus autour du cabriolet, on vociférait; la dame qui tenait les rênes s'en aperçut et, attribuant cette hostilité à quelque cause banale comme la rigueur des temps et l'indisposition des esprits, elle résolut d'abréger l'épreuve.

      Elle fit clapper sa langue, et à cette seule invitation Bélus tressaillit et passa du trot retenu au trot allongé.

      Les boutiques fuyaient, les passants se jetaient de côté.

      Les gare! gare! ne discontinuaient pas.

      Le cabriolet touchait presque au Palais-Royal, et venait de passer devant la rue du Coq-Saint-Honoré, en avant de laquelle le plus beau des obélisques de neige levait assez fièrement encore son aiguille diminuée par les dégels, comme un bâton de sucre d'orge que les enfants transforment en pointe aiguë à force de le sucer.

      Cet obélisque était surmonté d'un glorieux panache de rubans un peu flétris, c'est vrai; rubans qui retenaient un écriteau sur lequel l'écrivain public du quartier avait tracé en majuscules le quatrain suivant, qui se balançait entre deux lanternes:

      Reine dont la beauté surpasse les appas,

      Près d'un roi bienfaisant occupe ici ta place.

      Si ce frêle édifice est de neige et de glace,

      Nos cœurs pour toi ne le sont pas.

      Ce fut là que Bélus éprouva la première difficulté sérieuse. Le monument qu'on était en train d'illuminer avait attiré bon nombre de curieux: les curieux faisaient masse, et l'on ne pouvait traverser cette masse au trot.

      Force fut donc de mettre Bélus au pas.

      Mais on avait vu venir Bélus comme la foudre; mais on entendait les cris qui le poursuivaient, et, bien qu'à l'aspect de l'obstacle il se fût arrêté court, la vue du cabriolet parut produire dans la foule le plus mauvais effet.

      Cependant la foule s'ouvrit encore.

      Mais après l'obélisque venait une autre cause de rassemblement.

      Les grilles du Palais-Royal étaient ouvertes et dans la cour d'immenses brasiers chauffaient toute une armée de mendiants, à qui des laquais de M. le duc d'Orléans distribuaient des soupes dans des écuelles de terre.

      Mais les gens qui mangeaient et les gens qui se chauffaient, si nombreux qu'ils fussent, l'étaient encore moins que ceux qui les regardaient se chauffer et manger. À Paris, c'est une habitude: pour un acteur, quelque chose qu'il fasse, il y a toujours des spectateurs.

      Le cabriolet, après avoir surmonté le premier obstacle, fut donc forcé de s'arrêter au second, comme fait un navire au milieu des brisants.

      À l'instant même, les cris que jusque-là les deux femmes n'avaient entendus que comme un bruit vague et confus leur arrivèrent distincts au milieu de la cohue.

      On criait:

      – À bas le cabriolet! à bas les écraseurs!

      – Est-ce donc à nous que ces cris s'adressent? demanda la dame qui conduisait à sa compagne.

      – En vérité, madame, j'en ai peur, répondit celle-ci.

      – Avons-nous donc écrasé quelqu'un?

      – Personne.

      – À bas le cabriolet! à bas les écraseurs! criait la foule avec furie.

      L'orage se formait, le cheval venait d'être saisi à la bride, et Bélus, qui goûtait peu le contact de ces mains rudes, piaffait et écumait terriblement.

      – Chez le commissaire! chez le commissaire! cria une voix.

      Les deux femmes se regardèrent au comble de l'étonnement.

      Aussitôt mille voix de répéter:

      – Chez le commissaire! chez le commissaire!

      Cependant les têtes curieuses s'avançaient sous la capote du cabriolet.

      Les commentaires couraient dans la foule.

      – Tiens, ce sont des femmes, dit une voix.

      – Oui, des poupées aux Soubises, des maîtresses au d'Hennin.

      – Des filles d'Opéra, qui croient avoir le droit d'écraser le pauvre monde parce qu'elles ont dix mille livres par mois pour payer les frais d'hôpital.

      Un hourra furieux accueillit cette dernière flagellation. Les deux femmes éprouvèrent diversement la commotion. L'une s'enfonça tremblante et pâle dans le cabriolet. L'autre avança résolument la tête, les sourcils froncés et les lèvres serrées.

      – Oh! madame, s'écria sa compagne en l'attirant en arrière, que faites-vous?

      – Chez le commissaire! chez le commissaire! continuaient de crier les acharnés, et qu'on les connaisse.

      – Ah! madame, nous sommes perdues, dit la plus jeune des deux femmes à l'oreille de sa compagne.

      – Courage, Andrée, courage, répondit l'autre.

      – Mais on va vous voir, vous reconnaître peut-être!

      – Regardez par le carreau du fond si Weber est toujours derrière le cabriolet.

      – Il essaie de descendre, mais on l'assiège; il se défend. Ah! voici qu'il vient.

      – Weber! Weber! dit la dame en allemand, faites-nous descendre.

      Le valet de chambre obéit, et, grâce à deux chocs d'épaule qui repoussèrent les assaillants, il ouvrit le tablier du cabriolet.

      Les deux femmes sautèrent légèrement à terre.

      Pendant ce temps, la foule s'en prenait au cheval et au cabriolet, dont elle commençait à briser la caisse.

      – Mais qu'y a-t-il, au nom du Ciel! continua en allemand la plus âgée des deux dames; y comprenez-vous quelque chose, Weber?

      – Ma foi! non, madame, répondit le serviteur, beaucoup plus à son aise dans cette langue que dans la langue française, et tout en distribuant çà et là de grands coups de pied pour dégager sa maîtresse.

      – Mais ce ne sont pas des hommes, ce sont des bêtes féroces! continua la dame toujours en allemand. Que me reprochent-ils donc? Voyons.

      Au même instant une voix polie, qui contrastait singulièrement avec les menaces et les injures dont les deux dames étaient l'objet, répondit dans le pur saxon:

      – Ils vous reprochent, madame, de braver l'ordonnance de police qui a paru dans Paris ce matin, et qui prohibe jusqu'au printemps la circulation des cabriolets, déjà fort dangereux quand le pavé est bon, mais qui devient mortel aux piétons quand il gèle et qu'on ne peut éviter les roues.

      La

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